Chiraz Laatiri : Vers une refonte totale de la philosophie de la production dans le cinéma tunisien

En concomitance avec les Journées Cinématographiques de Carthage, ressurgissent les valeurs et les fondements de l’Industrie du cinéma du Sud qui-depuis l’époque de Tahar Cheriaa et Ousmane Sembène- n’ont cessé d’être les moteurs qui animaient, ce rendez-vous désormais annuel des cinéphiles, professionnels et industriels du cinéma.

Et comme à chaque année, depuis déjà plus d’un demi-siècle, l’image et le son reviennent en force aux devants de la scène culturelle, pour dresser tout un tableau sur lequel se répandent diverses expressions artistiques avec de multiples messages.

Sauf que le diagnostic du développement et la dynamique cinématographique ainsi que les moyens d’assurer une plus grande visibilité du 7ème Art tunisien à l’international mènent à des constats qui préoccupent encore les acteurs du cinéma dont le premier vis-à-vis demeure le Centre national du Cinéma et de l’image (CNCI) siégeant actuellement à la Marsa avant d’être logé en mars 2018 dans les nouveaux locaux de la Cité de la Culture.

Dans une interview accordée à l’agence TAP, Chiraz Laatiri directrice du CNCI est revenue sur l’état des lieux du cinéma tunisien tout en évoquant les grandes réformes envisagées pour les années à venir, notamment en prévision de l’ouverture de la Cité de la Culture qui abritera entre autres, la nouvelle division de la Cinémathèque tunisienne et la direction du cinéma, principal partenaire et grand maillon entre le CNCI et les professionnels du cinéma.

Billetterie en ligne et législation du CNCI au coeur des démarches à adopter en 2018

En l’absence d’un cadre législatif transparent qui fixe et gère l’exploitation et la distribution cinématographique, Chiraz Laatiri, récemment nommée à la tête du CNCI, a dressé l’état des lieux du cinéma national évoquant de grandes lacunes se rapportant à la législation et à son application.

En tête des causes qui ont abouti à ces lacunes, elle mentionne “le manque d’information sur le pourcentage de la billetterie et les recettes que rapportent les films projetés dans les salles de cinéma” ce qui nécessiterait, selon elle, la mise en place d’un dispositif général de billetterie en ligne qui sera adopté début 2018″. A cet effet, le CNCI procèdera à “la mise en place des équipements nécessaires dans les salles de cinéma afin d’avoir des données bien claires et tangibles sur les nombre de spectateurs et les recettes”.

Cette initiative vise à “relever les défis du cinéma tunisien -qui de l’avis de la plupart des professionnels, en particulier les producteurs et réalisateurs-, devra être accompagnée par une amélioration de la subvention annuelle allouée ce qui permettra de réaliser des oeuvres cinématographiques de qualité”, a-t-elle avancé.

Avec la problématique qui se pose toujours à son application, actuellement, la loi relative à la subvention publique dans le cinéma est en cours d’amendement en prévision de son adoption prévue pour le mois de février 2018. La subvention financière habituellement versée aux producteurs sera “retranché sur les recettes que chaque producteur de film payera obligatoirement, au profit du CNCI, à travers le versement, sur des étapes, d’un certain pourcentage de recettes.”

Les larges prérogatives du CNCI, telles que mentionnées dans le décret de loi de 2011, et relatives essentiellement à la mise en place de la politique nationale pour les secteurs du cinéma, de l’image n’ont pas été mises en oeuvre. Elles se rapportent entre autres au développement du 7ème Art comme une industrie, avec tout le soutien qui accompagne les diverses étapes la réalisation d’un film, allant de la création et l’autorisation de tournage jusqu’à la production, la distribution, la diffusion et les visas d’exploitation.

Selon la directrice du CNCI, une réforme de différentes closes de ce décret-loi est actuellement en phase finale afin de surmonter certaines problématiques en y introduisant de nouveaux textes concernant le guichet unique et qui fixent aussi les montants et les moyens de paiement des subventions.

Selon les estimations du CNCI, la nouvelle loi qui “sera fin prête début 2018, couvrira essentiellement les autorisations de tournage sur le territoire tunisien, sachant que les demandes d’autorisation seront adressées au guichet unique du Centre, qui sera le seul vis-à-vis des industriels du cinéma”.

S’agissant des rapports entre le CNCI et la direction du cinéma au sein du ministère des Affaires Culturelles, Laatiri a parlé d’une direction qui fera office de “trait d’union et médiation entre le Centre et le ministère de tutelle en tant que partenariale stratégique du CNCI.”

Evoquant l’absence d’un représentant du CNCI à la commission d’aide à la production cinématographique, la responsable a mentionné “une omission” tenant à préciser que “le centre a déjà exigé auprès du ministère de tutelle qu’il soit associé aux travaux de la commission au titre de l’année 2017 et qu’un représentant permanant y sera dépêché à partir de 2018”. Une démarche qui “répondrait à la logique et aux demandes formulées par les professionnels du cinéma”, selon ses dires.

Elle a fait état de deux commissions qui examineront les demandes d’aide à la production cinématographique dont la première est composée d’experts en finances qui se chargent de l’examen des projets présentés. Sur les quatre sessions programmées sur une seule année, seulement 30 projets seront mis à l’examen durant chaque session. Producteurs, réalisateurs, scénaristes et critiques seront représentés quant à eux au sein de la seconde commission.

