Tunisie : La corruption décriée et tournée en dérision sur le toile

La vidéo montrant un agent de police en train d’exiger un pot-de-vin de 40 dinars à un automobiliste, à Gabès (Sud de la Tunisie), a inspiré les internautes et déclenché leur hilarité. Sur leurs comptes Facebook, ils ont largement partagé la vidéo et commenté, avec dérision, cet acte révélateur d’un mal endémique qui persiste en Tunisie : la corruption.

L’agent filmé a été suspendu, le 7 juin 2016, et sera traduit devant la justice, d’après le porte-parole du ministère de l’Intérieur. C’est loin d’être une blague.

Il est passible de 20 ans d’emprisonnement, en vertu du Code Pénal (art 84) lequel stipule que toute personne ayant la qualité de fonctionnaire public ou assimilé qui provoque la corruption est passible d’une peine de 20 ans d’emprisonnement et d’une amende double de la valeur des présents ou des promesses agréées.

D’après l’avocat, Karim Jouaihia, l’agent comparaitra devant la justice conformément à la loi en vigueur, mais tout dépendra du déroulement des auditions et de l’avis de la justice concernant les preuves de cet acte de corruption (vidéo..) et aussi des circonstances de l’acte.

La vidéo filmée par l’accompagnatrice du chauffeur, montrait, clairement, l’agent de police menacer le conducteur de saisir sa voiture et de l’emmener à la fourrière s’il ne paye pas la somme demandée.

Il a insisté pour avoir ce bakchich comme si c’était un droit acquis. Sa manière a choqué et suscité l’indignation sur le toile. Mais, elle a surtout inspiré les internautes qui ont raconté de tas d’anecdotes à ce sujet.

Un site électronique a même titré “Chez les brigades d’intervention, la corruption a un tarif fixe : 40 dinars “.

La réplique sur Facebook d’un internaute a été “Dieu merci, d’autres policiers se contentent d’un billet de 10 dinars “, en réaction à un autre qui défendait l’agent filmé, en disant qu’il ne représente qu’un nombre infime de policiers corrompus.

Ce qui a fait rire les accros de FB, c’est surtout le ton et les mots adressés par l’agent au chauffeur. “Vous ne connaissez pas les règles? je vous dis 40 dinars et pas un sou de moins, J’ai juré que ce sera cette somme, vous n’allez pas quand même pas, me pousser à jeûner pour parjure”, lance fermement l’agent au conducteur, qui a fini par payer la somme.

Selon le baromètre mondial de la corruption “Global Corruption Barometer 2015/2016”, 27% des personnes sondées en Tunisie ont indiqué que la police (la plupart ou la majorité) est gangrénée par la corruption, suivie par les responsables de la fiscalité (23% des personnes interrogées). 64% des sondés en Tunisie ont déclaré que la corruption a augmenté en 2016 par rapport à 2015.

Une étude sur la perception de la corruption effectuée auprès des Tunisiens, par Transparency International (TI) en 2011, avait déjà, démontré, que les secteurs et structures, perçus comme étant les plus touchés par la corruption sont la police, le pouvoir législatif et l’administration centrale.

En réaction à la suspension de l’agent filmé, le Syndicat National des Forces de Sécurité Intérieure (SNFSI), a appelé, dans un communiqué, à l’application de la loi, pour toute personne dont l’implication dans la corruption a été prouvée, qu’elle soit du corps de la sureté nationale ou d’un autre.

Nabil Ayari, secrétaire général du SNFSI a déclaré que le syndicat dénonce ces pratiques irresponsables de quelques agents appartenant à l’institution sécuritaire qui portent préjudice à la réputation de ce corps et donne une mauvaise image de la nouvelle police républicaine.

Selon ses dires “l’acte est individuel et ne représente pas les agents de sécurité qui veillent à la protection de la Tunisie et du peuple tunisien et qui ont présenté pour cela, des dizaines de martyrs”.

Un mal qui persiste et s’aggrave

En dépit de l’installation d’un arsenal juridique et institutionnel de lutte contre la corruption, dont notamment, un portail pour dénoncer les pratiques de corruption “anticor.tn “, lancé en partenariat avec le PNUD, le fléau ne semble s’atténuer.

Selon une étude de l’Organisation internationale de la Transparence (OIT) parue en 2016, 9% des Tunisiens ont avoué avoir payé un pot-de-vin à une institution publique. 91% d’entre eux n’ont pas alerté les autorités concernées quant à cette forme de corruption. La peur d’être poursuivis pour avoir “dénoncé” la corruption, était la réponse des personnes sondées, à la question suivante: pourquoi vous n’avez pas alerté les autorités?

En 2014, une étude de l’Association tunisienne des contrôleurs publics intitulée “La petite corruption, le danger banalisé”, a révélé qu’environ 27% des Tunisiens ont payé des pots-de-vin allant de 5 à 100 dinars.

Ce chiffre est suffisamment élevé pour déclencher la sonnette d’alarme, selon Transparency International. L’étude a montré aussi, que la petite corruption a fait perdre à la Tunisie près de 450 millions de dinars en 2013.

Beaucoup d’internautes ont salué la bravoure et le réflexe de la femme qui accompagnait le conducteur de la voiture, et qui a filmé l’agent en flagrant délit. Au-delà de ce qui a été fait par les gouvernements de l’après-révolution pour lutter contre la corruption, la manière la plus efficace pour dissuader les corrompus semble être la dénonciation.

Or, les dénonciateurs doivent être protégés par la loi. Un projet de loi relatif à la protection des dénonciateurs et des témoins dans des affaires de corruption a été présenté en mai 2016 au chef du gouvernement. Il sera présenté le 13 juin à un conseil ministériel restreint et le 15 courant au conseil des Ministres…..