Vous n’avez pas sauvé la Tunisie, monsieur le Président, vous l’avez enfoncée !

Monsieur le président, vous en qui nous avons vu le père de la nation, notre sauveteur, notre « Pater patriae », vous nous avez lâchés ou plutôt lynchés !

Vous aviez décrété que la démocratie pouvait se conjuguer à l’islam politique alors qu’au plus profond de vous-même, vous saviez qu’il n’en était rien. Vous l’avez reconnu tard, trop tard.

En 2011, vous avez été le meilleur avocat de l’islam politique dans le monde. Et nous avons vu les islamistes à l’œuvre monsieur, des jeunes devenus des barbares tuant, violant et massacrant des innocents en Syrie, en Libye et en Irak au nom de l’Islam et les femmes, les Tunisiennes réputées fières et éduquées, faisant commerce de leurs corps pour satisfaire les guerriers de l’apocalypse.

Quant à l’économie, c’est un cataclysme qu’elle vit depuis le passage de la Troïka au pouvoir et elle n’arrive pas à redécoller Monsieur car notre pays est aujourd’hui privé de sa souveraineté économique après que la chasse aux sorcières et les départs de ses compétences l’aient privé de sa matière grise. Aujourd’hui des opérateurs économiques respectables ont disparu, ils sont remplacés par les hommes de main des anciens corrompus, les nouvelles mafias et les fortunés de guerre post-14 janvier !

Et je vous accuse d’avoir enfoncé notre pays au lieu de le sauver, monsieur le Président !
En 2011, on vous aurait fait miroiter Carthage comme récompense. Vos protégés de l’époque qui n’avaient pas encore possédé la Tunisie vous ont préféré le Marzouki désigné président avec tout juste 8 000 voix. Son allégeance et sa loyauté, elles, allaient vers le tout petit, petit Qatar.

Votre plaidoyer à Washington pour un islam politique pacifiste et démocratique n’avait servi à rien. Les frères vous ont trahi ! Jamel Abdennacer ne disait-il pas : « Il Ikhouans malhomchi amen ? » (Il ne faut jamais se fier aux frères, ils finissent toujours par trahir).
Quand les vainqueurs des élections du 23 octobre 2011 ont gagné, par nous ne savons quel sortilège, vous avez quitté la Kasbah non pas pour Carthage mais pour reprendre le chemin de votre cabinet d’avocat.

Vous pensant toujours le meilleur garant d’une Tunisie républicaine, démocratique et civile, des milliers de nos compatriotes vous ont confié le soin de diriger un parti, le Nidaa, croyant que c’était le meilleur rempart contre l’occupation de la Tunisie par les obscurantistes et les conquistadors du 21ème siècle !

Les deux années -2011/2013- du règne d’Ennahdha lui ont servi à marquer de sa présence l’Administration. Elle a profité des ressources de l’Etat pour récompenser ses fidèles dédommagés par le sang et la sueur du peuple tunisien et nommer ses hommes et ses femmes aux postes clés. Ceux qui résistaient étaient « congelés ».

Pendant tout ce temps, le peuple toujours optimiste a cru en votre capacité à renverser la vapeur en faveur de la Tunisie que nous avons toujours connue : moderne, progressiste et à différents titres avant-gardiste. Et contre toute attente, en 2013, nous avons vécu les pires moments de notre histoire. Deux attentats politiques qui ont bouleversé le pays tout entier.

Les Tunisiens ont occupé les rues et vous-même aviez appelé, à l’époque, à dissoudre la Constituante. Jamais la Troïka, et en tête la Nahdha, n’avait été aussi fragile et jamais le célèbre poème d’Abou Al Kacem Al Chebbi n’a porté autant de sens. Le peuple tunisien campant pendant des mois devant l’ARP croyait dur comme fer pouvoir forcer le destin et le soumettre à sa volonté, briser les chaînes et dissiper les ténèbres !
Ces ténèbres ne se sont malheureusement pas dissipés parce que progressistes et démocrates ont donné un nouveau souffle au parti dirigeant et un nouveau gouvernement Ali Larayedh a vu le jour.

