Le procès de cinq militants détenus depuis près de six mois pour avoir « insulté publiquement » le président des Émirats Arabes Unis ainsi que d’autres hauts responsables est profondément injuste, ont déclaré aujourd’hui quatre organisations internationales de défense des droits humains. Les accusations devraient être abandonnées et les militants relâchés, ont-elles déclaré.
Amnesty International, le Réseau arabe d’information sur les droits humains (ANHRI), Front Line Defenders et Human Rights Watch ont déclaré que le procès des militants avait été marqué par des vices de procédure et qu’il avait violé les droits à la défense les plus élémentaires des accusés. Les autorités émiriennes doivent abandonner toutes les poursuites et libérer les militants lors de la prochaine audience, prévue le 2 octobre 2011 à la Cour Suprême Fédérale de Abou Dhabi.
Les quatre premières audiences du procès ont été tenues en secret, fermées aux membres de la famille aussi bien qu’aux observateurs des droits humains. Le 29 septembre, le tribunal a déclaré aux groupes des droits humains que la cinquième audience serait ouverte au public.
« Tout ce que nous avons pu apercevoir derrière la façade du tribunal est une comédie », a déclaré Jennie Pasquarella, une avocate spécialisée dans les libertés civiles faisant partie d’une délégation qui observe le procès aux Émirats Arabes Unis au nom des groupes de défense des droits humains. « En ne respectant pas les droits des accusés à un procès juste, les autorités émiriennes nous forcent à conclure qu’elles ont déjà décidé du résultat. »
Les cinq militants, qui ont été arrêtés en avril et dont le procès s’est ouvert le 14 juin, sont : Ahmed Mansoor, ingénieur et blogueur ; Nasser Bin Ghaith, économiste, conférencier à l’Université Sorbonne-Abou Dhabi et partisan de réformes politiques ; et les cyber-activistes Fahad Salim Dalk, Ahmed Abdul-Khaleq et Hassan Ali Al Khamis. Tous les cinq ont été inculpés en vertu de l’article 176 du code pénal, qui criminalise l’insulte publique de hauts responsables.
Comme dans cette affaire les poursuites sont engagées selon des procédures de la sécurité d’État, c’est la Cour Suprême Fédérale qui mène les audiences en première instance, ce qui ne donne aucun droit à faire appel.
Au début de la dernière audience, le 26 septembre, quatre des inculpés sont sortis de la salle après que le jury de juges a une nouvelle fois refusé d’examiner la moindre de leurs requêtes, auxquelles ils ont légalement droit, y compris celle de leur mise en liberté provisoire sous caution. Le tribunal n’a pas permis aux inculpés d’examiner les éléments de preuve contre eux ni les chefs d’inculpation, y compris les preuves rassemblées par l’accusation de la sécurité d’État pendant la période d’enquête. Le tribunal n’a pas autorisé les avocats de la défense à soumettre un des témoins de l’accusation à un contre-interrogatoire et n’a pas accordé assez de temps pour le contre-interrogatoire des autres.
Les autorités ont fermé les quatre premières audiences du procès au public, aux journalistes, aux observateurs internationaux et aux familles des accusés, sans explication. Les lois émiriennes et internationales ne prévoient pourtant d’audiences à huis-clos que pour un nombre très limité de circonstances.
À plusieurs reprises, le tribunal a soit refusé, soit ignoré les requêtes de mise en liberté provisoire des inculpés sous caution, alors qu’aucun d’entre eux n’est inculpé d’un délit avec violence et que les autorités n’ont jamais suggéré qu’ils risqueraient de fuir la justice. Le 25 septembre, le procureur général a déclaré aux groupes des droits humains que le tribunal détenait les inculpés, sans possibilité de mise en liberté provisoire, « pour leur propre sécurité », ce qui n’est pas un motif acceptable de détention selon les lois internationales.
Les cinq militants, leurs familles et leurs avocats ont reçu de nombreuses menaces de mort, résultat de la campagne d’intimidation que mènent actuellement certains Émiriens pour soutenir l’élite dirigeante. À cette date, les autorités n’ont pas enquêté sur les menaces ni poursuivi les responsables.
Les quatre groupes de défense des droits humains enverront deux observateurs juridiques indépendants pour surveiller l’audience du 2 octobre. Les autorités n’ont pas répondu aux requêtes émises par Human Rights Watch pour rendre visite à Mansoor, qui est membre du comité consultatif de sa division Moyen-Orient et Afrique du Nord ainsi que du réseau ANHRI, afin de vérifier son état de santé.
