Tunisie – CSM provisoire : Des juristes mettent en garde contre la “mainmise” de l’Exécutif sur la justice

Le décret-loi n°11 portant création du Conseil supérieur de la magistrature provisoire (CSM) ” n’est autre qu’un simple texte juridique qui vient consacrer la mainmise de l’Exécutif sur la justice, tout comme il fait table rase du chapitre V de la Constitution de 2014 dédié au pouvoir judiciaire “, ont conclu les intervenants lors d’un colloque sur l’indépendance de la justice en temps d’exception organisé, samedi, à Tunis, par ” Legal Agenda “.

Prenant la parole, la présidente de l’Union des magistrats administratifs, Refka Mbarki, a souligné que la mise en place d’un conseil supérieur de la magistrature indépendant est ” un des piliers essentiels du pouvoir judiciaire “, faisant remarquer que le texte de la loi organique sur le CSM est ” grandement lacunaire “.

De nombreuses voix se sont élevées pour revendiquer sa modification et non son abrogation, a-t-elle fait savoir, ajoutant que le nouveau décret-loi a compliqué la donne, dès lors ” qu’il est contraire à la constitution, tout comme il fait table rase du chapitre V de la constitution 2014 sur le pouvoir judiciaire “.

Revenant sur la teneur du décret-loi n°11 contesté, la juge Mbarki a dénoncé un texte qui vient consacrer la mainmise de l’Exécutif sur la justice.
Il suffit, a-t-elle dit, de passer au crible la composition de la nouvelle structure pour s’apercevoir qu’il s’agit d’un ” conseil provisoire et fictif ” placé sous ” l’autorité du président de la République ” qui dispose de l’initiative en matière de révision de la désignation.

La composition du nouveau conseil, le parcours professionnel des magistrats ainsi que la discipline et leur mutation, autant que questions qui relèvent désormais de la compétence du président de la République, a-t-elle regretté, dénonçant à ce titre une violation “criante ” de l’article 106 de la constitution qui évoque une ” compétence liée ” du président de la République en la matière, ce qui n’est pas le cas dans l’actuel décret-loi en vigueur.

La juge Mbarki a par ailleurs évoqué la délicate question de la révocation des magistrats (art.20 dudit décret-loi), tant contestée par les magistrats qui y voient une ” épée de Damoclès ” ainsi qu’une menace sérieuse à l’office des juges qui rendent des décisions audacieuses, formant le souhait de ne plus voir ce mécanisme se muer en un moyen de pression contre les juges.

Pour sa part, l’universitaire Wahid Ferchichi, a vivement critiqué le ” discours injustifié du président Saied contre les magistrats “, soulignant que ” l’atteinte à l’indépendance de la justice ne vise pas seulement les juges mais aussi et surtout les justiciables. ”

En contrepartie, l’orateur s’est dit franchement opposé à un pouvoir judiciaire absolu et ” affranchi de tout contrôle “, plaidant en faveur d’un contrôle exercé doublement par ” la société scientifique civile ” sur les magistrats ainsi que leurs décisions.