«Le régime des Frères musulmans ou d’Ennahdha pourrait peut-être tomber à cause des déchets et ordures ménagères qui remplissent les villes, les villages, les avenues et les rues», préconisait un journaliste britannique sur le Financial Times, il y a deux ans.
Le régime d’Ennahdha est bien tombé. En tout cas, en apparence, mais pas à cause de la saleté. Plutôt en raison des assassinats politiques et de la montée foudroyante du terrorisme et de l’extrémisme. La saleté, les ordures ménagères, les déchets envahissants et les égouts débordants ont été notre héritage…
Il est d’autres formes de violence, outre celle politique, que le Tunisien subit au quotidien. Celle environnementale. Quoi de plus éprouvant que d’assister, impuissant, à la déchéance de sa ville, celle où on est né et dans laquelle nous avons grandi. Il fut un temps où Bourguiba, le père de l’indépendance, discourait sur l’hygiène des personnes et la salubrité de l’environnement naturel. Malheureusement, ce n’est plus le cas, qu’il s’agisse de la capitale ou des autres grandes agglomérations. La Tunisie est devenue un pays sale, pourtant, c’est à la propreté que l’on reconnaît les nations civilisées. Le sommes-nous encore?
La plus grande poubelle du monde
Quoi de plus offensant que de voir une ville réputée, il y a seulement 4 ans, être l’une des plus propres parmi les capitales arabes, se transformer, par «la grâce de cette révolution concoctée par l’Occident» et bénie par des pseudo-élites, en une poubelle gigantesque: la plus grande poubelle du monde. Le Guiness book devrait peut-être récompenser cette performance…
Quoi de plus affligeant que de voir les autorités et les administrations municipales ainsi que le chargé des collectivités publiques au ministère de l’Intérieur sourds, aveugles et muets aux appels des citoyens touchés au plus profond d’eux-mêmes par la laideur ambiante dans laquelle ils évoluent et une qualité de vie qu’ils croyaient avoir mérité par force de travail et de labeur.
Presque 60 ans d’indépendance et pourquoi faire? Pour que les villes deviennent des dépotoirs? Que les débris de construction et de démolition se transforment en déchets et débordent jusqu’à sur les routes, empêchant piétons et voitures de circuler? Plus de trois ans après le 14 janvier 2011, qu’avons-nous récolté à part la dépravation de l’environnement naturel et humain, la ruralité des villes et la propagation de fléaux et de maladies oubliés, tels le choléra, la peste, la rage voire le paludisme?
Les gouvernements successifs se sont-ils préoccupés de limiter les dangers de la pollution sur l’homme et l’environnement? Bien sûr que non, occupés qu’ils étaient à défendre une légitimité qui ne s’est pas traduite par des actes et réalisations concrètes et en premier la protection du pays d’une dégringolade environnementale qui risque de nous renvoyer des décennies en arrière. La présumée révolution a toutefois réussi une performance, celle de la liberté d’expression qu’on nous renvoie à la figure à chaque fois que l’on parle de réalisations, ou encore le dédommagement financier des prisonniers et opposants politiques pour la plupart islamistes ainsi que les amnistiés du terrorisme… Le régime de Ben Ali y aurait été pour beaucoup. Mais devons-nous tous payer pour ses mauvais choix et décisions?
Trois exemples concrets à propos des mesures déplacées prises ces dernières années et dont les répercussions ont été des plus néfastes sur l’économie : celles de la récupération des filiales dont Tunisair Catering sous la pression de l’UGTT et dont l’impact immédiat a été que les employés des différentes filiales ont été administrativement annexés à la compagnie mère depuis janvier 2011, ce qui a pesé très lourd sur le budget de la compagnie. L’augmentation du nombre de recrues à la CPG dont la conséquence est une masse salariale substantielle et la titularisation des contractuels, toujours sous la pression de l’UGTT, et parmi eux ceux des municipalités. Le malheur est que l’amélioration des situations de uns et des autres ne s’est pas répercuté positivement sur la marche du travail, bien au contraire, la productivité en a pris un coup et les prestations aussi.
On oublie souvent de parler de la désintégration de l’Etat…
Il est d’autres performances (sic) qu’on oublie trop souvent de citer aujourd’hui: celles de notre égalité tous devant la saleté. Qu’il s’agisse de quartiers résidentiels ou populaires, nous avons tous gagné le gros lot: les quantités d’ordures répandues un peu partout dans nos rues et avenues. Mais pas seulement. On oublie trop souvent de parler de la désintégration de l’Etat, de l’affaiblissement des institutions et de l’attentisme observé par les décideurs frileux face à la dictature de la médiocratie, la montée du corporatisme et le sentiment d’impunité de nombreux lobbys politiques ou autres.
Dans pareil contexte, parler de prestations ou de services publics devient presque blasphématoire.
Les éboueurs auxquels la prétendue révolution a, semble-t-il, rendu justice en améliorant nettement leurs appointements ont, en guise de reconnaissance, réduit sensiblement leur productivité. Ils travaillent seulement de 19H à 0H, mais ils estiment qu’ils sont dans le droit de revendiquer plus encore en exigeant une «prime de saleté». Leur mission est pourtant bien de nettoyer les villes des ordures et des saletés.
Comment savoir le vrai du faux dans un pays où l’on semble, révolution oblige, revendiquer une équité tous azimuts? Une égalité absolue entre ceux qui ont passé 20 ans de leur vie à étudier et ceux qui ont quitté très tôt les bans de l’école. Ceux qui passent 15 heures et 16 heures par jour enfermés dans leurs bureaux à essayer de se construire et de participer activement à la dynamique économique du pays et ceux qui se complaisent dans un chômage choisi plutôt que subi? Ceci avec tout le respect que nous devons à tous les métiers ou encore aux victimes d’un chômage lié plutôt à de mauvais choix et un modèle de développement qui a atteint, depuis belle lurette, ses limites qu’à leur volonté.
Mais si Dieu dans sa grandeur et son immense sagesse reconnaît que nous ne sommes pas tous égaux devant l’intelligence, la beauté, la richesse et la santé, comment ose-t-on, nous pauvres créatures, défendre un égalitarisme absolu et réducteur?
«Nous savons ce que le «don-quichottisme» coûte à certains dirigeants des pays qui se qualifient de «révolutionnaires». Cependant, qu’ils se battent contre les moulins à vent de l’impérialisme, les peuples dont ils ont la responsabilité continuent à souffrir de la misère la plus noire» (extrait d’un discours prononcé par Bourguiba au Kef en 1967). Un discours toujours d’actualité avec de petites variantes, les Don Quichotte du 21ème siècle observent une allégeance absolue envers les impérialistes d’hier et sont engagés dans une lutte sans merci contre la méritocratie. En guise de misère noire, c’est de la saleté la plus noire que souffre aujourd’hui la Tunisie, sans oublier la noirceur des âmes de certains leaders politiques.