Les lauréats du prix Nobel de Littérature 2018 et 2019, l’auteure polonaise Olga Tokarczuk, et l’auteur Autrichien Peter Handke, ont fait l’objet d’une lecture faite par Hatif Janabi, poète et traducteur irakien basé en Pologne, actuellement en visite en Tunisie.
Une rencontre autour de l’oeuvre de ces deux lauréats a eu lieu mardi à la Bibliothèque nationale Tun isienne (BNT) à l’initiative de l’ambassade de Pologne en Tunisie et en partenariat avec l’ambassade d’Autriche en Tunisie.
Lidia Milka-Wieczorkiewicz, ambassadrice de Pologne et Herbert Krauss, ambassadeur d’Autriche et autres diplomates européens, ont assisté à la rencontre animée par Hatem Bouriel, poète et journaliste tunisien.
La beauté du verbe et de la sensibilité des deux créateurs s’est résumée dans les quelques extraits lus en cette occasion, en polonais, en arabe, en allemand, en français et même en dialectal tunisien.
Autour de l’oeuvre de Tokarczuk
Dix ans auparavant, l’auteur irakien dit avoir attiré l’attention du lecteur arabe sur l’oeuvre de Olga Tokarczuk qu’il a traduit une partie de son oeuvre. Il a eu l’occasion de s’intéresser en profondeur à l’une de ses nouvelles “Le professeur Andros Varsovie”.
Ses remarques ont porté sur “Les Pérégrins” (2007) et “Les livres de Jakob” (2014) sont parmi les ouvrages le plus remarquables dans le parcours de la romancière ce qui donne une large idée sur l’auteure polonaise et sa haute sensibilité littéraire.
Il évoque son recueil de nouvelles “Inanna” paru en 2008 qui constitue l’ouvrage le plus oriental de Tokarczuk autour de la légende sumérienne des guerres de divinités.
Le roman qui a fait la notoriété de la romancière “Le temps premier et autres époques” publié en 1996 autour de deux familles de la campagne polonaise qui résume toute la période allant de la première guerre mondiale jusqu’aux années 80 du siècle dernier. Cet ouvrage dresse le portrait d’une Pologne avec ses déceptions et ses réussites sans pour autant que le roman soit un ouvrage historique comme beaucoup laisseraient entendre, insiste le traducteur irakien.
L’importance de cette polonaise se manifeste aussi dans le nombre de prix qu’elle a reçu avec notamment le prix Nikè, -l’équivalent du Pulitzer ou le Goncourt-, qui lui a été décerné à deux reprises en 2007 et 2014 pour ses ouvrages “Les Pérégrins” et “Les livres de Jakob”. Quasiment chaque année elle reçoit le prix des lecteurs et le prix la prestigieuse revue Politika.
Son Style romanesque
Pour son traducteur irakien, le discours littéraire de cette polonaise est basé sur le concept de “l’errance”. Une errance, au-delà de l’espace, qui va vers l’exploration de soi à travers le monde. Elle se traduit dans toute son œuvre, ce qui lui a valu d’être primée par le Nobel pour “son style littéraire limpide, la poésie de sa langue, la dimension humaine et universelle de son œuvre et sa victoire pour les minorités et les démunis”.
Sa singularité se concentre dans “la force de son texte et la diversité de ses idées d’une écrivaine portée par la posture de l’individu et des groupes dans un cadre contemporain”. Elle se place dans une logique romanesque quant au destin de l’individu dans sa relation avec soi et l’autre.
La quête de l’humain dans la littérature
Le traducteur estime que la pensée européenne a, depuis ses débuts chez les grecs de l’Antiquité, toujours été orientée vers la recherche de la vérité et la critique approfondie de soi et de la réalité. Elle se situe en dehors du “criticisme” et les “postulats mensongers qui accablent l’âme, tuent la pensée et rendent prisonnière la créativité”.
Partant de cette thèse, il propose la lecture de la littérature du duo d’écrivains qui représente la pensée des lumières européenne, dans un contexte contemporain et un environnement mondial changant.
S’agissant de Peter Handke, le poète traducteur dit “malgré tout le bruit qui entoure ses positions, l’auteur se situe dans cette dimension qui a façonné et développé la culture européenne”. Il défend la position d’un “auteur provocateur qui voulait plutôt bousculer les certitudes et les consciences”.
Il revient sur sa rencontre avec Adonis le week-end dernier à Katowice, ville au sud de la Pologne. Interrogé sur l’Autrichien, -déjà traduit à sept reprises dans le monde arabe et qui avait traduit Adonis en allemand-, le poète syrien le qualifie d'”ami, un homme fin, timide et un grand auteur”.
Sur le bord de l’Odra, rivière qui traverse l’ouest de la Pologne et passe par l’Allemagne, Olga Tokarczuk trouve son inspiration. La polonaise traite les questions de proximité ancrées de son environnement à travers une vision qui entremêle le contemporain à l’historique.
Son traducteur décrit une femme “fine, timide, humble mais courageuse et fervente défenseure des droits de la femme, des démunis, des animaux, de l’environnement”. La plupart de ses œuvres majeures se passent dans la province rurale polonaise.
L’irakien détecte les facteurs dominants dans la littérature assez profonde d’un duo issu de la campagne autrichienne et polonaise. Ils sont des rénovateurs au niveau linguistique, le style d’écriture et les valeurs à la fois littéraires et humaines qu’ils proposent et adoptent dans leurs ouvrages.
L’écart de 20 ans entre les deux auteurs n’écarte pas la ressemblance et leur adhésion dans un mouvement littéraire et politique européen. Au-delà du discours médiatique dominant, il y a chez eux une réflexion sur la conscience et sur l’occultation pratiquée par les sphères médiatiques.
Ces écrivains se placent contre les codes de standardisation de l’individu et des vérités, convaincus que la diversité ethnique et culturelle a fait la force de leur pays respectifs et de l’europe en général. Ils admettent que notre individualisme nous permet d’évoluer, sauf que le destin des humains est commun.