Une année après le déclenchement des émeutes populaires contre les tenants de l’ancien ordre mafieux, qui a succédé au long règne du père fondateur de la Tunisie moderne, la guerre du calendrier révolutionnaire continue de plus belle. Entre de larges franges de la population tunisienne. Du nord au sud du pays. Pour la finalisation de la date originelle. La définition de la révolution. Des parts des régions. Des mérites des uns et des autres…Hélas ! Chacun voulant monter sur les épaules de l’autre…Un jeu de leurre ! Quelle illusoire manifestation des caprices humains, à l’intérieur de la prison du temps !
Si certains appellent à sanctuariser la journée du 17 décembre 2010. A faire de Sidi Bouzid la Mecque du printemps arabe. D’autres, qui n’ont pas peur des anathèmes et prennent le risque de choquer de chastes oreilles, s’attachent à la symbolique du 14 janvier 2011, à la mémoire de Mohammed Amari, diplômé de l’enseignement supérieur, premier manifestant politique, criblé de balles à Menzel Bouzayane, aux mouvements de foule de l’avenue Habib Bourguiba, aux classes moyennes de la capitale et au petit peuple de gauche et des artistes, qui ont cerné le Ministère de l’Intérieur jusqu’à 15h de l’après-midi. Obligeant le locataire de Carthage à quitter les lieux. Dans la tourmente et la panique.
Déjà, au vu de ses récentes allocutions, Mr Moncef Marzouki, Président de la République, a pris position. Choisi son camp. A la hussarde. Comme d’habitude. Caressant au sens du poil les habitants de Sidi Bouzid.
Apparemment, il faut un certain délai d’apprentissage à l’ex-patron du Parti du Congrès pour la République(CPR) pour sortir du champ partisan. Et prendre de la hauteur.
Hamadi Jébali, fin politique, toujours prêt à décocher un sourire, a fait preuve de plus de prudence. Honore toutes les dates. Sert tous les événements. Fait de la politique à côté de la politique.
La gauche, sommée de se prononcer, se cantonne dans l’expectative. Ne se lie pas les mains. S’explique. Arase les différences. Observe une prudence de sioux. On a même entendu Chokri Belaid, coordinateur et porte-parole du mouvement des Patriotes-Démocrates(Watad) parler de la révolution du 17 décembre et 14 janvier 2011. Eh ! Oui…Disait Alain Krivine, avec les partisans du petit père des peuples, la vérité reste latente, comme suspendue dans l’atmosphère du texte, inassouvissable désir…
Seulement, la plupart des tunisiens semblent oublier la date du 24 décembre 2010, qui a vu la localité de Menzel Bouzayane, naguère haut lieu de la lutte contre le colon français et repère, depuis les années soixante-dix, d’éléments trotskistes aguerris, partisans inconditionnels de la révolution permanente, battre le rappel des lésés, exploiter la veine de la colère et du défi, se soulever contre la dictature, offrir à la nation son premier martyr, tué par balles et donner ainsi à la révolte en gestation, encore sous le signe du fait divers à Sidi Bouzid, une tournure politique claire avec des assauts répétés et bien organisés contre les éléments de la Garde Nationale, retranchés dans leurs bâtiments, obligés, d’après la version officielle, de tirer sur une foule déterminée, bien encadrée, décidée à en découdre.
D’ailleurs, sentant le vent de la révolte prendre de l’ampleur à Menzel Bouzayane, le premier communiqué officiel du Ministère de l’Intérieur a dénoncé le durcissement des émeutes dans la localité, pris acte de la présence, au sein de la foule insurgée et émeutière, d’activistes professionnels, prêts au corps à corps avec les forces de l’ordre et alerté, de ce fait, les autorités politiques sur la radicalisation en cours. Car le vrai match a commencé et la donne s’en trouve changée, comme les rapports de force… Ce qui est vrai, clamait Pascal, n’est jamais réfuté.
Imededdine Boulaâba