Les Etats-Unis, qui avaient utilisé, il y a deux ans, la Tunisie, le pays le plus vulnérable à l’époque dans la région Mena, pour enclencher le processus du printemps arabe, dans le but «annoncé», certes, de promouvoir un Islam politique modéré, mais aussi dans le but «déguisé» de déstructurer, au grand bonheur d’Israël, des pays comme la Libye, l’Egypte, le Yémen et la Syrie, donnent, aujourd’hui, l’impression qu’ils ont atteint globalement leur principal objectif et qu’ils commencent à lâcher leurs alliés-pions au pouvoir, en l’occurrence les Frères musulmans dont se réclament les nahdhaouis de Tunisie et leurs dérivés. Plusieurs indices le montrent.
Au plan régional, deux moments forts méritent d’être signalés, à cet effet. Premièrement, la déposition du président égyptien Morsi par les militaires n’a jamais été condamné, jusqu’ici, de manière claire, par les Américains se contentant de menacer d’interrompre le précieuse aide qu’ils apportent annuellement à l’Egypte. Ces menaces n’ont cessé de s’estomper depuis que l’armée égyptienne s’est engagée à éradiquer, en priorité absolue, les essaims des djihadistes islamistes du Sinaï lesquels devenaient de plus en plus dangereux pour la sécurité de l’Etat hébreu.
Décryptage: les Etats-Unis sont satisfaits du départ des Frères musulmans et la détention en prison de leurs têtes pensantes
Deuxièmement, les Américains, en décidant de ne pas attaquer la Syrie, d’opter pour une solution diplomatique (mise sous contrôle international des armes chimiques syriennes) et de sécuriser davantage Israël, semblent également faire preuve de pragmatisme en donnant une chance de survie à un régime agonisant et en freinant la montée d’Al Qaïda dans ce pays.
Globalement, les Etats-Unis et leur allié Israël sont dans une situation fort confortable et se donnent, actuellement, le temps matériel de jouir des victoires remportées sur les régimes de confrontation. Ces derniers auront des décennies et des décennies pour se stabiliser et reconstruire leurs armées et économies.
Inquiétude sur la circulation des armes…
Au rayon de la Libye et de la Tunisie, les Américains, qui y ont laissé quelques plumes (assassinat de leur ambassadeur à Benghazi et assaut des salafistes djihadistes tunisiens contre le siège de leur ambassade à Tunis), se préoccupent davantage de la facilité de circulation des armes et d’éléments de l’organisation Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) dans la région de l’Afrique du Nord. Ils y perçoivent une menace non pas pour la région du Maghreb mais pour la stabilité de l’Europe.
Ils se font, particulièrement, un sérieux souci du mauvais rendement des équipes au pouvoir et de leur incapacité d’y faire face. Pour preuve, ils ont averti à maintes reprises les nahdhaouis au pouvoir de menaces sur la stabilité en Tunisie mais ces derniers, grisés par le pouvoir et par la volonté de s’y maintenir, ont occulté ces dangers exogènes.
Pour mémoire, de passage à Tunis, le 13 novembre 2012, le général Carter F. Ham, commandant général de l’US Africa Command (AFRICOM), avait rappelé aux nahdhaouis que «l’existence d’Al Qaïda dans la région arabe est, aujourd’hui, une évidence, notamment l’AQMI qui, avait-il dit à l’époque, cherche à évincer les gouvernements légitimes de la région.
Quelques semaines après, les premiers commandos de l’AQMI et dérivés se manifestent sur les hauteurs de Kasserine, avec l’assassinat de gendarmes et militaires, d’abord à Djebel Bouchebka, et ensuite à Djebel Chaambi.
Cela s’ajoute aux assassinats politiques qui ont fait leur apparition avec deux victimes de grosse pointure: Chokri Belaid, secrétaire général du Parti des patriotes démocrates unifié (composante du Front populaire), et Mohamed Brahmi, secrétaire général du parti Le courant populaire. Depuis, le terrorisme est devenu une réalité quotidienne.
