Face à la suprématie des partis et de l’Assemblée, quelle sécurité et quelle justice  en Tunisie ?

Nous avions cru qu’après 2010, la justice deviendrait indépendante. Nous avions pensé qu’après 2014, l’institution sécuritaire allait reprendre du poil de la bête et occuper sa véritable place au sein de la pyramide de l’Etat. Il n’en est malheureusement rien, à ce jour ! Le maintien en prison de Sami Fehri, malgré la décision de relaxe de la Cour de cassation et l’intrusion violente et provocante d’un député extrémiste dans un poste de police pour libérer un salafiste accusé de terrorisme, en sont des preuves évidentes.

Le pire est la mollesse des autorités de tutelle et du chef du département de police à Kairouan et du ministère de l’Intérieur par la voix de son ministre, Hichem Fourati. «Je suis pantois, déclare Chokri Hamada, porte-parole des forces nationales de sûreté interne. Comment ça se fait que le premier responsable sécuritaire de Kairouan n’ait pas sollicité le procureur de la République pour prendre des dispositions à l’encontre du député en question ?».

De quel droit un député, fût-il bénéficiaire de l’immunité parlementaire, pénètre-t-il un lieu représentant la souveraineté de l’Etat et humilie le chef de poste et ses officiers ? Si ce n’est que le pouvoir exécutif n’a plus aucune envergure et qu’il est à la merci des élus du peuple.

Les constituants se sont accordé tous les droits. Pire, ils ont mis en place des instances qui ont porté un coup fatal à l’exécutif dans notre pays. Pourquoi un ministère de la Justice ? Pourquoi une Cour des comptes et des contrôleurs de dépenses, des auditeurs si nous avons une INLUCC et une ISM ?

On avait promis que, grâce à la lutte contre la corruption, on réalisera 2 à 3% de croissance. Qu’en est-il aujourd’hui ? Aucune croissance notable et la Tunisie est aujourd’hui classée 74ème par l’Indice de perception de la corruption -en 2010, elle occupait le 59ème rang en matière d’intégrité avec une note de 4,3. La «dictature» ferait-elle mieux que la démocratie importée ?

Trop d’institutions tuent les institutions !

Résultat des courses : trop d’institutions tuent les institutions. Un député bafoue les règles basiques en matière de communication avec l’exécutif. Fort de l’article 68 de la Constitution et de son immunité judiciaire, il ignore un autre article (69) qui prévoit qu’il peut être arrêté en cas de flagrant délit après information du président de l’Assemblée. Maher Zid est Dieu sur Terre, intouchable, invincible !

Commentant son ingérence, un citoyen tunisien, H.A, exprime dans un post FB  son amertume et son désarroi : «Je suis triste et en colère, et je sais pourquoi. Ce n’est pas à cause de l’intervention du député pour s’opposer à l’interrogatoire d’un citoyen interpellé. Non, c’est la réaction passive et amorphe des agents du poste de police devant cette intrusion… Que dit la loi ? C’est un article caractéristique par son numéro, le 69, de la Constitution qui stipule «… Toutefois, en cas de flagrant délit, il peut être procédé à l’arrestation du député, le président de l’Assemblée est informé sans délai et il est mis fin à la détention si le bureau de l’Assemblée le requiert.

On parle de flagrant délit. Je ne pense pas qu’il y ait acte plus flagrant que l’irruption musclée dans un poste de police. Je ne pense pas qu’il y ait délit plus grave que de soustraire un accusé des mains de la police sans oublier que le député intervenant est un repris de justice. Les agents du poste n’ont aucun devoir de le reconnaître, de reconnaître son autorité ou à recevoir des ordres de sa part.

En vertu de la séparation des pouvoirs, la communication entre les députés et l’exécutif se fait par le canal du bureau de l’Assemblée et le ministre en charge de l’activité.

Les policiers auraient dû l’arrêter manu militari, informer immédiatement la chaîne de commandement qui fera remonter l’information jusqu’au bureau de l’Assemblée. Le temps que le quorum soit réuni et au cas où l’opposition ne réussit pas à s’opposer à sa libération, les agents auront eu le temps de lui souhaiter la bienvenue. Ce n’est pas un rêve aux pays du droit et des institutions, c’est la seule réponse à une telle imbécillité parlementaire ».

Il n’y a rien à ajouter si ce n’est que la guerre livrée à toutes les institutions de l’exécutif est en train de porter ses fruits et la justice n’est pas épargnée !

« Nous sommes tous des otages »

«Nous sommes tous des otages, s’est écriée Maya Ksouri, chroniqueuse sur la chaîne Al Hiwar. Nous sommes victimes de chantages, et si nous venions à révéler la vérité sur ce qui se passe, peut-être que vous ne nous croirez pas. Je le dis aujourd’hui à voix haute pour que personne ne prétende un autre jour ne pas être au courant».

Maya parle de l’affaire de Sami Fehri dans laquelle la Cour de cassation a émis un jugement de relaxe rejeté par le procureur général de la République. Une autre cour a été convoquée dans la journée, et avant même que l’ordre de libérer le détenu arrive à destination, un autre mandat de dépôt a été livré à son encontre ! Un précédent dans l’histoire de la justice tunisienne ! Casser la décision de la juridiction la plus élevée.

Ce qui fait de Sami Fehri un détenu sans aucun fondement légal soit un délit relevant du pénal.

La justice est aujourd’hui dévoyée et sert des agendas politiques ignorant totalement les voix qui s’élèvent pour dire qu’un pays sans justice est un pays invivable. Les conséquences d’un exercice judiciaire à la solde ne sont pas uniquement dangereuses pour les simples justiciables mais aussi pour le climat d’affaires. Quel investisseur viendrait dans un pays où si ses droits sont bafoués, on ne lui rend pas justice ?

Sami Fehri n’est pas le seul homme des médias à être harcelé par les partis au pouvoir. Nabil Karoui l’est autant et ses positions politiques chancelantes illustrent parfaitement sa vulnérabilité et sa peur de retrouver de nouveau les murs de la prison Mornaguia !

Ce que le peuple tunisien refuse de voir est que ce qui arrive à Sami Fehri et à Nabil Karoui peut arriver à n’importe qui d’entre nous. Ces deux acteurs importants des médias de la place ne sont peut-être pas blancs comme neige, mais leurs affaires ne méritent pas non plus pareil acharnement dans un pays où les contrebandiers siègent à l’ARP et les corrompus politiques sévissent en toute liberté ! Nous l’avons compris, ce qu’on veut est surtout ligoter les voix libres qui s’expriment à travers leurs médias.

Les partis révolutionnaires se taisent et les droit-hommistes ignorent. Mais nous le savons depuis 2011, ceux qui prétendent défendre la liberté d’expression et les droits humains ont créé un écosystème qui leur est propre. Ils se défendent entre eux, ils militent pour servir leurs propres intérêts et réaliser leurs ambitions égoïstes. Les voix libres qui ne sont pas les échos de leurs délires et leurs propagandes ne suscitent aucun intérêt chez eux. Et ce qui est encore plus dramatique pour nous autres Tunisiens, c’est que la justice dévie, des fois, et n’est pas rendue dans le respect de l’esprit des lois et de l’équité. Un juge digne et loyal ne peut se soumettre au diktat de qui que ce soit sinon l’indépendance de la justice ne serait qu’un leurre au service d’une propagande démocratique !

Dans la Tunisie de la démocratie, nous sommes tous en liberté provisoire !

Amel Belhadj Ali