Décès de Slim Chaker  : Quand la Tunisie tue ses enfants!

Le décès brutal de Slim Chaker d’une rupture du myocarde, dû en grande partie au stress et aux pressions politiques et médiatiques dont il fut victime, ne devrait pas nous laisser indifférents nous autres faiseurs d’opinions et redresseurs de torts. Sa mort et nombre d’autres relevant du même registre devraient donner à réfléchir à certains «leaders d’opinions» et politiques de bas étage et qui s’acharnent sur des personnes qu’ils ne connaissent même pas juste pour se faire passer pour des justiciers. Ironie du sort, ils ne sont pas tous blancs comme neige et ne brillent pas par leur intégrité morale ou financière.

«Il est des cas où la douleur se surpasse elle-même», disait Anne Barratin, femme de lettres française, et la douleur d’Amel Miled Chaker, épouse de feu Slim Chaker, est indescriptible et à la limite du supportable tant son attachement à un homme dont l’intégrité et la probité sont puissants dénotant d’une relation fusionnelle entre les deux époux.

Ce haut commis de l’Etat, n’aurait peut-être jamais dû faire de la politique car il n’était pas né pour avoir «les mains sales», ce que beaucoup consentent à avoir, à assumer et à revendiquer.

«Quand j’ai voulu devenir interprète, raconte son épouse Amel Miled Chaker, il m’a dit de deux choses l’une : “ou bien tu démissionnes du ministère de l’Enseignement supérieur ou bien tu n’exerces pas en tant que consultante indépendante. Il est interdit d’être une salariée de l’Etat et d’avoir des émoluments venant d’autre part et je ne veux pas que tu t’aventures dans n’importe quelle mission qui puisse faire du tort au pays“. J’ai démissionné en 2012 du ministère de l’Enseignement supérieur et j’ai fait une patente. Je paye des droits de revenus qui dépassent des fois ce que moi-même je suis payée».

En digne héritier du héros de l’indépendance Hédi Chaker, le petit-fils a cru dur comme fer que son destin est de servir son pays là où il est et où qu’il soit. Et quand il fut écarté de nombre de postes ministériels, il ne s’est pas plaint, il ne s’est pas déplacé dans les plateaux de télévision ou s’est exprimé sur les ondes de radios pour pleurnicher ou jouer aux victimes. «Lorsque nous quittons un haut poste dans l’Etat, nous nous taisons, nous ne protestons pas et nous ne remettons pas en cause les décisions prises en haut de la pyramide de notre Etat. A chaque décision, il y a une explication. C’est la règle du jeu, sinon nous nous comportons en voyous», disait-il à sa femme. Son amour et son respect pour le Président de la République n’avaient pas de limites et quand il a été nommé conseiller auprès de lui, il avait confessé à sa femme: “finalement, être à la présidence n’est pas si mal, je n’ai jamais été un politicien et auprès de M. Béji Caïd Essebssi, j’apprends beaucoup, c’est un grand monsieur et une grande école. C’est lui qui m’a fait entrer dans ce milieu“. «Et alors que notre fils étudiait et galérait à Paris, il a refusé le poste d’ambassadeur de Tunisie à Paris où il aurait pu être payé 6.000 euros par mois. Il voulait rester à Tunis alors que j’aurais préféré être auprès de mon fils».

Slim Chaker n’a jamais possédé de voiture personnelle, 15 ans en arrière alors que feu Ridha Touati, alors ministre du Commerce, insistait pour lui faciliter l’acquisition d’une deuxième voiture populaire, il avait refusé ce privilège parce qu’il n’en avait pas le droit. Il a construit sa maison sise dans la Cité Laouina, grâce à un prêt accordé par la Banque de l’Habitat : «Nous n’avons pas encore pas la main levée, Slim ne pouvait l’avoir qu’à 60 ans, il a disparu à 56 ans».

Grâce au petit pactole qu’il avait ramassé quand il était consultant des Nations unies en Jordanie (payé 30 000 euro par mois), il a dû contracter un autre prêt de l’Amen Bank pour acquérir un petit lot de terrain avec sa femme qui avait hérité de son père et y construire une résidence loin des lumières de la ville. «La mort l’a fauché avant qu’il n’en profite. Juste une semaine, avant qu’il ne passe de vie à trépas, l’architecte nous avait informés qu’il y avait planté les piquets. Il avait osé cette entreprise pour moi car je voulais vivre dans la tranquillité. L’architecte nous avait fait le plan de la nouvelle villa gratuitement, c’était notre ami et il savait que nous n’avions pas les moyens de le payer. Slim ne pouvait assurer par ses propres moyens les dépenses de nos enfants, c’est moi qui subvenais à une grande partie des besoins de notre foyer. Il était d’une telle rectitude qu’il a privé notre fils brillantissime d’un complément d’une bourse d’excellence de Tunisie arguant que puisqu’il a eu une bourse de l’université française, il fallait laisser un autre étudiant en profiter. Heureusement que moi, j’ai bloqué une grande partie de l’héritage de mon père pour assurer l’avenir de mes enfants».

