Cinq mois après l’arrivée du parti islamiste Ennahda au pouvoir et malgré un climat de tensions religieuses, la communauté juive du pays affiche sa sérénité . Et attend que la nouvelle constitution garantisse ses droits.
A entendre Robert Bismuth, les juifs de Tunisie ont de quoi s’alarmer. Après l’arrivée au pouvoir des islamistes d’Ennahda, et les appels au “meurtre des juifs” lancés courant mars par des prédicateurs étrangers, la Tunisie serait en train de basculer dans “le tout religieux”.
Pour ce juif franco-tunisien, président d’une association confessionnelle à Marseille, les suites de la révolution sont une “immense déception”. “La chute de Ben Ali a été un vrai espoir, et pas que pour les juifs. Dix-huit mois plus tard, notre communauté est très inquiète”. Robert Bismuth demande plus de fermeté de la part d’un gouvernement dirigé par un parti qui ne reconnaît pas l’existence d’Israël. “La Tunisie demande la diversité religieuse quand on parle de la France, mais reste muette quand il s’agit de minorités dans son propre pays. Je suis très inquiet” martèle-t-il.
La victoire d’Ennahda est “à relativiser”
Oui mais voilà. Sous le chaud soleil de Tunis, un autre M.Bismuth contredit son homonyme. Il s’agit de Roger Bismuth, le président de la communauté juive de Tunisie, sans aucun lien de parenté avec Robert. Ni le même diagnostic de la situation. “Nous n’avons aucune inquiétude, clame-t-il. L’islam est la religion institutionnelle de la Tunisie. Mais cela ne nous a jamais empêchés de vivre en paix tous ensemble.” Pour cet entrepreneur de 86 ans, la victoire d’Ennahda est à relativiser : “Ils n’ont obtenu que 41% des voix et la majorité des Tunisiens sont déçus de leur gestion du pays.” Les appels aux meurtres qui visaient sa communauté ? “Des actes isolés, desexhibitions organisées par des prédicateurs égyptiens”, répond-il. “Lorsque c’est arrivé, j’ai reçu un coup de fil de Rached Ghannouchi (Président d’Ennahda, ndlr) qui m’a dit qu’il était désolé. Je ne sais pas si c’était sincère, mais c’est un signe très positif”.
“J’ai confiance en mes concitoyens.”
Même son de cloche du côté de la Ligue tunisienne des droits de l’homme. “Les salafistes concentrent leurs attaques sur les laïcs, estime Abdessatar Ben Moussa, son président. La communauté juive n’est pas menacée et la situation est même meilleure que sous Ben Ali. La meilleure preuve, c’est la présence du président Moncef Marzouki au pèlerinage de Ghriba, 10 ans après les attentats”. Un acte terroriste perpétré le 11 Avril 2002 contre une synagogue près de Djerba, qui avait fait 21 morts et 30 blessés. Alors, trop angéliques les juifs de Tunisie ? “Pas du tout, répond Roger Bismuth. Nous attendons de lire la nouvelle Constitution. Soit elle dit que tous les Tunisiens sont égaux, ont les mêmes droits, et ça sera un bon signe pour la société, soit elle est, disons… non-démocratique et nous verrons”. Roger Bismuth hésite quelques instants puis, très vite, se reprend. “Mais cela fait 86 ans que je vis ici et j’ai confiance en mes concitoyens”.
Par Josselin Debraux
Source: Nouvelle Tunisie- Le libéblog