Il faut une réelle volonté politique pour mettre en oeuvre la justice transitionnelle

Avec la parution au Journal Officiel du rapport global et final de l’Instance Vérité et Dignité, en juin dernier, s’achève la dernière étape du processus juridique, lent et fragile, de la justice transitionnelle qui avait démarré dix ans auparavant.

Pourtant, les victimes de torture et d’atteintes à la dignité humaine et leurs familles attendent encore. Ils n’ont rien vu de concret, d’après eux. Ils attendent justice et réparation et souhaitent être indemnisés des suites des préjudices moraux et physiques subis, et ce, conformément aux engagements juridique et constitutionnel de l’Etat en la matière.

Après dix ans d’attente, des obstacles perdurent. Des obstacles logistiques, mais essentiellement d’ordre politique, selon les dires des parties concernées par ce dossier de la justice transitionnelle.

La directrice du Centre international pour la justice transitionnelle (CIJT), Saloua Kantri, a estimé, dans une déclaration à l’agence TAP, que le problème des ressources financières ne se pose pas en ce qui concerne le Fonds de la Dignité. Elle a, dans ce sens, insisté sur la nécessité d’une réelle volonté politique pour parachever le long et lent processus de la justice transitionnelle.

Saloua Kantri a, par ailleurs, relevé que les victimes, dont les dossiers ont été soumis aux chambres judiciaires spécialisées attendent encore les jugements. D’après elle, la plupart des victimes attendent, non pas de prendre leur revanche, mais surtout la confession et le repentir de leurs tortionnaires pour pouvoir tourner la page.
De son côté, le président de la Commission nationale des victimes de la dictature, Abdelhamid Troudi, a indiqué que les informations relatives à l’absence de ressources financières pour activer le fonds en question, sont fausses.

Dans une déclaration accordée à l’Agence TAP, Troudi précise que la participation financière du gouvernement audit fonds s’élève momentanément à 10 millions de dinars, lesquels ont été alloués par le gouvernement de Youssef Chahed à travers le décret gouvernemental n°211 du 28 février 2018, fixant les modalités d’organisation, de gestion et de financement du Fonds de la dignité et de la réhabilitation des victimes de la tyrannie et publié au Journal Officiel de la République Tunisienne.

Le président de la Commission nationale des victimes de la tyrannie a réitéré, dans ce sens, l’activation dudit décret conformément au principe de la continuité de l’Etat. Il a fait observer à cet effet que les objectifs du sit-in observé par des représentants de la commission se résument à deux questions essentielles à savoir: la défense des droits des victimes et la protection de la révolution et le parachèvement de ses objectifs.

“Il ne s’agit pas uniquement de demander des indemnités qui s’inscrivent dans un système juridique qui fixe les politiques de l’Etat au sujet de la transition de la période de la tyrannie à celle de la préservation des libertés et de la stabilité, et de refermer les pages du passé”, a-t-il souligné.

Troudi estime que ce qui perturbe et entrave la fermeture de ce dossier “c’est la soumission de tous les chefs du gouvernement à des lobbies qui ne veulent pas du règlement du dossier de la justice transitionnelle, parce qu’il est contre leurs intérêts”. Et d’ajouter, “nous ne sommes pas contre la réconciliation, mais nous voulons une réconciliation totale basée sur les principes de la justice transitionnelle”.

Le président de la Commission nationale des victimes de la tyrannie a fait savoir que le dossier en question est aujourd’hui entre les mains du nouveau chef du gouvernement, lequel a chargé le directeur général de la fonction publique et le directeur chargé des dossiers sociaux, au sein de la présidence du gouvernement, d’interagir avec les sit-inneurs et de suivre le dossier.

“C’est un pas important qui reflète une volonté sérieuse dans la gestion et la réactivation du dossier de la justice transitionnelle”, a-t-il estimé.

Pour sa part, le porte-parole de la Coalition nationale pour le parachèvement du processus de la justice transitionnelle, Béchir Khelifi, considère que ceux qui veillent sur la réalisation de la justice transitionnelle sont ceux qui lui ont le plus porté préjudice, notamment par l’entrave à la publication du rapport finale de l’IVD et la présentation des requêtes illégales.

Khelifi a évoqué à ce sujet l’absence d’une vraie volonté de régler une fois pour toutes ce dossier, qui s’explique selon lui par “la soumission du pouvoir politique à l’administration, et plus précisément à l’Etat profond, dont plusieurs de ses fonctionnaires sont concernés par le jugement dans le cadre du processus de la justice transitionnelle”.

Il a indiqué que le travail des chambres judiciaires spécialisées dans la justice transitionnelle est la consécration du tout un processus qui passe inévitablement par le jugement. C’est pour cette raison, explique Béchir Khelifi, que les responsables chargés de traiter ce dossier, ne veulent pas l’ouvrir.

“La plus grande difficulté concernant les affaires de violations réside dans le fait que leur auteurs continuent à se comporter de manière arrogante, en refusant d’assister aux procès et si par chance ils acceptaient d’assister, ils refusent d’avouer et de reconnaitre leurs crimes, malgré l’existence de preuves suffisantes pour les inculper”, a-t-regretté.
Le rapport final de l’Instance Vérité et Dignité a été publié au Journal officiel, fin juin 2020.

L’article 70 de la loi relative à l’instauration de la justice transitionnelle et à son organisation dispose que dans un délai d’une année, à compter de la date de publication du rapport global de l’instance, le gouvernement prépare un plan et des programmes de travail pour appliquer les recommandations et les propositions présentées par l’Instance. Les dits plan et programmes sont soumis à la discussion de l’Assemblée chargée de la législation. Le parlement contrôle l’application par l’instance du plan et du programme de travail à travers une commission parlementaire qui sera créée à cet effet et qui collaborera avec les associations concernées pour rendre les recommandations et les propositions effectives.

Selon cette même loi, un fonds dénommé : “Fonds de dignité et de réhabilitation des victimes de la dictature” est créé.

La loi de finances pour l’exercice 2014 a approuvé, dans son article 93, la création du “Fonds de la dignité et de la réhabilitation des victimes de la tyrannie” ayant pour objet la contribution au dédommagement des victimes de la tyrannie dans le cadre de la justice transitionnelle. Cet article n’a pas été mis en application.