Recyclés par un caprice de l’histoire grâce au soulèvement du 14 janvier 2011, certains thuriféraires du Parti socialiste destourien de Bourguiba, passés à la trappe au temps de Ben Ali, donnent l’impression, aujourd’hui, qu’ils sont, hélas, toujours formatés à l’école de la falsification de l’histoire et à sa récupération en faveur de leur égo. Comme quoi, chasser le naturel, il revient au galop.
Parmi ceux-ci figure, en bonne place, le premier récupéré officiellement de ces anciens porteurs d’encensoir, le président de l’actuelle Assemblée des représentants du peuple (ARP), Mohamed Ennaceur. En dix jours, depuis son accès au perchoir, cet ancien ministre des Affaires sociales de Bourguiba a commis deux bourdes impardonnables.
La première remonte à son premier discours, prononcé le 4 décembre 2014, après son élection. Il a commis l’erreur fatale de ne pas y citer les quatre martyrs (Chokri Belaid, Mohamed Brahmi, Lotfi Naghd et Mohamed Mufti), des leaders politiques auxquels tous les Tunisiens -y compris les islamistes responsables de leur assassinat- leur doivent ces avancées significatives sur la voie de la stabilité, de la démocratie et du progrès.
Il a fallu que cette grande dame meurtrie, la députée du Front populaire, Mbarka Brahmi, veuve du défunt Mohamed Brahmi, prenne tout son courage à deux mains, au moment même où le président de l’ARP s’apprêtait, comme un paon, à annoncer la levée de la séance, pour prendre la parole et «s’indigner du fait que Mohamed Ennaceur n’ait pas évoqué le martyr Mohamed Brahmi, dont l’assassinat a changé tout le paysage politique tunisien et auquel il doit -tout autant que les autres martyrs- le confort moral et politique dont il jouit à 80 ans». «Sans son sacrifice, tu ne serais pas là», lui a-t-elle lancé.
Une bourde entraîne une autre
Et comme une bourde entraîne une autre –petite mais une bourde quand même-, en réponse à ce rappel à l’ordre, le président de l’ARP a préféré pratiquer la politique de l’autruche. Sentant qu’il y a péril en la demeure, il a préféré se taire et n’a pas jugé utile ni faire un commentaire ni s’excuser, même par respect, pour cette nouvelle diva tunisienne, pour les martyrs et, surtout, pour son patron Béji Caïd Essebsi (BCE), président de Nidaa Tounes dont il se réclame.
BCE, lui, a eu la délicatesse et l’hyper-intelligence politique d’être reconnaissant envers les martyrs. Il ne rate aucune sortie publique sans souligner avec grande détermination, qu’une fois à la tête de la magistrature suprême, son engagement «à faire toute la lumière sur l’assassinat des leaders politiques précités. Interrogé sur l’assassinat de Chokri Belaid, Mohamed Brahmi, le candidat de Nidaa Tounes à la présidentielle a indiqué que “ces deux martyrs ne représentent pas uniquement le Front populaire, ils représentent tous les Tunisiens”. Des déclarations qui lui ont valu le précieux appui à sa campagne électorale d’une autre grande dame meurtrie, Basma Khalfaoui Belaid.
Conséquence: Mohamed Ennaceur, qui est vice-président de Nidaa Tounes doit au moins s’aligner sur les positions de son patron. Sans commentaire.
Nostalgie du passé!
La deuxième grosse bourde a été commise par le président de l’ARP lors de la réunion de la commission parlementaire chargée de rédiger un projet de règlement intérieur. Il a eu la maladresse de proposer aux membres de la commission de «s’inspirer du règlement intérieur des Parlements ayant précédé la révolution», c’est-à-dire au temps de Ben Ali. Cette proposition a déplu aux députés de gauche et de droite, ce qui a provoqué une grande polémique.
Représentant le Front populaire, le député Jilani Hammami a qualifié les propos de Mohamed Ennaceur d’«indignes d’une Assemblée des représentants du peuple». Sans aller par quatre chemins, il a ajouté que «le Parlement de Ben Ali n’était pas un Parlement démocratique, ces propos m’ont provoqué, et cette proposition m’est apparue comme une volonté de rétablir l’ancien régime».
Le relayant, le député nahdhaoui, Habib Khedher, a déclaré dans le même sens que «le modèle de l’ancien régime ne saurait être un modèle pour la Tunisie postrévolutionnaire».
Moralité : de telles déclarations n’augurent rien de bon sur l’évolution des mentalités des responsables récupérés. Pour le moment, ils émettent de très mauvais signes sur leur incapacité à s’adapter aux nouvelles exigences de l’époque révolutionnaire. Et c’est loin d’être un bon signe. Nous l’aurons dit.