Le patrimoine musical populaire voué à l’oubli, mérite d’être préservé et valorisé

La Tunisie pays riche par son héritage culturel dispose d’un vaste patrimoine musical malheureusement délaissé et dont la sauvegarde, la valorisation et la promotion demeurent cruciales pour le préserver de l’oubli, estiment des artistes et chercheurs dans la musique populaire.

Plusieurs acteurs culturels dans le patrimoine ont mené des recherches approfondies dans les régions du Nord-Ouest connues pour leur riche patrimoine musical populaire. Explorant cette région du pays, l’artiste Lassaad Ben Abdallah a pu collecter près de 200 textes dont 22 ont été interprétés dans l’un de ses spectacles “Al Manssia”.

Selon lui, “la collecte du patrimoine oral à savoir les chansons et les danses populaires passe par un travail expérimental qui couvre le déplacement, l’écoute, l’enregistrement et la conservation”.

Pour le musicien et chercheur Bachir Taouili, “la chanson populaire demeure une source d’inspiration pour raconter des histoires et leçons qu’il interprète, sur scène avec un seul instrument, “la Tabla”. Alias “Cheb Bachir”, ce féru de la chanson populaire, a interprété des chansons qu’il avait déjà écouté auprès de son entourage familial, ou parmi les femmes et les vieux de différentes régions telles que Kairouan et Kasserine.

Cheb Bachir avait pris l’initiative de “collecter les chansons populaires locales tout en préservant leur aspect authentique” car, estime-t-il, “ce que certains appellent arrangement des chansons populaires risque de nous faire perdre dans le piège de “Renouveau” en apportant des artifices lourds et gênants sur les couleurs locales bien spécifiques”.

En effet, le front musical populaire, a-t-il mentionné, se distingue par la profondeur du sens, la beauté de la parole pleine de proverbes et de sagesse, dont regorge la mémoire populaire.

Il cite dans ce contexte les chansons populaires interprétées par nos mamans et grands-mères, dont certaines ne sont pas léguées aux oubliettes. En l’absence de sauvegarde et de préservation, sa grande crainte est que «ce patrimoine musical authentique soit délaissé”.

Face à l’intérêt accru accordé par des férus de la musique tunisienne tels que le Baron d’Erlanger qui avait consacré toute sa fortune pour la promotion de la musique ainsi que la traduction des livres de référence arabes, “la chanson populaire qui fait partie du patrimoine oral tunisien, n’a pas bénéficié de l’intérêt requis de la part des spécialistes dans le domaine”, estime le musicologue et chercheur Ibrahim Bahloul.

Evoquant le cas du Malouf qui a pu être préservé grâce à la Rachidia oeuvrant à la conservation des oeuvres musicales, Bahloul estime que “la conservation de ce répertoire ancien s’est limitée à des initiatives ponctuelles ou privées”.

Les trois composantes de base de la chanson populaire qui sont le chant, l’instrument et la danse ne peuvent être séparées, pour ce musicologue, cite l’exemple du rythme «Bounawara» en relation avec la danse portant le même nom.

Auparavant joué lors de la «nouba» interprétée dans les «Zaouias» telles que celle de Sidi Bou Said où on jouait «Ya Rayes Labhar, le genre de musique “Mezoued”, devenu «populiste», ne s’inspire plus du patrimoine populaire musical puisqu’il a été déraciné”, avance-t-il.
Jusque là, 150 chansons populaires ont été collectées par Bahloul “en procédant à une étude comparative basée sur trois ressources au moins afin de pouvoir identifier l’origine de la chanson à partir des expressions qu’elle contient”.

Près de 110 chansons parmi celles qu’ils a collecté, “sont originaire de la région du Nord-Ouest qui a réussi à préserver son patrimoine musical populaire grâce aux populations locales qui continuent à interpréter joliement leurs chansons principalement lors des cérémonies de mariage, notamment à Kasserine, Tataouine et Gabès ainsi que dans les régions côtières du Nord et du Centre à savoir Bizerte et Sfax”.

Bahloul ne cache pas son souci de voir disparaître ce patrimoine musical qui a été altéré appelant le Centre des musiques arabes et méditerranéennes (CMAM), Ennejma Ezzahra, à participer à la préservation et la promotion du patrimoine musical populaire et à ne pas se contenter du Malouf.

Il a, dans ce contexte, exprimé son regret de l’absence depuis de longues années du festival international des Arts populaires qui se tenait à Carthage au début des années 70 jusqu’au milieu des années 80, bien qu’il servait de rendez-vous annuel où concurrençaient des troupes internationales des arts populaires et de plateforme importante pour la promotion du tourisme tunisien en drainant des entrées considérables en terme de devises pour le pays” selon ses dires.

Bien que des efforts soient déployés a-t-il expliqué pour la mise en valeur de la danse et de la chanson populaires, des initiatives méritent le soutien et l’encouragement aussi au niveau des médias et des structures et institutions publiques dont les ministères de la Culture et de la sauvegarde du patrimoine, du Tourisme et de l’Enseignement supérieur ainsi que de l’Institut national du patrimoine (INP) et l’Institut supérieur d’Art dramatique (ISAD).

Le rôle à jouer par les chercheurs et musicologues dans la promotion du patrimoine est à souligner également. Dans ce sens, il a tenu à signaler qu’il prépare un projet baptisé «Bruit de Tunis», une sorte de comédie musicale inspirée de chansons populaires telles que «Rym el Fayala» et «Chech el Khater Chech» pour mettre en avant des personnalités historiques comme «Salammbo», «Alissa»…

Ce projet est un essai d’archiver le patrimoine musical populaire qui pourrait être exploité dans le développement touristique par sa diffusion dans les manifestations nationales et internationales tels que les festivals de Jerash (Jordanie), “Baalbek” (Liban) et Alexandrie (Egypte) ainsi qu’à bord des bateaux de croisières.

L’artiste et réalisateur Lassad Ben Abdallah et le musicologue Brahim Bahloul s’entendent sur le rôle important que doivent jouer les festivals dans la promotion du riche patrimoine artistique populaire et culturel local.

Considéré parmi les rares artistes qui se sont intéressés à la promotion de la musique populaire surtout par des spectacles à bord des bateaux, Ben Abdallah lance un appel aux pouvoirs publics afin d’encourager ce genre de spectacles qui offrent une image authentique de la Tunisie que les touristes seraient ravis de découvrir”.

Il appelle également à classer les 200 chansons du patrimoine collectées dans un livre afin de préserver la mémoire collective, de l’oubli et de l’éparpillement. Une idée largement partagée par Bahloul qui a insisté sur la responsabilité des parties en charge des archives en Tunisie.

A ce sujet, la directrice du département en charge du patrimoine au sein du ministère de la Culture, Amel Hachena a tenu à faire savoir que “la commission du patrimoine immatériel, présidée par la ministre, est en train de former des conservateurs, avec le soutien de l’Unesco, dans le but de renforcer les aptitudes des compétences nationales” précisant que cette commission “devrait se réunir dans les prochains jours”.