Le président sortant réclame à cor et à cri un face-à-face avec BCE. Or, l’affaire tourne au duel. Après le décès d’un jeune de Médenine, ne risque-t-on pas l’embrasement?
L’on voyait, au fil des jours, les relations entre les deux camps des candidats restés en lice pour le deuxième tour de la présidentielle s’envenimer. Mais on n’imaginait pas que la rivalité tournerait à l’hostilité. Et que la bipolarisation politique, issue naturelle pour le deuxième tour, serait poussée vers un clivage territorial. C’est une entreprise malveillante que de chercher à dresse le sud contre le nord. La dynamique de victoire ne se fait plus en mode fairplay, car on sent une volonté d’en découdre.
Le spectre de l’affrontement se profile et on est en train de glisser vers ce scénario au vu du début de contestation, pas tout à fait spontanée, qui a lieu à Médenine. La volonté de diviser le pays est manifeste. C’était déjà en place depuis le 23 octobre 2011. Le scrutin s’est terminé par une douche froide nationale.
Deux projets antagoniques se font face, pour un bras de fer. L’un islamiste, l’autre citoyen. Chaque épreuve majeure du processus de transition a été un passage en force qui a débouché sur une crise politique d’ampleur. Nous sommes le premier pays à avoir révélé l’impuissance des institutions démocratiques. Le peuple, seul, par sa mobilisation, a tranché les grands litiges et notamment celui de la constitution. La cohabitation, des deux projets, semble être contre nature. Par conséquent, cela ne laisse pas de place à l’alternance. Un camp doit l’emporter sur l’autre. Cela met le deuxième tour en perspective d’un duel à mort et non d’une compétition démocratique avec un gagnant et un perdant. Peut-on rattraper la situation?
Le privilège du magistère, donc d’avoir le peuple de son côté
Le bon peuple s’interroge sur les raisons de la rudesse de la bataille pour la présidentielle alors que la deuxième République laisse l’exécutif entre les mains du chef du gouvernement. Il est vrai que le chef du gouvernement règne sur les rouages de l’Etat rognant, à l’extrême, les pouvoirs du président.
A cet égard, nous rappelons les propos de notre confrère HaithemMekki, chroniqueur à Radio mosaïque, qui ironisait sur les pouvoirs du président en disant que même pour charger un dinar de light sur son portable celui-ci devait en référer au chef du gouvernement. Cependant, il convient de relativiser la situation. Le chef du gouvernement est omnipotent mais sa sphère est réduite à l’enceinte de l’Assemblée.
Pour faire court, on va dire qu’il règne sous dôme. En revanche, le président de la République jouit du pouvoir suprême du magistère car il peut interpeller le peuple et le mettre de son côté et faire basculer la situation en sa faveur. Et, c’est bien ce qu’a exprimé le parti Ennahdha après le départ d’Ali Larayedh de La Kasbah: “Nous quittons le gouvernement mais nous ne quittons pas le pouvoir“.
Faut-il entendre par-là que la présidence de la République est sous contrôle? C’est bien ce que laisse insinuer Nidaa, de manière sournoise mais persuasive. Nidaa fut atterré de voir que le président sortant, toujours crédité d’un score modeste, dépasse le palier des 30% au premier tour. Il y voit un coup de main, en douce, du parti Ennahdha. Plus tard, les décomptes ont révélé que la majorité des votes en faveur de ce candidat ont été enregistrés en fin d’après-midi du 23 novembre. Nidaa considère que ce renfort est arrivé après que les premiers sondages ont laissé entrevoir la victoire de BCE dès le premier tour. On a biaisé.
Cet argument demeure vivace dans les esprits, et même si on lui oppose l’argument du rempart contre l’hégémonisme de Nidaa, Taghaouel reste pertinent. Et donc l’acharnement à abattre le candidat de Nidaa devient une fixation et un objectif pour lequel se mobilise la coalition invisible autour du président sortant que BCE a qualifié de camp jihadiste. Une formule lapidaire? Non, un outrage, soutiennent les responsables de la campagne du président sortant. Et, ils exigent des excuses publiques, en réparation. Cette exigence a été relayée, comme par enchantement, par une manifestation, semble-t-il, spontanée à Médenine.
Mais comment se fait-il que le président sortant soit soutenu hors de ses terres, c’est-à-dire à Médenine et non à Kébili? Mystère! L’ennui est que, dans le sillage de cette manifestation un jeune homme a perdu la vie, en chutant du toit d’une maison, disent les premiers éléments d’information. Les “organisateurs“ prétendent que le défunt était poursuivi par la police et cela fait repartir de plus belle la contestation.
Une stature de leader
Déstabiliser l’adversaire, chercher à le disqualifier c’est tout à fait naturel dans une compétition démocratique. Chercher par tous les moyens à l’éliminer, ce n’est pas permis car il nous met hors la voie démocratique. Quand le camp du président sortant exige de son adversaire des excuses publiques, il cherche à le neutraliser. Il cherche, de la sorte, à lui faire endosser le projet de marginaliser le sud et de favoriser le nord et le sahel. Un tel scénario signifierait une condamnation sans appel pour le projet de Nidaa, qui est un projet à vocation patriotique donc intégrateur, cherchant à rebâtir l’unité nationale. Nidaa insiste pour dire qu’il ne cherchera pas à récompenser ses réservoirs électoraux mais servira, en priorité, les régions qui lui tournent le dos.
Dans cette perspective, l’offensive lancée contre BCE serait une esquive de la part du camp du président sortant pour ne pas être démasqué. Nidaa considère qu’il sert d’écran de fumée à un projet commandé à distance par Ennahdha et ce qui reste de l’ancienne Troïka, c’est-à-dire un projet islamiste qui viserait, in fine, à détricoter l’Etat national.
Le 6ème califat semble être le but ultime encore inavoué de ce projet. A chaque fois que les deux camps se dressent l’un contre l’autre, c’est le retour du bon peuple à la rue qui a fini par faire triompher la solution patriotique et démocratique. L’ennui est que cette fois les esprits sont échauffés et les deux camps risquent de s’affronter. La mort d’un jeune à Médenine, dont les circonstances ne sont pas encore élucidées, pourrait servir de détonateur. Des voix se sont précipitées pour crier à la répression policière laissant sous-entendre que les corps de sécurité sympathisent avec Nidaa. Il y a beaucoup d’ingrédients explosifs dans ces agissements. Comment, dès lors, éloigner le spectre d’une guerre civile? Jusque-là la révolution a pu progresser sans leader.
La bataille pour la présidentielle a besoin de faire émerger un chef. La personnalisation est inévitable. L’un des deux compétiteurs doit se couler dans l’habit du chef et… obligatoirement asseoir son autorité en vue de faire rentrer les choses dans l’ordre et entrer à Carthage avec mérite.