Conjoncture politique  : Les Tunisiens divisés, selon l’américain Zogby Research Services

Les résultats d’une enquête menée du 15 août au 5 septembre 2021 auprès d’un échantillon de 1 551 Tunisiens, par le sondeur américain Zogby Research Services, viennent d’être publiés.

Les conclusions de cette enquête se distinguent par leur tendance à relativiser les choses. Elles tranchent ainsi avec les résultats des sondages locaux qui « parlent de 91% des sondés satisfaits de la démarche du président Kaïs Saïed et de plus de 70% qui se disent optimistes pour l’avenir».

En voici succinctement les principales :

– L’opinion tunisienne est divisée en deux sur les décisions du président Kaïs Saïed de limoger le Premier ministre, Hichem Mechichi, et de suspendre le Parlement. 49% des sondés approuvent les mesures exceptionnelles prises par le chef de l’Etat, mais 51% se disent inquiets – bien inquiets et non opposés – quant à l’avenir de la démocratie dans leur pays.

– 45% des sondés rejettent la responsabilité de la crise actuelle sur le président du Parlement, Rached Ghannouchi, contre 29% qui tiennent le président de la république Kaïs Saïed responsable de la crise, 24% pour Hichem Mechichi et 3% seulement pour Nabil Karoui.

– Concernant la voie à suivre dans l’avenir, la majorité des Tunisiens interrogés souhaite l’organisation d’élections anticipées et la révision de la Constitution et de la loi électorale.

– La plupart des sondés ne veulent pas restaurer le système tel qu’il était, ils penchent pour un système présidentiel au lieu d’un système parlementaire.

– Les enquêteurs, Eya Jrad, chercheur et professeur assistant en études de sécurité au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique (Tunisie) et Elizia Volkmann, journaliste freelance britannique basée à Tunis, ont constaté que « les Tunisiens sont insatisfaits de leur situation actuelle, ils sont plus nombreux à dire qu’ils sont dans une situation pire maintenant qu’il y a cinq ans, et pessimistes que leur vie s’améliorera dans les cinq prochaines années ».

L’expression la plus révélatrice de ce profond mécontentement est peut-être le fait que 71 % des Tunisiens disent que la vie était meilleure avant la révolution de 2010. Sans commentaire.

L’Islam politique, premier responsable de la crise

Abstraction faite de ces révélations, le texte de l’allocution de présentation des résultats de cette enquête par James Zogby, président de l’Arab American Institute et fondateur de Zogby Research Services (ZRS), nous paraît fort intéressante et mérite qu’on s’y attarde.

Intitulé «La route cahoteuse de la Tunisie », le document revient sur les résultats des sondages effectués par ZRS en Tunisie depuis 2011 et montre comment l’opinion a changé au cours de la dernière décennie.

« En 2011, peu de temps après la révolution, 54% Tunisiens se disaient convaincus que le pays était sur la bonne voie ; les 46% restants ont dit qu’ils n’étaient pas sûrs parce qu’il était trop tôt pour le dire.

En 2013, lorsque nous avons demandé aux Tunisiens de regarder en arrière et de nous dire à quel point ils avaient eu de l’espoir en 2011, 83% ont dit qu’ils avaient été optimistes. Mais dans ce même sondage de 2013, seulement 39% ont déclaré qu’ils gardaient espoir, 55% se disant déçus.

L’opinion s’était détériorée avec seulement 27% affirmant que le pays était sur la bonne voie (avec 64% disant qu’il était sur la mauvaise voie).

Cette baisse de satisfaction était due au fait que le parti Ennahdha, qui dirigeait le gouvernement à l’époque, était considéré comme inefficace pour résoudre tous les problèmes majeurs auxquels le pays était confronté, avec environ deux tiers des personnes interrogées donnant au gouvernement des notes médiocres dans la gestion de l’économie, la protection des droits personnels et civils, la lutte contre l’extrémisme et l’arrêt de la corruption.

En conséquence, seulement 28% ont déclaré avoir confiance en Ennahdha. Il est important de noter que les Tunisiens ont peu confiance dans tous les partis politiques du pays et le Parlement.

La frustration tunisienne envers Ennahdha en 2013 et semble maintenant être motivée par son incapacité à gouverner avec compétence et à tenir les promesses de la révolution.

Après la montée et la chute de plusieurs gouvernements au cours des cinq années suivantes, en 2018 seuls 20% des Tunisiens ont déclaré que le pays était sur la bonne voie et seulement 21% ont déclaré qu’ils étaient mieux lotis qu’ils ne l’étaient cinq ans plus tôt. Et seulement 25% avaient une quelconque confiance dans le Parlement en tant qu’institution.

En 2019, en pleine élections présidentielle et législatives, on a assisté à un mouvement de hausse de l’optimisme des Tunisiens. Pour la première fois depuis 2011, plus de 50% des Tunisiens se sont dits optimistes pour l’avenir. Mais cet optimisme s’est effondré d’ici 2021 en grande partie en raison de l’échec du gouvernement à lutter contre la pandémie, l’économie et la corruption ».

« Ce qui ressort assez clairement de notre dernière décennie de sondages en Tunisie, conclut James Zogby, c’est que précisément parce qu’il existe une culture démocratique dynamique dans le pays, l’opinion publique peut être assez volatile ».

Sans conteste, il y a dans cet historique des résultats des sondages de ZRS un précieux témoignage des contreperformances accomplies, dix ans durant, par le parti Ennahdha et acolytes au nom de l’Islam politique.

Abou SARRA