Tunisie : Quand nos politiciens deviennent les porte-drapeaux de la sainte ignorance

«Tous ceux qui ont été en Orient ou en Afrique subsaharienne sont frappés de ce qu’a de fatalement borné l’esprit d’un vrai croyant, de cette espèce de cercle de fer qui entoure sa tête, la rend absolument fermée à la science, incapable de rien apprendre ni de s’ouvrir à aucune idée nouvelle. A partir de son initiation religieuse, vers l’âge de dix ou douze ans, l’enfant musulman, jusque-là quelquefois assez éveillé, devient tout à coup fanatique, plein d’une sotte fierté de posséder ce qu’il croit la vérité absolue, heureux comme d’un privilège de ce qui fait son infériorité. Ce fol orgueil est le vice radical du musulman. L’apparente simplicité de son culte lui inspire un mépris peu justifié pour les autres religions. Persuadé que Dieu donne la fortune et le pouvoir à qui bon lui semble, sans tenir compte de l’instruction ni du mérite personnel, le musulman a le plus profond mépris pour l’instruction, pour la science, pour tout ce qui constitue l’esprit européen ». Il s’agit là de l’extrait d’un ouvrage écrit, tenez-vous bien, au 19ème siècle par Ernest Renan, écrivain, philologue, philosophe et historien français et qui reste plus que jamais valable pour décrire le monde musulman quoiqu’on puisse penser de l’auteur.

Fort heureusement cette définition du musulman ne s’applique pas à tout le monde, mais certainement à tous les Khaled Chouket du monde arabo-musulman. Un Khaled Chouket qui a étudié à l’Université de Leyde, qui fut élu en 2014 sur la première circonscription de France et qui s’est indigné, dans un post FB, vendredi 5 juillet 2019, de la décision du ministre de l’Education de réintroduire l’enseignement de la langue française à partir de la deuxième année de base et de l’anglais à partir de la 4ème année.

Il considère cette décision comme « une violation de la Constitution et une consécration du mépris de soi ». Il n’est d’ailleurs pas le seul à réfléchir de la sorte, l’ARP pullule d’élus qui ont étudié et se sont formés dans des universités étrangères, qui ont vécu en Europe et ailleurs et sont venus depuis 2011 en Tunisie portant dans leurs valises leur crise identitaire avec pour objectif une Reconquista de la Tunisie via son arabisation et son islamisation (sic) comme si elle ne l’était pas assez. Tant la bêtise humaine n’a pas de limites.

Ce monsieur a oublié que le savoir s’énonce, que maîtriser une ou plusieurs langues permet de le véhiculer et de le transférer, et que c’est par la possession de la langue que nous pouvons structurer les connaissances.

Ces nouveaux arrivants sur la scène publique tunisienne, dont fait partie M. Chouket, ont étendu leurs propres peurs et leurs propres complexes à toute une nation dont la civilisation est ancrée loin dans l’histoire de l’humanité. Ils veulent renvoyer le pays à une ère d’indigence intellectuelle et d’obscurantisme. Ils illustrent parfaitement ce que nous pouvons appeler les “dignes“ représentants de l’ignorance sacrée ou sacralisée.

Ils reflètent à merveille l’état d’esprit des zélotes qui n’ont rien à voir avec les musulmans éclairés et ouverts grâce auxquels cette religion a conquis le monde.

Ils oublient que le savoir fut transféré au monde musulman via les savants grecs, chrétiens, juifs et perses.

Ils ignorent que la transmission des savoirs est aussi un transfert dans l’espace, d’un pays à un autre, et d’une aire culturelle à une autre.

Ces énergumènes qui ont étudié dans l’école de la République pèchent par une absence totale d’ouverture et sont incapables de comprendre que le monde d’aujourd’hui est interconnecté 24h/24h et 7 jours sur 7. Ils ne réalisent pas que, pour communiquer comme il se doit avec ce monde, il faut pouvoir maîtriser un outil de référence : la langue.

