Le secteur des arts plastiques en Tunisie connait après la révolution du 14 janvier 2011 une dynamique réelle au niveau la réorganisation et de la représentativité syndicale et associative. En effet, les trois principales structures qui parlent au nom des artistes-peintres, à savoir: L’Union des plasticiens, le Syndicat et la Fédération des arts plastiques multiplient les rencontres, symposiums et expositions collectives pour faire bouger les choses et tenter de résoudre les problèmes en suspens.
Malgré leurs dissensions, ces trois structures convergent vers des points communs qui font l’unanimité dont la nécessite d’assainir le secteur, d’y introduire une bonne dose de transparence et d’œuvrer à créer un musée national des arts plastiques. Mais, pour le grand public, ce secteur demeure peu connu, sa genèse comme son évolution au cours des dernières décennies ne sont pas à la portée des non initiés. le document exceptionnel dont l’Agence TAP propose la publication de larges extraits peut aider le lecteur à comprendre l’histoire de la peintre contemporaine en Tunisie.
C’est un document signé par l’historien de l’art et le poète Ali Louati, paru pour la première fois, dans un catalogue, publié à l’occasion de la tenue, au début des années 80, d’une grande exposition rétrospective sur la peinture tunisienne, au centre d’Art vivant du Belvédère. On y lit:
Vendredi 11 mai 1894, s’ouvrait à Tunis le premier Salon Tunisien, L’art contemporain en Tunisie entame sa longue marche, depuis les locaux de l’Association Ouvrière Maltaise, rue de Grèce (transformée pour l’occasion en Galerie), dans un décor d’opérette.
Coupé presque totalement des mouvements européens, l’art colonial était resté longtemps incapable de saisir la réalité locale autrement qu’à travers les stéréotypes de l’orientalisme moribond: bédouines, mendiants, aveugles etc.
Si ce Salon fit souvent office de brocante pictural il n’en permit pas moins de découvrir d’authentiques vocations et accueillera les premiers essais d’artistes tunisiens. Déjà en 1912, Jilani Abdul Wahab, élève de l’Atelier Pincharty montre des études. A partir de 1923, Yahia Turki y expose régulièrement. Ali Ben Salem, Azouz Ben Rais, Ammar Frahat et Hatem El Mekki les rejoignent dans le années 30.
Si l’on excepte l’œuvre de Hèdi Khayachi, portraitiste, de la cour et premier tunisien à avoir manié la peinture occidentale, on peut dire que le mouvement artistique tunisien prit naissance au sein même du Salon, en marge de la culture traditionnelle qui ne voulait ou ne pouvait le reconnaître.
La peinture de chevalet, technique étrangère et nouvelle perception du monde, signifiait pour les premiers artistes « indigènes » une sorte de rupture avec leur univers culturel familier. Mais l’adoption de cette nouvelle technique, avec la part de mimétisme qu’elle comportait au début semble n’avoir été qu’un moyen pour affirmer la présence des artistes tunisiens dans le contexte culturel de l’époque. Depuis lors ceux-ci n’ont cessé, de rapprocher cet art nouveau de la sensibilité populaire, en essayant d’exprimer à travers leurs œuvres, ce qu’il y avait d’essentiel et de spécifique dans la vie sociale traditionnelle.
L’art des Yahia, Farhat, Ben Salem s’arrache peu à peu aux maniérismes et aux stéréotypes dominant la peinture de l’époque pour rejoindre une nouvelle vision. Après les marines à la Marquet et les têtes de bédouines outrageusement tatouées, le thème populaire traduisait un regain d’intérêt pour le vécu, le quotidien, permettant à ces pionniers de réintroduire dans leurs travaux une dimension sociale vivante qui faisait défaut à un art colonial oscillant entre l’imagerie figée de l’orientalisme et les recherches formelles passées de mode. Par la spontanéité de son expression, par sa facture simple et son sens de la couleur, cette peinture exprimait une sensibilité nouvelle et spécifique.
L’approfondissement de ce retour vers soi, de cette volonté de réconcilier l’art moderne avec la communauté, fut le souci d’artistes de la génération suivante; l’âme populaire qui n’était qu’implicitement et spontanément présente dans l’uvre des pionniers, s’impose aves plus de vigueur comme source privilégiée d’inspiration au point de constituer une véritable tendance: souci d’authenticité, désir de renouer avec la tradition arabo-musulmane, sont les éléments essentiel de cette démarche.
Parmi ces artistes, formés généralement en Europe après la Seconde Guerre Mondiale, Zoubeir Turki évoquera dans un style très personnel l’univers familier et nostalgique de la Médina ; son uvre n’est pas sans rappeler l’humour et l’humanisme profond de Wassiti, maître de l’ancienne Ecole de Bagdad, Jelal Ben Abdallah et Gorgi, après Ali Ben Salem, redécouvriront la miniature; Ali Bellagha se consacrera aux recherches sur la valeur esthétique et décorative de l’objet traditionnel.
Hatem El Mekki qui exposait dès 1934 au Salon Tunisien, marqua très tôt son indépendance par rapport à la tendance générale en choisissant une écriture éclectique et variée, fruit d’une investigation patiente et continue; Amara Debbeche cultivera un beau talent de dessinateur; Hédi Turki quant à lui, dès les années 50 se tournera, vers une expression résolument abstraite.
Ali Louati relève, dans son analyse, que la même recherche de synthèse entre particularisme traditionnel et langage plastique universel figure parmi les préoccupations des artistes de la génération de l’après-Indépendance, mais la recherche, dit-il, se trouve compliquée et enrichie, par d’autres données souvent contradictoires : liberté de création, engagement, se mêlent à la dialectique originelle tradition-modernité, pour donner à la jeune peinture une physionomie changeante qui n’est pas sans traduire à travers sa fécondité, une vision indécise, une conscience culturelle tiraillée. L’absence de tout effort de théorisation, de tout choix nettement exprimé est néanmoins compensée par une diversité d’expression, une floraison de styles se réclamant plus ou moins de tous les courants artistiques : Lyrisme de la touche et de la couleur (Sehili), rigueur géométrique (Soufi), abstraction ( Chebil, Chakroun, Aloulou, Azzabi), symbolisme (Lakhdar, Ben Amor), Réalisme social (Gmach), voilà quelques uns des aspects qu’offre cette jeune peinture en constante mutation. Cependant, ajoute Ali Louati, l’on remarque depuis quelques années(références aux années 60 et70), l’ébauche d’une tendance se fondant sur la récupération des symboles essentiels du patrimoine (arabesques, calligraphies) et bien qu’elle n’ait pas encore reçu une formulation théorique, cette démarche n’en veut pas moins être une réponse consciente et originale à la problématique d’un art arabe moderne voulant garder des attaches solides avec sa tradition historique; l’œuvre de Belkhoja , Mahdaoui illustre cette démarche.
WMC/TAP
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