« Chaque jour que ces hommes passent derrière les barreaux pour avoir simplement exercé leur droit à la libre expression aggrave la comédie de justice qui est en train d’être jouée », a déclaré Jennie Pasquarella. « En fait, cette affaire n’a rien à voir avec la justice ou la sécurité, mais tout à voir avec la volonté d’étouffer la dissidence politique et les appels pour plus de démocratie. »
Contexte
Aux Émirats arabes unis, le code pénal permet au gouvernement d’emprisonner les gens simplement pour avoir exprimé pacifiquement leur point de vue, ce qui va à l’encontre des dispositions internationales sur les droits humains, qui garantissent clairement la liberté d’expression.
L’article 176 du code pénal permet une peine de jusqu’à cinq ans de prison pour « quiconque insulte publiquement le Président de l’État, son drapeau ou son emblème national ». L’article 8 du code élargit l’application de cette disposition pour inclure le vice-président, les membres du Conseil Suprême de la Fédération, entre autres.
Les cinq personnes sont inculpées en vertu de l’article 176 pour avoir utilisé le forum politique en ligne UAE Hewar. Aucun des messages qu’auraient publiés les accusés sur ce site interdit ne va plus loin que critiquer la politique du gouvernement ou les leaders politiques, ont déclaré les quatre groupes de défense des droits humains, qui ont consulté les publications. Il n’existe aucune preuve que ces hommes aient utilisé la violence, ou incité quiconque à l’utiliser, dans le cadre de leurs activités politiques.
Mansoor est également inculpé pour avoir incité d’autres personnes à violer la loi, pour avoir appelé à un boycott des élections et à des manifestations. En mars, peu avant son arrestation, il a publiquement soutenu une pétition signée par plus de 130 personnes, appelant à un scrutin universel direct pour élire le Conseil National Fédéral (FNC), un conseil consultatif du gouvernement, et à des pouvoirs législatifs pour ce conseil.
Une lettre signée par quatre des militants, qu’ils avaient réussi à faire sortir de prison fin août, énonçait que les vices de procédure les avait conduits à être « certains que nous n’avons pas, et n’obtiendrons pas, de procès juste, auquel a droit tout accusé ». Dans la lettre, les militants exigeaient que le tribunal cesse de les juger en secret et autorise les observateurs et les citoyens à assister aux audiences. Ils exhortaient également le tribunal à les mettre en liberté provisoire sous caution, à les autoriser à examiner le dossier d’accusation contre eux et à permettre à leurs avocats d’interroger les témoins de l’accusation.
Après la diffusion de la lettre, Bin Ghaith, un des signataires, s’est plaint de ce que les autorités carcérales encourageaient les autres détenus à le harceler. Après une altercation avec un autre prisonnier, les autorités de la prison l’ont enchaîné en isolement dans une cellule sans climatisation, malgré la chaleur qui atteignait les 40°C.
La liberté d’expression est garantie par la constitution des Émirats et solidement établie par les dispositions internationales sur les droits humains. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ICCPR) établit que « Toute personne a droit à la liberté d’expression; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce». Même si les Émirats n’ont pris aucune part dans le ICCPR, c’est une source qui fait autorité et une ligne directrice reflétant les pratiques internationales les plus reconnues. Les critères acceptés internationalement permettent seulement de réduire la liberté d’expression sur le fond, dans des circonstances extrêmement limitées, comme les cas de calomnie ou de diffamation contre des individus, ou encore les discours qui menacent la sécurité nationale.
L’article 32 de la Charte arabe sur les droits de l’homme, qui a été ratifiée par les Émirats, garantit le droit à la liberté d’opinion et d’expression, et celui de partager des informations avec autrui par tous les moyens. Les seules restrictions à l’exercice de ce droit qui sont concédées sont celles qui sont imposées par « le respect des droits d’autrui, de sa réputation, ou la protection de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé publique ou des bonnes moeurs ». L’article 13(2) de la Charte exige également que les audiences soient « publiques, sauf pour les cas exceptionnels où cela ne serait pas dans l’intérêt de la justice dans une société démocratique qui respecte la liberté et les droits humains ».
La Déclaration des Nations Unies sur les défenseurs des droits de l’homme prévoit que les pays doivent « prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer que les autorités compétentes protègent toute personne (…) de toute violence, menace, représailles, discrimination de factoou de jure, pression ou autre action arbitraire » qui résulterait de son engagement en faveur des droits humains.
Human Rights Watch – 04/10/2011 12:46:51