Les évènements en cours au Mont Chaambi qui ont fait des victimes parmi les militaires et les gardes nationaux, dont trois militaires grièvement blessés, ce lundi 6 mai, posent plus d’une question sur la réalité de la situation dans les contrées frontalières et sur la nature des facteurs objectifs ayant provoqué ce changement d’attitude brusque et cette escalade de la part des groupes terroristes.
Il semblerait, avec du recul, que ces groupes (dont les sources sécuritaires n’ont pas évalué l’effectif) aient fait le choix de se retrancher sur les hauteurs escarpées du Chaambi après s’être rendus compte de l’importance du site comme sanctuaire sûr avec son relief boisé et sa proximité géographique avec l’Algérie.
A leurs yeux, sans doute, l’emplacement est avantageux à plus d’un titre, surtout parce qu’il leur permet une grande facilité de mouvement entre les deux pays limitrophes, sans que les unités sécuritaires de part et d’autre de la frontière ne puissent trop leur mettre la pression.
La bande frontalière concernée, remarque-t-on, s’étire sur quelque 45 Km longeant le gouvernorat algérien voisin de Tébessa, sur une largeur de 25 Km, en profondeur dans le territoire tunisien, principalement dans la région de Kasserine, la délégation de Foussana, précisément.
Au vu de ces considérations en rapport avec la morphologie du relief boisé local, il n’était aucunement surprenant que les agressions et autres accrochages qui se sont produits aient été l’apanage de groupes retranchés loin des regards indiscrets dans des zones montagneuses et forestières. Il en fut ainsi des accrochages qui avaient opposé à la mi-décembre une patrouille de la Garde nationale à des éléments armés sur le mont Bouchebka, considéré, lui aussi, comme un sanctuaire possible de jihadistes, en même temps qu’un point de passage pour les activités de contrebande.
Nombre d’observateurs ont bien compris qu’à l’instar de maints autres gouvernorats frontaliers, celui de Kasserine se prête bien, au moins en partie, à diverses activités de contrebande et autres trafics. C’est sans doute pour cette raison que l’économie dite “transfrontalière”, est adossée à des activités que, ce serait un euphémisme, de qualifier d’illicites.
Interrogés par le reporter de l’agence TAP, certains habitants rencontrés sur place vont jusqu’à parler de connexions, voire d’imbrication entre les réseaux de contrebande et les groupes jihadistes, à la faveur de toute une communauté d’intérêts. A commencer par le fait que les uns et les autres utilisent le même sentier de montagne reliant les villes de Bouderiès (en territoire algérien) et de Foussana (dans le gouvernorat de Kasserine).
Ce sentier part de la localité de Boulaaba, sur le versant ouest du Chaambi, en territoire algérien et conduit droit vers la région de Kasserine en passant par le lieu dit Sahraoui. C’est par là que passent diverses marchandises de contrebande, du carburant et des denrées alimentaires aux stupéfiants, selon des témoignages concordants des habitants. Ces derniers précisent au reporter de TAP que des centaines de véhicules chargés de toutes sortes de marchandises de contrebande y transitent tous les jours.
A en croire ces témoins, ce trafic est le cordon nourricier de toute la région que divers facteurs contribuent à entretenir, à commencer par la proximité géographique, mais aussi les liens familiaux et tribaux qui unissent des pans entiers de populations de part et d’autre de la frontière.
Le mont Chaambi, où se trouve le point culminant de la Tunisie, abrite sur ses flancs nombre de villages ruraux comme Baratlia ou Doghra. Il est fréquent que les familles, ici et là, soient unis par les liens du sang et du mariage, quoique issus de tribus et communautés disparates mais présentes de longue date dans ces contrées. Il en va ainsi des Ouled Qahri, Ouled Samaali ou encore Ouled Garmazi.
De tels facteurs ne font que conforter leur cohésion et leur solidarité dans une même et unique occupation qui tient lieu d’économie locale: la contrebande. Celle-ci semblerait incontournable faute d’activité agricole et industrielle dans ces contrées.
