“En attendant les Hirondelles” : promenade visuelle et spirituelle singulière dans le cinéma de Karim Moussaoui

Dans la fabrication de son film “En attendant les Hirondelles” et le processus de ses structures, le réalisateur algérien Karim Moussaoui a mentionné dans sa conférence de presse que son but à travers son art est “de proposer non pas de risquer mais de perdre tous les repères que les spectateurs ont l’habitude en regardant un film, sans pour autant donner le temps pour s’habituer à un personnage, une histoire, un lieu ou une génération”.

Un pari qui a certainement eu le même impact voulu sur le spectateur qui se trouve parfois perdu, en perte de repères dans un scénario et un récit déroutant mais agréablement écrit malgré une certaine lenteur dans le rythme général sauvé par des scènes de joie, de musique et de mariage qui renvoient le spectateur vers le cadre initial du film.

A l’issue de la projection de cette fiction, jeudi soir au Colisée, Moussaoui qui concourt dans la compétition officielle des Journées cinématographiques de Carthage 2017 a tenu à défendre une forme d’éloge à l’errance”, revenant sur l’année 2009, période durant laquelle il avait commencé l’écriture de son scénario, en se posant des questions auxquelles il n’avait pas systématiquement des réponses, sur nos certitudes et notre héritage historiquel.

Le titre “En attendant les Hirondelles”, était en premier lieu une forme de réponse à soi, au réalisateur qui a choisi d’introduire trois histoires et trois expériences, “en attendant que les choses changent”.

Dans ce second film, après un court-métrage en 2013 sur la vie de deux adolescents dans les années 90 et la décennie noire, la nouvelle approche de Moussaoui est celle d’histoires et de scènes “en mouvement continu”, dit-il, avouant le recours, parfois à “la digression”. Il avait “envie qu’on soit jamais fixé dans quoi que se soit”. Il a expliqué que cette structure filmique basée sur la narration, celle de l’histoire d’un trio de générations, de vies et de lieux différents, laissant entendre au final “un récit général sur l’etat d’un pays”.

Sur l’autoroute qui mène d’Alger vers Biskra, la porte du désert, les paysages sont magnifiques, la quiétude et le calme sur les hauteurs des larges territoires de cette région du Nord-Est d’Algérie cachent bien des histoires, une certaine douleur profonde et une perte de repères chez des gens à travers des expériences uniques et personnelles mais dans lesquelles tout un chacun peut s’assimiler d’une manière ou d’une autre.

Un voyage paisible au cœur de l’Algérie lointaine sur des lieux et d’expériences très personnelles. On se réveille sous les rayons des vastes territoires des montagnes arides à perte de vue et les chants de différentes cultures. Dans les trois cas, il y a le personnage de Mourad à Alger qui se trouve dans une situation où il se contente de voir une personne en train d’être tabassée sans pour autant penser à l’aider.

Bien que leurs chemins se sont séparés, deux amoureux se retrouvent à nouveau gardant, toujours, en eux cette soif de vivre et de refaire ce qu’ils n’avaient pas réussi à faire dans le passé. Engagés chacun dans une nouvelle vie, ils aspirent à renouer le contact sauf qu’ils ont déjà pris un nouveau départ.

Dahman, neurologue, se trouve en face d’une femme victime d’un viol collectif dont il était le seul témoin, il y a des années par des terroristes dans le maquis. Elle lui rappelle le passé, créant une certaine confusion chez le spectateur. Malgré les atrocités subies, elle s’accroche au bout d’espoir et demande à Dahman de l’enregistrer sous son nom. “Je ne voulais pas mourir”, lui dit-elle, avant de poursuivre “je ne savais pas que je tenais autant à la vie”.

Hassan Kachach dans le rôle de Dahman, parle d’un “personnage qui est sous la pression des exigences de la société, avec la volonté de se réconcilier avec lui-même, son passé, son entourage et la société aussi bien que cette idée d’hypocrisie sociale. ”

Pour l’actrice Nadia Kaci, cette femme -qui fait partie des gens qui n’ont pas les moyens de faire changer sa vie-, est un personnage qui touche énormément. Car pour Kaci, “l’attente est aussi une forme de passivité qui est même une forme d’action”.

La structure du film pour Moussaoui “a été présente depuis le début de l’écriture”. Pourquoi elle a été pensée ainsi?. Sa réponse : ” j’ai voulu aborder des histoires qui m’intéressent énormément tout en essayant de les raconter selon une structure narrative différente de qu’on en a l’habitude au cinéma”.

Son approche d’écriture cinématographique ne passe obligatoirement pas par les mots et le discours classique. Ses personnages, aux expériences largement distinctes, il les place dans un contexte là où il y a “toujours un blocage qui vient d’une forme de l’impossibilité de faire un choix, avec cette tendance qui fait qu’on abandonne les histoires avant de les résoudre.”

Le film part de personnages qui en quelque sort se trouvent dans des lieux sécurisés et tout ce qui les rassure dans leur confort quotidien et à un moment donné, ils se trouvent dans des situations moins sûres où l’on est face à l’inconnu. “Je fais l’éloge de l’inconnu partant de cette idée de besoin que les choses bougent dans les endroits sécurisés”.

Dans le cadre naturel du décor du film où le choix est porté sur l’intension que le réalisateur cherche à installer dans l’histoire, “le rapport avec l’autre change et devient beaucoup plus simple et plus fort”. L’incapacité de chacun à avoir une vision claire est aussi expliquée par le silence qui raconte le non-dit, aussi bien chez le personnage que le spectateur.