Selon elle, “la philosophie du soutien à la production dans le cinéma sera marquée par une refonte en profondeur pour consacrer le principe de la transparence, sans pour autant se limiter uniquement au budget public alloué au CNCI qui optera davantage pour des sources supplémentaires de financements auprès des mécènes privés”.

Elle a rappelé l’expérience réussie de jeunes cinéastes ayant parvenu par des autofinancements à réaliser des oeuvres qui ont fait le tour des grandes manifestations cinématographies mondiales, à l’instar des films ” Bonbon” de Abdelhamid Bouchnak (2017) et “The Last of Us” de Aleddine Slim (2016), seul film tunisien présenté dans la catégorie du meilleur film étranger, en course pour les Oscars 2018.

“Cinema Lab” et un nouveau festival pour enfant

La numérisation des archives du cinéma national se fera dans le cadre de la Cinémathèque nationale, structure relevant du CNCI, qui abritera le patrimoine audiovisuel en veillant à sa préservation, numérisation et à la diffusion des oeuvres cinématographiques tunisiennes.

Le Cnci oeuvre à ce que la Tunisie disposera d’un Laboratoire de numérisation cinématographique au sein de ses différents organes qu’abritera la cité de la Culture. Il sera baptisé “Cinema Lab” moyennant une enveloppe totale “actuellement estimée à 3 Milliards de dinars, une somme qui sera réservée à la restauration, préservation, promotion et sauvegarde de ce patrimoine “, a assuré Laatri.

Ce prochain né de “Cinema Lab” devra donner vie à ce patrimoine qui se trouve condamné à être figé, entre les rayons dans les dépôts éparpillés entre le ministère des Affaires Culturelles, la Bibliothèque nationale de Tunisie (BNT) et les Laboratoires de Gammarth -où logeait, jusqu’en 1983, la Satpec (Société anonyme tunisienne de production et d’expansion cinématographique)- qui abritent la grande partie de ce patrimoine “qu’il faudrait d’urgence rassembler et répertorier”.

Une convention sera signée le 7 novembre courant entre le CNCI et la BNT en vertu de laquelle le centre procèdera à la protection du patrmoine cinématographique national qui sera rassemblé dans les cinq dépôts situés au 8ème étage de la BNT, avec l’appui du CNC français (Centre national du cinéma et de l’image animée) et autres institutions universitaires tunisiennes spécialisées dans le cinéma et les archives.

Par ailleurs, le CNCI avait procédé à la restitution des archives du cinéma national qui se trouve en France par le biais d’une convention avec le CNC français qui permettra d’accéder gratuitement à ces archives avant de pouvoir dans une étape ultérieure avoir les autorisations d’avoir des copies de ces productions nationales. Cette démarche s’inscrit dans le droit fil de “la reconnaissance mutuelle entre les deux pays et de l’importance de sauvegarder la mémoire nationale de chaque pays et sa restitution à son pays d’origine.”

A la lumière du retard dans la réunion de la commission d’acquisition des droits d’exploitation des films au titre de l’année 2017, Laatiri a parlé de plusieurs concertations ayant eu lieu au sein du CNCI, depuis sa récente nomination.

L’ancienne direction -dirigée par Fathi Kharrat sorti en retraite-, “n’a pu vérifier l’existence d’un budget pour la commission de 2017 puisque elle ne disposait pas d’un reliquat du budget pour l’acquisition de nouveaux films par l’actuelle commission”. Face à “cette situation contraignante et afin de ne pas annuler les travaux de l’actuelle commission, dit-elle, la solution provisoire était de s’endetter sur une tranche budgétaire des finances prévues pour 2018 afin d’acquérir les films au titre de l’année 2017”.

Laatiri compte sur “un retour à la normale de la situation, au courant de l’année 2019 qui verra l’attribution d’un budget permanent à la commission d’acquisition des droits d’exploitation des films pour ne plus recourir aux excédents budgétaires ce qui garantira la continuité du travail quelque soient les responsables”.

La 28ème éditions des JCC verra le lancement d’un projet prometteur pour l’intégration de la formation dans le cinéma dans les écoles de base en Tunisie à travers la création d’ateliers cinématographiques dans les différentes régions du pays afin d’inculquer aux générations futures les bases de la production cinématographique dès leur jeune âge, à travers la réalisation de documentaires qui émanent de la réalité.

Baptisé “Mille et un film” ce projet sera réalisé avec le concours du ministère de l’Education, de la Fondation Rambourg et d’écoles étrangères basées en Tunisie, telles que celles du Canada et des Etats-Unis d’Amérique, qui ont manifesté leur intérêt à s’inscrire dans ce nouveau partenariat”, a souligné Laatiri.

Cette nouvelle expérience devra constituer une étape préparatoire avant le lancement en 2019 d’un festival de film pour enfant à portée maghrébine et/ou méditerranéenne.

Outre les réunions périodiques nationales entres les acteurs de l’industrie du film, la promotion de l’image et le rayonnement du CNCI à l’échelle internationale se fera, à priori, à travers la plateforme web du Centre en y introduisant une base de données au profit des producteurs étrangers et en alimentant, régulièrement, le site par, entre autres, des reportages et des nouveautés sur les lieux de tournage.

Le CNCI projette de bien se positionner à l’international, une fois les conditions seront réunies pour la création d’espaces au sein de certaines manifestations internationales. Le centre s’engage aussi à réaliser le projet de l’industrie numérique créative dont les bases seront dévoilées dans des prochaines rencontres, a- t-elle conclu.