Les vautours, ces grands rapaces charognards, n’apparaissent généralement dans le ciel que pour annoncer des cadavres et leur corollaire, des malheurs et des massacres. Cette image utilisée à merveille par le cinéma américain dans les films western m’est revenue à l’esprit, ces jours-ci, en observant le paysage politique en Tunisie.
En l’espace d’une semaine et sans crier gare, deux anciennes têtes de l’exécutif de la Troïka, en l’occurrence Moncef Marzouki, ex-président provisoire et candidat malheureux à la dernière élection présidentielle, et Hamadi Jebali, ex-chef du gouvernement de la même Troïka, sortent, en cette période printanière, de leur hibernation et annoncent, publiquement, leur intention de récupérer le pouvoir et de se présenter à la prochaine présidentielle sous quelque forme que ce soit.
Les deux responsables, dont le bilan a été, le moins qu’on puisse dire, catastrophique (émergence du terrorisme, assassinats politiques, récession économique…), se proposent de fédérer tous les Tunisiens opposants, de lutter contre la corruption qui gangrène le pays et de défendre les libertés et les droits de l’Homme. Pour y arriver, ils semblent décidés à mettre le paquet, comme on dit.
Marzouki veut retourner au palais de Carthage
Ainsi, pour retrouver une nouvelle virginité politique, l’ex-président provisoire et fondateur de l’initiative «Mouvement du peuple des citoyens», Marzouki, a fait son mea culpa et présenté des excuses non seulement pour «les erreurs et les manquements commis au service du pays» mais aussi pour n’avoir pas eu le courage de démissionner.
Marzouki, qui prononçait, le 25 avril 2015, à Tunis, un discours à l’occasion de la cérémonie de lancement des préparatifs du congrès de son mouvement, s’est employé à courtiser la gauche et les islamistes de gauche les appelant «au besoin de revenir à ce qui avait été appelé la Gauche, c’est-à-dire considérer que la pauvreté est l’ennemi et non l’islam, considérer que les corrompus sont les ennemis et non les islamistes».
Tout indique que Marzouki croit en ses chances et semble encore frustré pour avoir raté les dernières élections avec un vote appréciable de l’ordre de 42% au second tour.
Jebali, défenseur des libertés
Un jour après, c’est-à-dire le 26 avril 2015, Hamadi Jebali le relaye et annonce, sur les ondes de radio Mosaïque, le lancement d’une nouvelle initiative, chastement appelée «Front pour la défense des libertés».
A travers ce Front, Jebali, qui avait plaidé, au temps où il gouvernait, pour l’instauration du Califat, entend regrouper, unir l’opposition qu’il estime actuellement «éparpillée, absente, et encore sous le choc des élections avec une présence limitée au Parlement».
«J’espère, a-t-il-dit, que ces leaders de l’opposition vont se réunir autour du Front de la défense des libertés car sans liberté, on ne peut parler d’aucune élection».
Par-delà ces déclarations et initiatives, leur timing pose problème et suscite moult interrogations quant aux motivations de leurs auteurs. Les deux têtes de l’ancien exécutif de l’Etat, qui étaient dans le secret de tous les rouages officiels, n’auraient pu nourrir tant d’ambitions et s’aventurer dans cette voie sans disposer d’importantes informations sur la fragilité de l’exécutif en exercice.
Si on recoupe ces initiatives avec les tensions qui prévalent au sein du parti majoritaire, Nidaa Tounès, et surtout la tendance d’Essebsi Junior à rassembler «ses troupes» pour lancer, probablement, un nouveau mouvement politique sous l’appellation «Nouveau Nida», et ce sans qu’il ne soit rappelé à l’ordre par son père, tout donnerait à croire que la guerre de succession de l’actuel président Béji Caïd Essebsi a bel et bien commencé.
L’âge avancé de BCE et la précarité de sa santé militent en faveur de cette thèse et justifient l’apparition des vautours.