Les Américains tout comme la majorité des Tunisiens sont convaincus, au fil des jours, que les nahdhaouis et les salafistes djihadistes d’Ansar Chariaa, organisation créée en 2011 et déclarée organisation terroriste en juillet 2013, ne sont que les deux faces d’une même pièce.
Le ministre de l’Intérieur infiltré…
Ils en sont persuadés avec «le verdict clément» (deux ans avec sursis) prononcé à l’encontre des assaillants de l’ambassade américaine, avec la non prise en considération de la missive qu’avait adressée la CIA au ministère de l’Intérieur, le 14 juillet dernier, dans laquelle l’agence américaine de renseignement informait les policiers tunisiens de l’imminence d’un assassinat politique qui ciblait Mohamed Brahmi (qui sera malheureusement assassiné 10 jours après cette information), et des révélations des syndicats de la police sur l’infiltration du ministère de l’Intérieur par des terroristes et sur le laxisme des juges à l’endroit des salafistes djihadistes.
Parallèlement à ce laxisme et signes de complicité certaine avec les terroristes, les leaders historiques du parti Ennahdha, le président Rached Ghannouchi, Abdelfatah Mourou, vice-président, et Hamadi Jebali, secrétaire général du parti, ont perdu toute crédibilité. Ils donnent l’impression qu’ils ne maîtrisent plus la situation au sein de leur parti. Ce dernier serait aux mains des faucons, c’est-à-dire des nahdhaouis- salafistes-djihadites de la trempe d’Ali Larayedh (chef du gouvernement), Noureddine B’hiri (ministre délégué), Habib Ellouze (député), Abdellatif Mekki (ministre de la Santé), Houcine Jaziri (secrétaire l’Etat à l’immigration…), lesquels s’amusent à contredire et à saborder, en public, tout engagement pris par les chefs historiques.
Vers une rupture du dialogue…
Résultat: la popularité des nahdhaouis s’est gravement détériorée comme en témoigne la chute du mouvement fondamentaliste et de ses leaders dans les sondages.
Moralité: les Américains, comme l’opposition et le reste des partenaires de la Tunisie, n’ont plus, aujourd’hui, de vis-à-vis crédible au sein du parti majoritaire au pouvoir (Ennahdha) avec lequel ils ne peuvent, hélas, ni négocier ni prendre des décisions.
Il y a là autant d’éléments à la défaveur des nahdhaouis qui peuvent amener les Etats-Unis à les lâcher d’autant plus qu’ils se sont forgés une réputation de “personnes non crédibles“, de “mauvaise foi“ et de surtout d’“alliés“ d’un mouvement terroriste bien connu: AQMI.
Dans son message à l’occasion de la commémoration du premier anniversaire de l’assaut contre l’ambassade des Etats-Unis à Tunis, l’ambassadeur américain en Tunisie Jake Walles, s’est inscrit en faux contre ce profil d’allié et rappelé que «la violence n’a aucune place dans la transition démocratique en Tunisie» avant d’ajouter: «un message clair de rejet doit être adressé à ceux qui usent de la violence et de la terreur pour atteindre leurs objectifs. La sécurité est décisive pour créer un futur démocratique et prospère que les citoyens tunisiens méritent pleinement. En outre, les instigateurs de ces crimes violents et qui sont toujours en fuite doivent être traduits en justice».
C’est peut-être dans ce sens qu’il faudrait comprendre la tendance des Etats-Unis à traîner du pied avant de donner sa garantie au gouvernement tunisien pour l’obtention d’un nouveau crédit de 500 millions de dollars et leur recommandation aux bailleurs de fonds (Banque mondiale) pour en faire autant…).
Le principe est simple: le meilleur moyen de lutter contre les terroristes est de leur couper les sources de financement.