Dans un article de l’AFP, “les pionniers du web tunisien”, “ce petit noyau de cyberactivistes aux manettes avant et pendant la révolution, s’inquiètent aujourd’hui de l’évolution de la Toile, devenue selon eux un défouloir et un terreau propice aux manipulations”.
“Le Facebook tunisien commence à ressembler à une poubelle”, assénait récemment sur son blog le syndicaliste Maher Takaya.
Selon une récente étude de l’Institut de prospective économique du monde méditerranéen, la Tunisie est le pays arabe qui a le mieux utilisé les réseaux sociaux pour provoquer la révolution. Mais sept mois après, et alors que le pays compte désormais 2,6 millions d’utilisateurs Facebook selon le site de pointage SocialBakers, les cyberactivistes “historiques” ont le blues.
“Avant le 14 janvier, nous étions un petit noyau d’une centaine de personnes, on faisait attention à ce qu’on disait, on vérifiait nos infos. Aujourd’hui, ça part dans tous les sens, c’est la cohue générale, tout le monde est devenu activiste sur Internet. C’est l’armée des révolutionnaires de la 25e heure”, déplore Sofiene Bel Haj.
Rançon de la démocratisation? Ce trentenaire, engagé dans le cyberactivisme depuis 2008, reconnaît avec franchise qu’il n’est “jamais agréable de voir des dizaines de milliers de personnes venir s’emparer de ton terrain de jeu”.
Mais au-delà des rivalités et des jalousies qui agitent le petit monde du web, Bel Haj et les autres “anciens” assurent que la dérive est réelle.
“On voit apparaître de véritables campagnes de dénigrement et de haine”, selon Fatma Arabicca, professeur d’art dramatique et blogueuse depuis 2005. La jeune femme, arrêtée en 2009 sous le régime Ben Ali, raconte qu’une photo d’elle la présentant comme un “agent d’un complot franc-maçon” a récemment été postée sur plusieurs pages Facebook. “Nous vivons une période de transition délicate, et on voit circuler des infos totalement fausses, des rumeurs, des théories du complot, voire des appels au meurtre, en toute impunité”, déplore-t-elle.
“Certains passent leurs nuits sur photoshop pour trafiquer des photos ou mettre en ligne de fausses vidéos”, renchérit Sofiène Bel Haj. Il cite l’exemple d’une photo retouchée du président du PDP (Parti démocrate progressiste) Ahmed Nejib Chebbi, affublé d’une écharpe mauve (la couleur fétiche de Ben Ali). Ou encore une image d’une manifestation de salafistes sur une plage, censée illustrer le danger islamiste en Tunisie. La photo avait en fait été prise à Gaza.
“Dans une situation instable, il suffit d’un montage, d’une phrase sortie de son contexte pour mettre le feu aux poudres”, met en garde Hajer Ajroudi, journaliste au quotidien Le Temps.
“C’est compliqué. Les Tunisiens ont soif d’infos, mais les medias traditionnels n’ont pas regagné, loin s’en faut, de crédibilité, et les institutions n’ont pas rompu avec leurs vieilles habitudes du secret. Dans ce contexte, Facebook apparaît souvent comme LA source d’information”, analyse Henda Hendoud, journaliste et blogueuse. “Or on a vu apparaître des administrateurs de pages Facebook très jeunes, entre 17 et 19 ans, souvent radicalisés, qui confondent opinion et information et se voient en leaders d’opinion”, constate-t-elle.
L’enjeu n’est pas mince, alors que la Tunisie va entrer en campagne en vue de l’élection de la constituante le 23 octobre. La plupart des 105 partis enregistrés ont leur page officielle Facebook et leur site web, où ils publient et diffusent sans contrainte. “C’est un moyen de communication incontournable, mais il ne faut pas tomber dans la diffamation”, alerte le doyen de la Faculté des sciences politiques de Tunis, Fadhel Moussa, cité par la TAP.
“Le réseau social reste un espace d’information et de discussions, où sont publiés de bons articles et où les modérés ont encore leur place. Mais il faut être très vigilant”, conclut Hajer Ajroudi.
(Source: AFP)