Tunisie – Réserves en eau : Notre situation est loin d’être confortable

Le dessalement de l’eau de mer, la mise en place de plans d’actions régionaux dans les gouvernorats les plus touchés par le manque de l’eau potable et la construction de deux nouveaux barrages/réservoirs, tels sont les principaux axes de la stratégie nationale de gestion de l’eau, selon Abdallah Rabhi, secrétaire d’Etat chargé des Ressources hydrauliques et de la pêche.

Rabhi a évoqué dans une interview à l’Agence TAP, la situation générale des ressources en eau dans le pays et les grands projets programmés pour valoriser cette ressource.

Certaines études mentionnent que la Tunisie se dirige fatalement, vers une crise hydrique. Qu’en pensez-vous ?
La crise hydrique n’est pas une fatalité, à condition de bien gérer l’eau et de favoriser l’économie de cette ressource.

A l’horizon 2030, notre population serait de 13 millions de personnes.

Les ressources sont certes, limitées mais il ne faut pas oublier une donnée importante, la Tunisie dispose de 1350 kilomètres de côtes et le dessalement est une solution aujourd’hui très utilisée dans plusieurs pays.

C’est vrai que notre situation est loin d’être confortable mais je dirais qu’elle est toujours gérable.

Quel est votre plan d’action pour éviter que les difficultés rencontrées l’été dernier ne se reproduisent ?
La rareté de l’eau est une réalité indéniable en Tunisie, c’est pour cette raison qu’un grand programme pour la réalisation de quatre stations de dessalement de l’eau de mer a été lancé.

Une première à Djerba d’une capacité de 50 mille m3/jour est en cours de réalisation, son entrée en service est prévue avant l’été prochain.

Une deuxième station de dessalement de l’eau de mer à Zarat (gouvernorat de Gabès) est aussi programmée, les études relatives à ce projet réalisées et le financement bouclé. Les appels d’offres pour la mise en place de l’unité sont en cours et le démarrage effectif des travaux est prévu pour 2017.

Une troisième station est envisagée à Kerkennah, les études élaborées, le financement bouclé et le démarrage des travaux programmé pour 2017, alors que la quatrième sera réalisée à Sfax, ce projet est au stade de recherche des financements et nous espèrons que la mise en place de cette station se fera avant 2021.

Un autre programme de transfert des eaux est aussi, lancé et prévoit la construction de deux nouveaux barrages/réservoirs: un barrage à Essaida dans le gouvernorat de Manouba et un barrage, à Kalaa Kébira dans le gouvernorat de Sousse.

Ces deux projets vont entrer en chantier en 2017 et ils seront raccordés par un nouveau canal, à l’instar du canal Medjerda – Cap-Bon.

Un plan d’action spécifiques est également prévu pour chacun des gouvernorats ayant connu des perturbations importantes en approvisionnement en eau potable. Des diagnostics sont déjà réalisés, dans les gouvernorats de Gafsa, Médenine, Tataouine, Sidi-Bouzid, Kairouan, Kasserine, le Kef… pour identifier leurs problèmes et leurs besoins.

Ces plans d’action porteront essentiellement sur l’accélération de réalisation certains projets en cours, le forage de nouveaux puits notamment dans les gouvernorats principalement alimentés par les nappes souterraines, la réparation et la maintenance des conduites, l’optimisation de l’efficience des réseaux afin d’éviter les pertes…
Des conseils régionaux de l’eau sont mis en place pour aider à la finalisation de ces plans d’action. Des commissions de suivi sont également installées pour assurer le suivi de réalisation des projets.

A ce jour, les plans d’action de Gafsa, du Kef, de Kasserine et de Kairouan sont déjà prêts et les travaux lancés. Alors que les plans relatifs à Médenine, Tataouine, Siliana, Sidi-Bouzid et Zaghouan seront très bientôt finalisés.

Ces plans d’action regroupent tous les acteurs de l’eau dans les gouvernorats en question et obéiront à des délais bien déterminés. Les gouverneurs ont été mobilisés pour faciliter la réalisation de ces plans d’action, pour qu’il n’y ait plus de perturbations de l’approvisionnement en eau potable, au cours de l’été 2017.