Amel Miled Chaker n’a pas besoin de parler de la droiture de Slim Chaker. Lorsqu’il était ministre des Finances, il avait voulu mettre fin aux dépassements des forfaitaires dans nombre d’activités en remettant à l’ordre du jour les caisses enregistreuses dans les cafés, les bars et les hôtels pour que les fraudeurs soient acculés à déclarer les recettes fiscales et pour que toutes les transactions effectuées soient conservées. Le décret des caisses enregistreuses a été annulé après son départ du ministère des Finances.

C’est également lui qui tenait à ce que toutes les opérations effectuées par les médecins soient déclarées et que les notes de frais soient consignées. Ce que nombre de Tunisiens ne savent pas, c’est que certains grands chirurgiens peuvent gagner entre 400 et 600.000 dinars par an dont ils ne payent que des miettes au fisc (300 dinars tunisien).

A l’époque, le président de l’Ordre des médecins, N.B.Z, est sorti à la télé pour crier au scandale en disant qu’ils n’ont pas été consultés, alors que les représentants du Conseil de l’ordre s’étaient réunis auparavant avec le premier responsable du département des Finances, photos à l’appui. Ils ont également dénoncé la rupture du pacte de confidentialité entre médecins et patients, ce qui n’était nullement le but de la manœuvre. Tout ce que demandait le ministre des Finances de l’époque était des dossiers numérotés. Des médecins qui se sont acharnés sur lui sur les réseaux sociaux et qui se sont délectés lorsqu’il a été convoqué à la caserne de l’Aouina pour être instruit sur des affaires montées de toutes pièces.

Le sacrosaint lobby des médecins tout comme d’autres lobbys tels que celui des avocats ont dû fêter le départ de Slim Chaker du ministère des Finances. Nombre d’avocats préfèrent être payés cash pour ne pas avoir à déclarer leurs revenus. Ceci sans parler des centres d’esthétique, de la haute coiffure, de la haute couture, des hammams et des SPA, forfaitaires et qui gagnent des centaines de millions de dinars par an et dont beaucoup sont payés en espèce sonnantes et trébuchantes. La fille de Slim Chaker a elle-même payé son costume et sa coiffure argent comptant! Attirant l’attention de son père sur ces pratiques, il lui avait rétorqué: «Ces activités n’occupent pas le haut du pavé de mes préoccupations mais j’y viendrais». Ce beau monde ne paye pas d’impôts, les contrôleurs fiscaux, eux, s’acharnent sur les bons payeurs. Dans certaines entreprises, ils ont même des bureaux à l’année, le monde à l’envers!

Nommé ministre de la Santé après son passage à la présidence de la République, Slim Chaker ambitionnait de révolutionner un secteur sinistré où les mafias de toutes sortes règnent en maîtres et où des trafics de tous genres tels ceux des médicaments et de l’obtention des AMM ainsi que ceux touchant aux dispositifs médicaux sont devenus légion après le 14 janvier 2011. Nombre d’entraves ont été mises sur le chemin des nouveaux prétendants au marché pharmaceutique, tels ceux exigeant un Certificat de la bonne Procédure de Fabrication (C.P.F), créé spécialement par la première responsable de la DPM et qui serait, selon certains, destiné à bloquer des laboratoires au profit d’autres sans parler du trafic des équipements dans des hôpitaux tels ceux de Siliana, Gafsa, etc.

Slim Chaker voulait faire le ménage, parce qu’il estimait que la Tunisie méritait qu’on la défende et qu’on se sacrifie pour elle. Dans sa vie, il a eu deux grands amours : la Tunisie et son épouse. Les deux ont perdu une personne dont la loyauté et le sens du devoir sont rarissimes.

Engagé, honnête vis-à-vis de lui-même et même de ceux qui l’ont lâché, indulgent face à ceux qui l’ont lynché, fragile et vulnérable mais sans jamais le montrer, Slim Chaker est parti sans faire trop de vagues et sans susciter de polémiques.

Chateaubriand disait : «La vertu est quelquefois oubliée dans son passage ici-bas, mais elle revit tôt ou tard ; on la retire des tombeaux comme on retire du sein de la terre une statue antique qui fait l’admiration des hommes».

Reposez en paix monsieur le ministre.

Amel Belhadj Ali