Plusieurs habitants locaux ont confié à l’agence tap ne pas exclure l’existence d’une relation objective entre les jihadistes et un certain nombre de contrebandiers, surtout à la faveur d’une situation sécuritaire qu’ils qualifient de “fragile”. Pour eux, les évènements qui se sont produits ne sont rien d’autre qu’un “grave dévoiement qu’il faut combattre”, soulignant la nécessité de “maîtriser les sentiers de contrebande susceptibles de représenter une source de financement pour ces groupes”.
Des habitants de Boulaaba, un petit village accroché à flanc de montagne, ont dit avoir remarqué ces derniers jours des “mouvements anormaux”, notamment des visites de personnes inconnues, de passage dans le village. Ils pensent que certains individus assurent aux “groupes” l’approvisionnement en vivres et le soutien logistique.
Certains ne font pas mystère de leur concours aux unités sécuritaires déployées dans la zone pour tenter de localiser les groupes traqués, assurant qu’ils ne manqueront pas de fournir des renseignements, quand ils en auront, pour contribuer à épargner à la région le péril du terrorisme et à combattre quiconque voudrait porter préjudice au pays. “Malgré le chômage qui sévit dans la région, nous défendrons le drapeau de la patrie quel que soit le prix à pays”, ont affirmé quelques uns des témoins interrogés.
Quoi qu’il en soit, l’observateur des changements survenus dans les zones frontalières, ne manque pas de s’interroger sur le niveau opérationnel des forces de sécurité et jusqu’à quel point il y aurait de la coordination entre les forces de la Garde nationale et les forces armées, d’autant que le fait terroriste est désormais présent, quoique de manière diffuse, dans les zones frontalières, rappelant à tous qu’il y a péril en la demeure.
Le Secrétaire général adjoint du syndicat régional des forces de sécurité intérieure à Kasserine, Fadhel Saïhi, avance un diagnostic technique de l’opération du mont Chaambi et du schéma tactique appliqué par l’armée et la Garde nationale pour contrer les éléments terroristes.
Pour lui, les blessures subies par les militaires et les agents sécuritaires ne sont pas dues à des lacunes opérationnelles mais à un changement qualitatif du mode opératoire de ces groupes qui ont mis à profit les sentiers escarpés, caractéristique du Jebel Chaambi, pour être hors de portée. Pour autant, a-t-il ajouté, il est indéniable que les unités sécuritaires sont insuffisamment équipées et l’efficacité des interventions en pâtit.
Dès qu’il y a eu la première explosion de mine, tout le Chaambi a été immédiatement et totalement bouclé, a-t-il ajouté, niant qu’il y ait eu des instructions en faveur d’une attitude de souplesse vis-à-vis des Jihadistes. Toutes les forces de sécurité sont déterminées à en découdre avec le péril du terrorisme pour peu que les équipements techniques soient enfin disponibles, en particulier les détecteurs d’explosifs et les véhicules tout-terrain.
Nous pouvons maîtriser ces groupes mais nul ne doit mésestimer l’institution sécuritaire, a-t-il encore déclaré, estimant que “la Tunisie a aujourd’hui une opportunité historique de construire un système sécuritaire performant à même de la protéger du péril du terrorisme qui représente une menace pour pratiquement tous les pays du monde”.
S’agissant des accointances entre les contrebandes et les groupes jihadistes retranchés dans le périmètre du Chaambi, il a souhaité ne pas s’exprimer, invoquant la confidentialité des données sécuritaires, “du moins jusqu’à ce que les investigations soient menées à leur terme”. “Il est de notre devoir de rassurer le peuple tunisien et de n’épargner aucun effort pour neutraliser quiconque tenterait de nuire à la patrie”.
Pour lui, il est impératif de fédérer les volontés pour neutraliser les groupes terroristes, pour peu que chacun ait à l’esprit le calvaire subi maints pays ayant enduré le terrorisme, la sécurité étant “la responsabilité de tous”.