Il fallait que le parti islamiste fasse plier la Tunisie et c’est ce qui est arrivé lorsque Larayedh, l’homme de l’appareil, fut promu de ministre de l’Intérieur à chef de gouvernement. Lui qui avait laissé le terroriste Abou Iadh s’échapper, qui avait laissé des hordes sauvages envahir l’ambassade américaine et durant le mandat duquel deux grands leaders politiques ont été abattus par des terroristes, s’est emparé définitivement des arcanes de l’Etat !

En 2011, monsieur le Président, vous avez épaulé la Nahdha à l’international chassant le doute de ses supporters internationaux et les convaincant de son progressisme, de son pacifisme et de son civisme, et en 2013, vous l’avez de nouveau sauvé après maintes menaces et invectives en « fumant le calumet de la paix » avec Rached Ghannouchi au Bristol à Paris, pour décider de la suite à donner à votre collaboration.

Une rencontre qui a préparé le consensus, selon vous, indispensable pour préserver la Tunisie d’une guerre civile après les élections de 2014 où vous avez été gagnant sur tous les tableaux mais pas la Tunisie.

Ce consensus n’a pas préservé la Tunisie de nombre d’attentats meurtriers qui ont achevé l’œuvre destructrice de l’économie nationale entamée en 2011.

Quant à nous autres simples observateurs de la vie politique – et peut-être quelque peu ignares et ignorants des tenants et aboutissants du jeu et des enjeux politiques, nous avons le sentiment que la Nahda n’a jamais été aussi puissante que de votre temps, monsieur le Président.

Vous avez voulu gouverner depuis Carthage et arracher les prérogatives que ne vous a pas accordées la constitution en nommant et même en imposant tour à tour des chefs de gouvernement qui n’ont pas de légitimité électorale.

Et à chaque fois que l’un deux avait voulu exercer pleinement ses prérogatives, vous aviez décrété des « Pactes de Carthage ».

Et si Carthage I a fonctionné car Habib Essid, en haut commis de l’Etat de l’ancienne génération, discipliné, a fini par se retirer mais non sans avoir voulu se battre jusque dans « l’arène » du Parlement, Carthage II a échoué.

Ce second round de Carthage a échoué parce que Youssef Chahed a choisi de lutter jusqu’au bout estimant qu’il est de son droit et de son devoir d’assumer son rôle.
Continuer à gouverner avec une Nahdha aussi présente dans les décisions mais se défilant dès qu’il s’agit d’en assumer les actes et les conséquences n’est peut-être pas judicieux mais n’a-t-il pas hérité des vertus du consensus même empoisonné de son maître à penser ? Le grand Béji Caïd Essebssi, le président qui voulait perpétuer l’héritage bourguibien ?

Vous n’avez pas sauvé la Tunisie, monsieur le Président, vous l’avez enfoncée !
Aujourd’hui en tant que président du Conseil de sécurité nationale, force est de vous rappeler que les circonstances des assassinats des martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi n’ont pas encore été élucidés. Pire, les investigations du comité de défense des martyrs vous a soumis un dossier lourd à propos d’une organisation secrète appartenant au parti qui gouverne aujourd’hui avec vous monsieur le Président.

Vous aviez publiquement assuré ne craindre personne et encore moins la Nahdha. Nous osons espérer que cette affaire ne sera pas renvoyée aux calendes grecques par respect pour le peuple qui vous a élu et qui a le droit de savoir ce qui se passe réellement dans son pays.

Nous osons espérer voir la vérité éclater sur les assassinats de ces leaders politiques pour que malgré tout, lorsque votre nom sera cité dans l’histoire de la Tunisie, il sera celui de l’homme qui a osé lever le voile sur la pire des organisations et les assassinats les plus immoraux de notre histoire !

Aujourd’hui le Mont Orbata à Gafsa qui était le fief des fellagas est devenu le théâtre des crimes perpétrés par les terroristes à l’encontre de la population, monsieur, vos électeurs, vos enfants ! Quand passerez-vous du stade de la lutte contre le terrorisme à celui de l’éradication du terrorisme monsieur ?

Et peut-être que ce jour là, le jour où les Tunisiens se sentiront réellement en sécurité sous votre règne monsieur, peut-être que le jour où ils sortiront de chez eux sans craindre d’être attaqués par un terroriste dans les zones à risque ou d’être braqués par des criminels à chaque coin et dans chaque rue de notre pays, peut-être qu’à ce moment-là nous dirons que vous avez au moins assuré votre rôle de protecteur du peuple et de garant de sa sécurité.

Amel Belhadj Ali