Ces exaltés oublient que le monde arabo-musulman dont ils arborent tout le temps la fière appartenance, s’est nourri, pour s’affranchir de l’ignorance, de la littérature, de la philosophie, de la médecine et de l’art persan, et qu’il s’est abreuvé d’un héritage culturel légué par les Grecs pendant la période hellénistique et en premier la philosophie et la science. « Chrétiens et juifs de Syrie principalement se firent les artisans de l’essor intellectuel de l’islam. Ils traduisirent les manuscrits du grec en syriaque, puis du syriaque en arabe. Cependant, devant l’intérêt croissant suscité par ces travaux, les traductions se firent directement du Grec en arabe »*. La fermeture de l’école néoplatonicienne d’Athènes par Justinien, en 529, poussa à l’exil de nombreux savants, et la région arabo-musulmane bénéficia de leurs sciences et de leurs savoirs.

Al Ma’mûn, le calife abbasside, a édifié au début du IXe siècle l’une des plus grandes bibliothèques du monde : la Maison de la Sagesse (Bayt Al-Hikma). Un haut lieu de savoir rayonnant tant en Orient qu’en Occident pour son érudition scientifique. On y « étudiait le Coran, la grammaire, l’astronomie, les mathématiques, la musique, la philosophie ou encore la médecine. Le savoir, représenté par les livres, était devenu un des symboles de la capitale ».

La Maison de la Sagesse était également un centre de recherche, de traduction et d’écriture d’ouvrages d’une qualité incomparable. La langue arabe était alors la langue de prédilection pour la diffusion des savoirs et des idées. Beaucoup d’étudiants et de savants aspiraient à venir à Bagdad afin d’y acquérir les meilleurs savoirs.

Monsieur Chouket, l’expansion du monde arabo-musulman par d’innombrables conquêtes militaires et religieuses a initié un brassage civilisationnel extraordinaire. Les savants arabes se sont formés au contact de savants, perses, chrétiens et juifs habitants des pays conquis et par la consultation des ouvrages scientifiques de l’Antiquité. Ouvrages qui étaient peut-être écrits en arabe, si l’on suit votre raisonnement obtus (resic).

Et à propos, au septième siècle, les Arabes ont détruit l’empire sassanide mais ont sauvegardé le savoir de l’ancienne Perse. Et toutes proportions gardées, ils n’ont pas dissolu un parti jadis au pouvoir faisant disparaître ses archives ou pire écarté toutes les compétences des postes décisionnels pour ne pas être gênés dans l’exercice de leurs basses ouvrages et pour ne pas se rendre compte de leur médiocrité et leur incompétence !

Lorsque Ibnou Rochd a été traité d’apostat (Zindig) à Cordoue par les obscurantistes effrayés par sa pensée éclairée qui ont fait se retourner contre lui, le Calife Al Mansour, son œuvre, a été traduite en latin et a trouvé un grand succès en Europe occidentale, où il a influencé les philosophes médiévaux latins et juifs dits averroïstes et à la Renaissance, sa philosophie a été très étudiée à Padoue.

A l’époque médiévale, la langue arabe était considérée comme une langue scientifique qu’on apprenait pour accéder au savoir ; et à l’époque, les Européens chez qui vous avez poursuivi vos études universitaires, ne l’ont pas considérée comme « une consécration du mépris de soi ».

Aujourd’hui, alors que même cette langue a perdu son rôle dans le transfert de la science et de la technologie, nous la voyons renaître dans des hauts lieux de l’art où elle est admirée et apprise. Les chorales des orchestres symphoniques comme ceux allemands ou français apprennent les paroles de chefs d’œuvres de chanteurs comme Abdelhalim Hafedh ou des Mouachahat qu’ils exécutent dans leurs représentations avec brio. Ils n’en font pas une affaire identitaire parce qu’arts et sciences doivent profiter à toute l’humanité.

«Le savoir est lumière. Comme un flambeau, il se transmet d’âge en âge, au-delà des barrières de la culture et de la langue», un dicton du moyen âge qui vaut aussi en plein XXIe siècle et surtout dans nos contrées où l’on sacre et consacre la sainte ignorance.

Amel Belhadj Ali

Sources :

*L’aube de l’islam collection « Les grandes époques de l’Homme ».

https://fr.wikipedia.org/wiki/Sciences_arabes

https://www.saphirnews.com/Lumieres-de-la-sagesse-Ecoles-d-Orient-et-d-Occident_a18016.html