PORTRAIT – Ahmed Souab : Le juge syndicaliste

mohamed-souab-tunisie-tribunal-administratif

Il est celui qui a défendu publiquement et médiatiquement les jugements du Tribunal administratif concernant la nouvelle composition de l’ISIE, car certains de ses nouveaux membres ne répondent pas aux critères requis suite à une plainte de la société civile; celui qui a épinglé et condamné certains constituants pour cumul des revenus publics en devenant ministre; celui qui a bloqué le projet de hausses des salaires des élus de l’ANC et a ordonné de suspendre leurs indemnités …

Membre fondateur du Syndicat des Juges administratifs, Ahmed Souab est une des grandes figures du Tribunal administratif de Tunis. Ses responsabilités, il les assumait déjà du temps du régime déchu quand, par exemple en 2004, il a présidé la Chambre qui a statué sur l’affaire de l’usage de la technique des emplois fictifs (affaire similaire à celle intentée contre Chirac et la mairie de Paris) et a condamné le Rassemblement Constitutionnel démocratique (RDC) durant ses jours de pleine et grande puissance.

Confiant dans l’avenir et combatif, il refuse de rester simple observateur résigné à «cette neutralité qui tue» et se considère «juge organique» dans le concept gramscien* du terme. Engagé, il estime que le pays est simplement en transition: «même pas en phase de transition démocratique et même avec une éventualité de transition fascisante avec une instrumentalisation de la justice, le noyautage de l’Administration, notamment celles en rapport direct avec les futures élections et l’étranglement exercé sur les médias en sus d’une légitimation théocratique».

Quand je lui propose de le rencontrer dans un des hôtels du Lac de Tunis, il répond «Non merci. Un café à 10 dinars!». Il arrive au rendez-vous directement du marché central où il fait ses courses régulièrement, et aiguise ses messages de vulgarisation et de réconforts concernant la phase délicate que vit le pays à ceux qui l’accostent.

Sa franchise et son parler vrai lui ont taillé une popularité incontestable auprès des gens et des élites du pays. Hissé au rang des figures qui ont émergé au lendemain de «la révolution 17/14» comme il préfère l’appeler, il ne pense pas mériter plus que d’autres sa notoriété.

Il explique : «Je suis un enfant du peuple issu des quartiers populaires de Tunis. Né dans la Médina, élevé à la cité Ezzouhour, formé au lycée Ibn Charaf à Mellassine et amélioré dans le quartier de Lafayette, j’ai en moi la Tunisie. Elle m’habite. Pourquoi suis-je plus visible et audible que d’autres? Sans doute par un concours de circonstances, un suivi pas à pas de la révolution. Sans doute aussi car l’inverse des élites, j’ai des rapports verticaux et horizontaux avec les Tunisiens. Je ne me suis jamais coupé de ma terre, de mes origines. Bien au contraire, je me nourris de ses entrailles».

Accusé d’être anti «Ennahdha», il s’en défend avec véhémence: «J’exerce mon métier en toute transparence et en vertu des pouvoirs qui me sont conférés, et mes convictions personnelles n’interfèrent en rien. Ces accusations non fondées se basent sur le fait que j’étais membre de la Commission mixte sur les événements du 4 décembre 2012 contre l’Union générale tunisienne du travail (UGTT). Peut-être aussi sont-elles basées sur le fait que j’étais présent assidument à toutes les manifestations de le Société civile et au sit in du Bardo».

Cependant, Ahmed Souab reste confiant. Et cette confiance, il la tire de l’histoire mais aussi de ce qu’il lui a été donné de vivre surtout depuis les événements du 14 janvier. D’abord, le peuple qui s’est mobilisé du 17 décembre 2010 au 14 janvier 2011. Ceux qui essayent d’amoindrir son rôle sont des usurpateurs. Les préemptions et les indices s’accumulent ainsi qu’une intime conviction indiquent qu’une bonne partie de ceux qui nous gouvernent directement ou indirectement sont impliqués avec l’ancien régime. Rappelez-vous le beau titre d’un article d’Oum Zyed «Si vous êtes des Hommes, sortez les Archives!

Le second élément qui m’inspire à la confiance est la femme, son poids et rôle ancrés dans ce pays. Souvenez-vous quand il a été question de complémentarité et non d’égalité avec les hommes le lever de bouclier qu’il y a eu toutes catégories sociales confondues!»

Au moment de quitter le juge, son téléphone sonne encore une fois. Une radio nationale lui demande d’expliquer sa dernière décision de refuser la sélection de la nouvelle ISIE. Comme à son accoutumée, il n’y va pas par quatre chemins. Il enlève ses lunettes et ses yeux verts deviennent encore plus perçants: «Comment voulez-vous que je statue? Il y a un membre de l’ISIE qui est présenté au nom d’une catégorie professionnelle dont elle n’est même pas issue. Cette nouvelle ISIE, dans sa totalité et non pas sectorielle, tombe sous le couperet de 7 jugements en référés … Ce n’est vraiment pas sérieux!».

Une chose est par contre bel et bien sérieuse, c’est le rôle que joue et compte davantage jouer le Tribunal administratif tunisien en cette phase de reconstruction du pays et de ses institutions, avec dans ses entrailles des dizaines de juges comme Ahmed Souab qui pensent que le Tribunal, c’est la justice. La justice, c’est le droit et le droit est unique et indivisible.

Le texte complet sur WMC