Pour les gouvernorats dont l’alimentation en eau potable dépend essentiellement de la pluviométrie, des mesures seront prises au moment opportun, selon l’évolution du cycle hydrologique.

Les pluies enregistrées nous soulagent un peu, mais une grande vigilance est nécessaire pour pouvoir agir à temps si le déficit pluviométrique se poursuit.

Des agriculteurs évoquent une volonté de la part des autorités publiques de rationner l’eau d’irrigation et de donner la priorité à l’eau potable. Qu’en est-il au juste ?
Notre stratégie future se base sur le principe de l’économie de l’eau. La question des zones prioritaires en eau potable n’est qu’un volet de cette stratégie.

La problématique de l’eau est plus vaste, il faut que les tunisiens aient conscience de la rareté de cette ressource. Un grand travail de mobilisation est à faire, à ce titre, pour les sensibiliser quant à cette réalité.

Concernant l’agriculture, il ne s’agit pas de rationner l’eau de l’irrigation, mais de donner l’eau selon les besoins des cultures. Notre objectif dans ce domaine c’est de passer d’une culture de l’offre qui consiste à approvisionner inconditionnellement les agriculteurs, à une culture de la demande qui fixe les quantités des eaux destinées à l’agriculture, selon des critères bien définis fixés en fonction des besoins réels des agriculteurs.

Est-ce que le budget alloué au ministère de l’agriculture est suffisant pour mettre en place les programmes évoqués ?
Les 2/3 du budget de l’agriculture au titre de l’année 2016 ont été consacrés à l’eau.

Sur 2000 milliards de dinars qui représentent la totalité du budget alloué au ministère, 1400 milliards de dinars ont été consacrés à l’eau et les grands projets cités sont inscrits dans le budget de 2016.

La même priorité sera donnée à l’eau dans le budget de 2017. Sans oublier les financements extérieurs qui nous sont alloués par nos partenaires et bailleurs de fonds étrangers, qui accordent à la question de l’eau en Tunisie une grande importance.

Quelle est la situation actuelle des réserves en eau en Tunisie, et comment expliquez-vous les perturbations en approvisionnement en eau potable enregistrées dans différentes régions du pays, durant la saison estivale ?
La période actuelle correspond au début du cycle hydrologique qui commence au mois de septembre de chaque année. Le potentiel hydraulique de la Tunisie est estimé à 4,8 milliards de m3 d’eaux/ an.

L’année dernière a été une année difficile en termes de pluviométrie. Les apports dans les barrages dont la moyenne est de l’ordre de 1 milliard 250 mille m3/ an, se sont établis l’année dernière à seulement 654 millions de m3.

La gestion de ces ressources déficitaires a été très difficile pendant la dernière saison estivale.

La baisse conséquence du niveau de remplissage du Barrage de Nebhana à Kairouan, qui joue un rôle régulateur dans le centre et qui sert à approvisionner en eau potable les régions du sud essentiellement, a aggravé davantage cette situation.

L’apport moyen annuel de ce barrage se situe à 20 millions de mètres cube. L’année dernière cet apport s’est établi à 6 millions/m3 et à 8 millions/m3 l’année d’avant. Ces deux années successives de déficit en termes d’apport pluviométrique, ont mis à sec ce barrage, qui a entamé l’été dernier avec des réserves nulles.

Les retards enregistrés dans la mise en place de certains grands projets et notamment celui de la construction d’un barrage à Kalaa Kébira dans le gouvernorat de Sousse, prévu pour 2010, a également impacté la situation d’approvisionnement en eau potable.

La situation actuelle est donc difficile.

A ce jour là les réserves dans les barrages sont de l’ordre de 600 millions/m3. Mais nous espérons que le cycle hydrologique actuel puisse mobiliser les apports nécessaires.

