(REPORTAGE) Tunisie – Société : Des salafistes en uniforme

Chaque que fois que je rentre seul dans mon village, Aïn Draham, j’ai l’habitude de prendre en stop des gens en uniforme. L’objectif était d’avoir de la compagnie, d’échanger des points de vues, de s’enquérir par curiosité professionnelle de l’évolution des communautés au sein  desquelles les auto-stoppeurs évoluaient et, surtout, de dissuader tout contrôle des gendarmes. Ma voiture étant devenue par l’effet de l’uniforme une voiture immunisée. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas.

 

Reportage

 Le week-end dernier, j’ai eu à prendre en stop, tout le long du parcours, successivement, un jeune policier et deux jeunes gardiens de prison; le premier en rase de campagne sur l’Autoroute A3 (Tunis-Oued Zarga) et les autres à l’entrée de Béja en direction de Bou Salem-Jendouba. 

En discutant avec ces trois jeunes, je me suis rendu compte que je ne partageais rien avec eux tant ils m’avaient mis mal à l’aise au point d’avoir froid dans le dos. Zoom sur une rencontre qui dit long sur le nouveau profil des gens en uniforme.

Avec le policier, une jeune recrue relevant du corps des brigades d’intervention et opérant à Tabarka, la discussion a porté sur les femmes. Le discours qu’il m’a tenu sur «le sexe faible» est un discours de haine absolue. Pour lui, autant il adore les femmes autant il est convaincu qu’au regard des exigences matérielles de la femme tunisienne, il lui semble qu’il ne pourrait jamais «en avoir une» avec son salaire de policier et au vu des responsabilités qu’il assume en tant que soutien de famille.

J’ai essayé de lui remonter le moral en lui disant que moi-même, je suis issu d’un milieu fort modeste, que j’ai connu ce genre de sentiment et que je n’ai pu améliorer ma situation matérielle, créer un foyer et éduquer mes trois enfants qu’au prix de l’acharnement au travail et de la foi dans le savoir en tant qu’ascenseur social, et ce en dépit du fait que les femmes étaient, lorsque j’avais son âge, rares et élitistes. Alors qu’aujourd’hui, avec la poussée démographique, c’est l’embarras du choix.

Il m’a semblé qu’il ne m’a pas entendu et a continué à traiter la femme de tous les qualitatifs. Pour lui, la femme confond l’homme avec une grosse cylindrée, une grande maison, des voyages, des désirs, des désirs, et rien d’autre. «C’est à la limite, a-t-il martelé, un crocodile que rien ne satisfait».

La discussion s’est arrêtée là puisque nos destinations se coupaient à l’entrée de Béja, lui se rendant à Tabarka.

A peine je l’ai quitté, j’ai été interpellé par deux autres jeunes autostoppeurs en uniforme. Je me suis rendu compte après qu’ils étaient des gardiens de la prison de la «célèbre prison de Mornaguia».

Une fois les présentations faites, on a commencé à parler à bâton rompu de questions touchant aux prisons, aux conditions d’incarcération de leurs pensionnaires, à la perte de la dignité en prison, aux verdicts des juges, à la loi et à l’enjeu de la respecter…

Seulement, à quelques kilomètres de Bou Salem, les deux autostoppeurs ont commencé à débiter de manière hystérique des versets du coran et des «hadiths», paroles et actions attribuées au Prophète, le tout articulé autour d’un leitmotiv: «l’application de la chariaâ est la solution en Tunisie». Selon eux, le jour où on coupera la main aux voleurs ou on lapidera les femmes infidèles, la société fera l’économie de moult souffrances générées par les braquages et les adultères, ont-ils martelé. Mes deux autostoppeurs en uniforme étaient tout simplement des salafistes en uniforme purs et durs.

A la sortie de Bou Salem, les deux gardiens m’ont demandé gentiment de m’arrêter pour se soulager. En fait, ils étaient descendus pour changer de chemise et faire disparaître leurs insignes officiels. Et quand je leur ai demandé pourquoi ils font ceci, ils m’ont répondu que c’était une précaution pour éviter tout problème et toute agression, les personnes en uniforme étant devenues la cible privilégiée des protestataires de tous genres. Pour eux, Jendouba serait devenu, depuis la révolution, une ville dangereuse.

Depuis, ce fut le silence absolu dans la voiture, jusqu’à Jendouba où nous nous sommes quittés. Après leur descente, je ne me suis pas interdit de pousser un soupir de soulagement et de m’arrêter carrément pour reprendre mes esprits. J’ai eu vraiment peur.

En reprenant la route, j’ai commencé à saisir de visu le degré d’infiltration des corps en uniforme par des salafistes, à mieux apprécier la tolérance de la police avec «cette secte», à mieux comprendre le comportement de la police lors de certains évènements dont la répression sauvage de la manifestation du 9 avril 2012 et la récente prise d’assaut de l’ambassade des Etats-Unis à Tunis.

La stratégie sécuritaire arrêtée pour défendre le siège de l’ambassade était nulle et relève soit d’un amateurisme criard, soit d’une complicité des policiers qui avaient accompagné ses hordes sauvages tout le long du parcours (Tunis-Les Berges du Lac) et encouragé, ainsi, leurs attroupements devant la façade de l’ambassade alors que des renforts salafistes arrivaient du Kram (au sud), de La Marsa (Est) et d’Aouina (Nord).

C’est vraiment bizarre. Si notre police, pourtant avertie depuis plusieurs jours de cette manifestation, est incapable de protéger un bâtiment d’à peine quelques mètres carrés, nous sommes en droit de nous poser toutes les questions sur le rendement du ministère de l’Intérieur, et partant, sur notre propre sécurité.

Abou SARRA

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