Au moment où la vraie Tunisie pleure encore, à chaudes larmes, ses quatre policiers lâchement assassinés, à la cité Ezzouhour, à Kasserine, le président provisoire et ses sbires s’amusent à dérouler le tapis rouge au souverain marocain, faisant fi, avec une insolence et inconvenance apatrides criardes, du chagrin et du deuil des Tunisiens.
Logiquement, ce sont les membres des familles démunies des policiers décédés dont trois à la fleur de l’âge qui auraient dû faire l’objet, ces jours-ci, -une semaine durant s’il le faut-, de tous les honneurs et surtout d’obsèques nationales à la hauteur du sacrifice suprême consenti par les morts. De ce fait, cette visite aurait dû être reportée.
Cela pour dire que, dans d’autres cieux, respectueux de leurs concitoyens et de leur dévouement au service de la patrie, cette visite aurait été tout simplement reportée en raison de la gravité et de l’ampleur de la tragédie que vient de vivre le pays après cet ignoble assassinat.
La frustration des Tunisiens au fait des enjeux géostratégiques est d’autant plus grande que cette visite est un «non évènement» pour le commun des Tunisiens. Elle ne sert aucunement la Tunisie. Cette visite est à la limite même dangereuse dans la mesure où elle lui fait encourir d’énormes risques dont celui de compromettre ses relations géostratégiques avec l’Algérie. Le seul pays de la région qui s’est précipité, dès l’émergence du terrorisme, pour nous venir en aide au double plan matériel et logistique.
Ainsi, les vingt-trois conventions conclues en marge de cette visite royale, tout autant que l’armada des ministres qui ont accompagné le roi, ne sont que du cinéma, à la limite des pétards mouillés, et ce pour une raison simple: le Maroc est un pays concurrent de la Tunisie. Les Marocains font ce que nous faisons et nous faisons ce qu’ils font. De ce point de vue, la marge de manœuvre pour une quelconque complémentarité est presque nulle.
Sur le plan politique, la Tunisie est une République et le Maroc est une monarchie. En principe, après la révolution du 14 janvier 2011, ce n’est pas à ce pseudo-président provisoire de faire les courbettes à «notre ami le roi» et de solliciter son appui à la révolution tunisienne (discours du roi aujourd’hui à l’ANC).
Bien au contraire, c’est aux membres de la famille royale du Maroc de s’agenouiller devant la révolte des Tunisiens et du parcours accompli sur la voie de la liberté, de la dignité, de la justice sociale et du progrès, seules garanties modernes pour la pérennité d’un pays. Sur ce plan, la Tunisie est à plusieurs longueurs d’avance et l’Histoire le prouvera, après cette période de transition difficile.
Le Maroc a tout à gagner de cette visite
Pour revenir à cette visite, a priori, le roi du Maroc a tout à gagner de cette visite, tout en étant parfaitement conscient qu’il mise sur un président provisoire tunisien sans lendemain.
En fin stratège, il a fait le déplacement, à Tunis, pour se servir de la légitimité institutionnelle du président provisoire tunisien aux fins de sortir le Maroc de son isolement actuel au sein de la région maghrébine et de chahuter l’axe géostratégique algéro-libyo-égyptien en cours de constitution.
D’ailleurs, cela dit en passant, une réunion est prévue ces jours-ci entre Algériens et Egyptiens pour coordonner leurs efforts aux fins de contrer les essaims de djihadistes en Libye avec le concours éventuel du général libyen Haftar lequel aurait l’appui des Américains.
Le Maroc voit d’un très mauvais ce processus d’une nouvelle configuration géostratégique en Afrique du Nord dans lequel il ne jouerait pas un rôle.
La perche que vient de lui donner Marzouki va lui permettre, durant les trois jours de visite, de rappeler que son pays est là et qu’il faudrait compter avec lui.
Marzouki veut placer son directeur de cabinet au secrétariat général de l’UMA
Quant au président provisoire tunisien, l’intérêt de cette visite serait, selon nos sources, une opportunité pour convaincre le roi marocain d’appuyer la candidature de son directeur de cabinet, Adnene Mansar, au poste de futur secrétaire général de l’Union du Maghreb arabe (UMA).
Quant aux informations selon lesquelles le président provisoire compte exploiter à bon escient les bonnes relations entre la monarchie marocaine et son homologue saoudienne pour persuader les Saoudiens à faire un geste à l’endroit de la Tunisie, après l’échec, dans ce sens, du chef du gouvernement Mehdi Jomaa, les observateurs demeurent sceptiques quant au succès d’une telle initiative.
La raison est des plus simples. Tant que Marzouki est toujours à la solde des Frères musulmans tunisiens (nahdhaouis) et du Qatar dont il a fait l’éloge à maintes reprises, la réponse des Saoudiens, qui sont fermes sur le dossier des fréristes, serait, logiquement, un niet catégorique.
Idem pour le rêve maghrébin de Marzouki qui a toujours ambitionné de réunir, cette année, un sommet maghrébin. Là aussi, les analystes doutent des chances de la tenue de cette rencontre. Pour le Maroc, soucieux de ses intérêts au Sahara Occidental et de plus en plus isolé, cette réunion ne serait pas de son goût, sachant plus qu’il est le principal pays à bloquer le processus maghrébin.
A preuve, sur un total de 37 conventions maghrébines, le Maroc n’a ratifié que 8, contre 29 pour l’Algérie, 28 pour la Tunisie, 27 pour la Libye et 25 pour la Mauritanie.
Moralité: à travers cette visite sans intérêt notoire pour les Tunisiens, la Tunisie devrait, hélas, subir encore une fois les conséquences néfastes des errements de ce président provisoire qui a la tendance non dite et surtout fâcheuse à démolir la diplomatie tunisienne et surtout l’axe salutaire et géostratégique tuniso-algérien.
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