Les dernières pluies n’ont-elles pas permis d’améliorer le niveau des réserves dans les barrages ?
Malheureusement, les dernières pluies n’ont pas été enregistrées dans les régions des bassins versants. Mais ces pluies ont été bénéfiques pour l’agriculture tunisienne et ont permis de diminuer les besoins en irrigation.

N’oublions pas que 80% des allocations des eaux sont réservées à l’irrigation, 12% à l’eau potable et 8 % répartis entre l’industrie et le tourisme.

Nous espérons, que les pluies à venir alimenteront les bassins versants.

Certains observateurs évoquent des pertes importantes d’eau au niveau des barrages. Qu’en pensez-vous ?
En Tunisie, entre le nord et le sud, on passe de 50 millimètres de pluviométrie par an dans les zones du sud à 1500 millimètres/an dans l’extrême nord.

C’est un climat très variable, ce qui se ressent également au niveau des apports annuels. A titre d’exemple, on a enregistré dans les années 93/94, 11 milliards de m3 de précipitations alors que dans les années 69/70, elles étaient de 90 milliards/m3, .

Cette variabilité fait que nous passons d’années très pluvieuses à des années très sèches.

Dans les années pluvieuses, où les apports sont très importants, c’est normal que les barrages enregistrent des pertes, car les barrages sont généralement conçus selon des calculs économiques se basant sur les niveaux moyens de pluviométrie, et non pas sur les pluviométries exceptionnelles.

Ceci dit, notre capacité de stockage gagnerait à être améliorée.

En Tunisie, la moyenne pluviométrique annuelle est de l’ordre de 36 milliards/m3, dont seulement 4, 8 milliards sont stockés.

Les pertes en la matière sont énormes et la valorisation de ces eaux est plus que jamais nécessaire, à travers notamment l’optimisation des transferts des eaux qui ne peuvent pas être stockées dans les barrages vers les régions où les besoins en eau dépassent régulièrement les ressources disponibles, le renforcement des systèmes d’agriculture pluviale, la généralisation des petits ouvrages de rétention d’eaux…

Notre vision de la problématique d’eau repose en fait sur l’idée principale de la nécessité de valorisation de cette ressource. Pour ce faire, une étude à l’horizon 2050 sera bientôt lancée, et elle aura pour objectif d’identifier les pistes possibles pour atteindre cet objectif. Cette étude se base essentiellement sur l’évaluation des stratégies déjà déployées en termes de conservation des eaux du sol, d’économie de l’eau, et d’exploitation des nappes…

Qu’est ce qui a été entrepris, pour atténuer les effets de ce déficit en eau et garantir un approvisionnement minimum en eau potable ?
Heureusement, que la Tunisie dispose de réserves stratégiques en eaux, essentiellement localisées dans deux barrages : le barrage de Sidi El Barrak (extrême nord-ouest du pays) et le Barrage Barbra (Gouvernorat de Jendouba).

Il y a aussi d’autres barrages dans l’extrême nord du pays dont le niveau de remplissage est élevé.

A partir de ces barrages, le ministère a activé, depuis le mois d’aout 2016, un système de pompage, permettant le transfert des eaux de l’extrême nord vers le système du nord, en transitant de Sidi El Barrak, vers Joumine et Sejnane, pour parvenir au grand Tunis et en partie au sahel et à Sfax.

Mais ce transfert coute énormément cher.

Parallèlement, un programme urgent de réalisation de près de 40 unités mobiles de dessalement de l’eau de mer a été adopté. Ce programme vise le renforcement des systèmes d’approvisionnement en eau potable au Cap Bon, au Sahel, à Sfax, à Zarzis, à Gabès… à travers l’acquisition et le raccordement d’unités mobiles de dessalement de l’eau de mer.

Nous travaillons actuellement sur l’élaboration des avis des appels d’offre, relatifs à ce programme.

Dans les régions qui dépendent des ressources souterraines, ce programme prévoit une série de forages d’appoint, la réalisation et le raccordement d’un certain nombre de puits.

La situation est donc difficile mais pas désespérée, pourvu que les projets identifiés soient réalisés à temps.