A quelques jours de la fin de la campagne législative 2019, pas de culture, ni de projets culturels ou même de promesses dans ce sens dans les programmes des listes en lice.
Le constat est amère, mais les professionnels et les artistes sont unanimes: la culture brille par son absence à un moment clé dans l’histoire d’un peuple.
Ainsi, en dépit du nombre important des listes qui sont en lice pour les élections législatives, en l’occurrence 1507 listes réparties sur 33 circonscriptions électorales, selon les statistiques de l’ISIE, ce sont toujours les axes relatifs à la sécurité, l’économie et surtout à la politique qui prédominent dans les programmes des candidats aux élections législatives dont le scrutin aura lieu dimanche 6 octobre 2019.
Interrogés par l’agence TAP, des professionnels de la scène culturelle expliquent cette absence par le fait que la culture ne figure pas sur la liste des priorités des hommes politiques et candidats des différentes listes électorales (partisane, indépendante, coalition) alors que d’autres estiment qu’elle reflète bien l’état d’esprit des prochains parlementaires.
Cependant, cette carence n’a pas empêché quelques artistes de se porter candidats. L’agence TAP a essayé de les interroger sur leurs candidatures, ils demeurent injoignables ou bien refusent paradoxalement, de commenter la question.
Dans l’attente de l’adoption de la loi sur le statut de l’artiste
Ainsi, pour les artistes et acteurs de la scène culturelle tunisienne, l’absence de la culture dans les programmes électoraux reflète le peu d’intérêt qu’accordent les politiciens tunisiens à la culture tout en exprimant leur réticence face à la présence de leurs collègues artistes dans certaines listes électorales.
Ils appellent à ce propos les futures députés à assumer leur responsabilité quant à l’adoption de la loi sur le statut de l’artiste et les métiers artistiques.
Le secrétaire général du Syndicat national indépendant des professionnels des arts dramatiques, Jamel Aroui estime que l’absence de la culture dans les programmes électoraux illustre le manque d’intérêt de la classe politique, invitant, par ailleurs les futures parlementaires à s’intéresser au projet de la loi sur le statut de l’artiste en vue d’ accélérer son adoption.
Evoquant la présence de certains artistes dans les listes électorales, Aroui estime que l’artiste doit rester indépendant et ne doit pas adhérer à l’action politique d’une manière directe.
“La relation établie avec le public peut s’effriter, si l’acteur-candidat ne tient pas ses promesses” explique-t-il encore.
Partageant le même avis, le président du Syndicat national des musiciens, Mokded Shili est contre la candidature des artistes, jugeant que leur présence au parlement n’est pas forcement d’une grande utilité pour la promotion des projets culturels dans la société.
Il appelle également à l’adoption de la loi sur le statut l’artiste ainsi qu’ à soutenir les lois relatives à la protection des droits d’auteurs et des œuvres artistiques.
De son côté, le secrétaire général de l’Union des artistes plasticiens tunisiens (UAPT), Wissem Gharsallah exprime son étonnement face au désintérêt relatif au fait culturel dans les programmes des candidats, ce qui entraîne selon lui l’absence d’une réflexion humaniste dans le projet sociétal proposé par le parti ou la liste, à une époque où la menace terroriste demeure toujours présente.
Gharsallah appelle les futures parlementaires à soutenir la culture, la liberté de l’expression et l’ouverture sur les autres cultures, tout en préservant l’identité nationale.
Absence d’un programme culturel national
L’absence de la culture dans les programmes électoraux a aussi attiré l’attention du président de l’Union des éditeurs tunisiens, Mohamed Salah Maalej. “Les candidats nous ont même privés de l’opportunité de rêver!”, dit-il.
Et d’ajouter “l’absence de la culture dans les programmes donne une idée aux électeurs sur l’absence de contenu dans les programmes proposés par les candidats.
“Certains d’entre eux se portent candidats pour la deuxième fois alors qu’il n’ont réalisé qu’une partie infime des promesses des élections 2011 et 2014”, note-t-il.
Selon l’homme de théâtre, et activiste Habib Bel Hedi, les candidats aux législatives 2019, n’ont aucune connaissance des vraies problèmes du secteur culturel en Tunisie et n’ont pas contacté les professionnels pour s’informer sur leurs attentes.
S’agissant de sa position vis à vis de la présence d’artistes dans certaines listes candidates, Habib Bel Hedi demeure méfiant tout en estimant que le secteur culturel a besoin d’une représentativité au sein du parlement.
D’après ce producteur, les professionnels de la scène culturelle ne possèdent pas un projet culturel national capable de les unir.
Il propose, à cet égard aux intéressés, de remédier à cette défaillance, en élaborant un projet culturel national englobant tous les secteurs artistiques et de le défendre ensuite, devant le parlement.
Dans un message adressé à la prochaine assemblée, Bel Hedi exprime l’espoir de voir adopter la proposition du gouvernement d’augmenter le budget du ministère des affaires culturelles à 1% du budget de l’Etat, par les nouveaux parlementaires .
Des candidats …à l’image des électeurs
Les candidats aux législatives sont à l’image des électeurs, ce qui explique le désintérêt vis à vis de la culture, affirme de son coté, la professeure en sciences de l’information et de la communication, Saloua Charfi.
A l’image des électeurs, les candidats ne lisent pas des livres et ne vont ni au cinéma ni au théâtre, précise-t-elle ajoutant qu’à l’instar de la plupart des Tunisiens, les candidats sont des consommateur de la “culture commerciale”.
Pour Charfi, ni le peuple ni les politiciens ou les médias ne s’intéressent à la culture. Les médias ont des lignes éditoriales précises avec la prévalence de la politique, laquelle demeure le sujet le plus traité par ces médias, notamment durant les heures de forte audiences ou les “prime time”.
Une politique culturelle pour une génération éclairée, consciente et libre
Tout en mettant l’accent sur l’absence actuelle d’une volonté politique pour la promotion de la culture dans la société, Saloua Charfi souligne l’importance d’élaborer une politique culturelle et éducative par le prochain gouvernement.
“Le peuple et ses politiciens sont dans un état d’amnésie générale” note-t-elle pour décrire la situation dans le pays et la relation de la société avec la culture.
Et d’ajouter “un peuple qui ne lit pas, ne peut pas acquérir une conscience citoyenne pour bien choisir ses politiciens”.
La chercheuse recommande à cet égard, aux futurs responsables de mettre en place une politique culturelle et éducative sur le long terme, pour favoriser l’émergence d’une génération éclairée, consciente et libre.
“L’Etat doit inclure dans les projets éducatifs, des programmes à même d’inciter les enfants dès leur plus jeune âge, à s’intéresser à la culture ” insiste Charfi, appelant également, les acteurs de la scène médiatique à programmer des émissions culturelles dans les heures de grande écoute afin de démocratiser le fait culturel auprès du grand public.