Les divers partis devraient soutenir les initiatives visant à mettre fin à la discrimination sexiste
(Tunis, le 6 septembre 2018) – Le rejet officiel, le 26 août 2018, par Ennahda, l’un des principaux partis politiques tunisiens, d’une initiative présidentielle visant à instaurer la pleine égalité entre hommes et femmes dans le domaine de l’héritage porte atteinte aux droits des femmes dans ce pays, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch.
Le 13 août, le président Béji Caïd Essebsi s’est engagé à présenter un projet de loi visant à garantir l’égalité des sexes en matière d’héritage. La proposition avait pour but de modifier le code du statut personnel, qui traite inégalement hommes et femmes, et s’inspire des règles dictées par la charia. Dans le code actuel, dans certains cas, un homme reçoit deux fois la part d’une femme dans un héritage.
« L’annonce d’Ennahda est une trahison pour les Tunisiennes et une occasion manquée de prouver l’adhésion du parti islamiste aux droits des femmes », a déclaré Amna Guellali, directrice du bureau de Tunis de Human Rights Watch. « Le refus d’Ennahda d’abolir l’un des derniers vestiges de l’inégalité de genre dans le pays affaiblit le leadership de la Tunisie dans le monde arabe. »
Ennahda, qui s’identifie comme parti « démocrate musulman », compte 68 députés qui siègent à l’Assemblée des représentants du peuple, sur 217 membres, et fait partie du gouvernement de coalition. Le groupe a annoncé le 26 août qu’il rejetterait la proposition présidentielle, affirmant qu’elle est en contradiction avec la loi islamique.
La proposition du président vise à garantir l’égalité juridique complète entre hommes et femmes en matière d’héritage. Conscient de la nature controversée de cette proposition, la proposition du président permettrait aux personnes qui le souhaitent de se soustraire à la règle de l’égalité en exprimant formellement un tel souhait dans leur testament devant notaire.
L’initiative du président reprend une proposition similaire de la Commission sur les libertés individuelles et l’égalité, qu’il a établie en août 2017. Le rapport du 12 juin de la Commission contenait également des recommandations pour dépénaliser la sodomie, éliminer les lois sur la moralité et abolir la peine capitale. Le rapport a provoqué l’indignation de certains groupes. Des milliers de personnes sont descendues dans la rue pour dénoncer les recommandations, affirmant qu’elles menaçaient les valeurs islamiques.
Après la publication du rapport, Ennahda a fait des déclarations ambiguës. Dans un communiqué daté du 14 juin, le parti a déclaré que ce document était « un point de départ pour le dialogue social, conformément aux positions fermes du Mouvement [Ennahda] dans la défense des libertés publiques et privées, la défense des droits des femmes et l’égalité des droits et des devoirs entre hommes et femmes. »
Cependant, le communiqué du 26 août du Conseil de la Shura d’Ennahda, la principale institution gouvernante du parti, a clairement rejeté les recommandations de la Commission et la proposition du président. « Le Conseil réaffirme sa position selon laquelle non seulement l’initiative en faveur de l’égalité en matière de succession contredit l’enseignement religieux et les textes de la constitution et du code du statut personnel, mais soulève également des craintes quant à la stabilité de la famille tunisienne et aux coutumes de la société », a indiqué le communiqué.
Le président du Conseil de la Shura d’Ennahda, Abdel Karim al-Harouni, a déclaré que son parti « s’opposerait à toute loi allant à l’encontre du Coran et de la Constitution ».
Ennahda, le principal parti de l’Assemblée constituante, a activement participé à la rédaction de la Constitution et voté en faveur de l’article 21, qui stipule que « tous les citoyens, hommes et femmes, ont les mêmes droits et sont égaux devant la loi ». Il a également soutenu l’article 46, qui exige que l’État « s’engage à protéger les droits acquis de la femme, les soutient et œuvre à les améliorer ». Ennahda a également soutenu d’autres initiatives positives sur les droits des femmes, parmi lesquelles une loi pour mettre fin aux violences contre les femmes et les filles, qui a été adoptée en juillet 2017.
En tant qu’État partie à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), la Tunisie a l’obligation d’éliminer la discrimination fondée sur le genre.
« Il est temps que les progressistes d’Ennahda prennent la parole pour contrer ces tendances régressives qui vont à l’encontre des droits des femmes », a déclaré Amna Guellali. « Ceux qui croient qu’ils ne peuvent se conformer à la charia qu’en discriminant les femmes de leurs familles peuvent choisir de le faire, mais Ennahda ne devrait pas imposer de règles d’héritage discriminatoires à l’ensemble des Tunisiennes. »