Au début des années quatre-vingt du siècle dernier, une poignée de jeunes tunisiens ont formé le premier noyau du cercle salafiste dans le pays. Pris leur distance vis-à-vis du mouvement de la Tendance Islamique (MTI), ancêtre d’Ennahdha. Brandi leur soif d’absolue. Encensé comme chef spirituel cheik Mohamed Al Azrak, réfugié en Arabie Saoudite pour échapper à la répression. Qui a quand même fini sur l’échafaud en Tunisie. Grâce à la collaboration active des autorités saoudiennes. Chantre du wahhabisme militant. Mais lecteurs vigilants des rapports de force interétatique. Des luttes d’influence régionale.
Eh oui… quelle rude leçon de realpolitik pour ces jeunes apprentis-sorciers de la politique nationale et internationale. Qui viennent d’apprendre à leurs dépens les impératifs de la raison d’Etat. Les règles froides des officines des pouvoirs occultes. La forfaiture du flingage avec le sourire. Ce qui va renforcer leur méfiance légendaire à l’encontre de la cité et de ses hommes politiques. Préférant se jeter dans les chaudrons de l’aire arabo-musulmane. Du combat contre le régime impie et communiste de Kaboul. A la Bosnie. En passant par la Tchétchénie, le Kosovo et l’Irak.
En fait, le principal fait d’armes des salafistes tunisiens à l’étranger était sans conteste l’élimination, le 9 septembre 2001, du lion du Panchir, chah Massoud, ennemi juré des Talibans. Signal apparemment du déclenchement de l’attaque du 11 septembre 2001.
Le cerveau de l’opération des trains de Madrid était issu aussi du «Groupe salafiste djihadiste tunisien». Dont des dizaines d’affiliés ont fini dans la prison de Guantanamo après la bataille Tora Bora dans les contreforts de l’Afghanistan ou pendus en Irak. Après avoir perpétré des attentats sanglants et sacrilèges. Comme la destruction de certains lieux saints chiites à Samarâa.
En Tunisie, après les événements de Soliman en 2006, qui ont vu périr la fine fleur de leurs désespérados (Les Salafistes tunisiens: Sont-ils des moines soldats, des prédicateurs ou des politiciens professionnels?), la nébuleuse salafiste, dont un millier de membres croupissent dans les geôles, grâce aux lois antiterroristes, a continué à se barricader derrière ses certitudes, s’est atomisé encore davantage et pris soin de se mouvoir sur le plan régional à travers des structures clandestines, liées au djihad international.
Après le triomphe de la révolution du 14 janvier 2011 et l’amnistie générale proclamée au temps du gouvernement de Mohammed Ghannouchi, la mouvance refait surface. Met de l’ordre dans ses rangs. Se redéploie dans l’espace public. Se décline en plusieurs associations caritatives. Durcit ses slogans. Travaille dans les quartiers populeux. Encadre. Noyaute. Mord à belles dents sur l’électorat traditionnel d’Ennahdha. Grâce à des meneurs qui viennent de sortir de prison. Comme Seifeddine Souissi (Abou Iyadh), un ancien de l’Afghanistan, ou le célèbre prédicateur El Khatib Idrissi, dont les études en Arabie Saoudite lui ont permis de côtoyer la crème du Wahhabisme de la presqu’île arabique à l’image de Cheik Abdel Aziz El Baz, le Yéménite Abdelmadjid Zendani et Salah Lhidane.
Apparemment, les milieux universitaires et artistiques heurtent de front la stratégie d’implantation et de pénétration de ces prédicateurs des temps modernes. Qui commencent quand même à indisposer le mouvement islamiste Ennahdha, épine dorsale de la Troïka au pouvoir, obligé de tenir compte des désidératas de ses alliés (Ettakatol, CPR), des inquiétudes de larges franges des classes moyennes tunisiennes et des interrogations de la communauté internationale. Devant la montée des forces absolutistes.
D’ailleurs, après la manifestation du 25 mars 2012 au cœur de l’Avenue Habib Bourguiba, qui a appelé à la mort des Juifs et de Béji Caïd Essebsi, cheik Rached Ghannouchi monte au créneau, sermonne, rabroue, menace, fustige l’irresponsabilité des uns et des autres et adresse de sérieux avertissements aux chefs salafistes.
Le pouvoir a ses règles et ses priorités, dit-il, vouloir s’y frotter, c’est s’y piquer. Si les uns et les autres ne font pas preuve de retenue. Conclut le Président d’Ennahdha. Qui rappelle l’expérience du Hamas à Gaza.
En effet, challengé avec la proclamation de l’Emirat de Rafah, les armes brandis dans la localité limitrophe de l’Egypte et les outrances des salafistes vis-à-vis des citoyens musulmans et chrétiens de la Bande de Gaza, Ismaeil Haniya n’a pas hésité à employer la manière forte et à éradiquer une fitna religieuse encore à ses débuts.
Imededdine Boulaâba
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