Les souks de la Médina : Une déchéance à vue d’oeil

Les premières lueurs du jour se fondent avec les bruits des portes de commerces qui s’ouvrent lentement pour laisser apparaître des bribes du trottoir étroit serpentant le Souk de l’ancienne Médina de Tunis.

De Bab Bhar à la Kasbah, de Bab El Jazira à Bab Souika, ce dédale d’artères poursuit sa longue route freinée parfois par des pierres aux contours indéfinis, pour poursuivre sa traversée sous les toits humides. L’activité débute progressivement avec l’ouverture par les commerçants de leurs magasins pour agencer leurs marchandises afin d’attirer la clientèle.

Les souks de la Médina ont changé, notamment avec la disparition de certains métiers dont les souks ont néanmoins gardé les appellations y afférent, et l’adieu fait pendant des décennies successives des deux derniers siècles à d’autres métiers, bien que ces souks aient gardé leur style architectural distinct d’antan, depuis l’époque de la fondation de la Médina. Tous les souks étaient spécialisés dans un seul métier.

Les plus célèbres d’entre eux sont “Souk Elaâtarin”, Souk Chawachin”, “Souk El blaghjia”, “Le Souk du cuivre”, et “Le Souk des tissus”, où l’exercice de tout autre métier similaire ou opposé en leur sein était interdit.

De nos jours, plus rien ne transparaît de la prospérité passée des souks qui ont perdu leur caractère originel propre à eux. Mohamed El Mchiri l’un des commerçants, considéré comme leur doyen, pour avoir passé près de 50 ans au souk de Sidi Mehrez, est propriétaire d’un magasin situé près de la mosquée portant le nom du saint “Mehrez Ben Khalef”, appellation donnée au souk. Il a déclaré d’une voix frémissante:”Le souk a changé négativement …

les caractères des gens ont également changé perdant toutes les valeurs … Le souk, pour moi, c’est les gens eux mêmes, ces centaines de personnes qui visitent le marché chaque jour …

20 ans en arrière, la situation était différente”. Occupé à broyer des pierres d’encens “jaoui”, il a ajouté que la clientèle a changé et la hausse des prix des matières premières a fait perdre au souk son aura, ce qui a impacté négativement l’activité des commerçants. La tristesse règne également au souk de “Chawachin” situé en face de la mosquée «Hamouda Bacha» et spécialisé dans la fabrication de la chéchia tunisienne.

Ce souk vit un certain calme risquant de se transformer parfois en recueillement, sauf que le bruit provenant du café des chawachines qui draine la plupart des visiteurs du souk, la plupart d’entre eux des élèves de l’école de la Sadikia et des étudiants de la faculté du 9 avril.

Le Souk “Chawachine” qui regroupait, au cours des années 40, plus de 400 artisans ne compte actuellement que 8 magasins spécialisés dans la fabrication de la chachia, a fait savoir Abderazak El Kahia, l’un des artisans.

En descendant à gauche vers la mosquée Zitouna, se trouve le souk “El Blaghjia” spécialisé dans la fabrication de babouches et chaussures.

Ce métier risque une disparition définitive avec des boutiques fermées et une rue triste traversée par des passants circulant à la hâte, refusant de s’arrêter pour découvrir ou assister aux adieux au dit souk.

Plus de 24 boutiques sur un total de 83 ont fermé leurs portes et seulement 11 bazars sont spécialisés dans la fabrication des chaussures et babouches.

Mohamed le Syrien, un artisan originaire de Syrie et propriétaire d’une boutique située près du souk “El Blaghjia” au niveau de l’intersection menant vers la rue de la Kasbah a souligné que la situation du souk en Tunisie ne peut pas se développer en absence des prémices d’une amélioration de la situation économique dans le pays.

Passant par souk “El Blaghjia” et au niveau du point d’intersection avec la “Rue de la Kasbah” se trouve le «souk du cuivre». Ce Souk était caractérisé par le son des martèlements sur le cuivre qui se font de plus en plus rares, alors que jadis ce même souk vibrait au sonorités musicales du martèlement sur le cuivre.

“Les artisans qui travaillaient le cuivre ont disparu bien que ce métier soit très sollicité par la plupart des gens”, a soutenu Nourerredine Ben Yahia, l’un des 8 artisans du cuivre demeurés actifs.

Selon l’historien Abdessatar Ammaou, depuis sa création, le souk de l’ancienne Médina connaît sa pire période. «Les souks de la Médina, carrément en état de mort clinique, sont devenus des musées abandonnés vides de toutes pièces archéologiques », a-t-il relevé. S’adressant à l’agence TAP, l’historien poursuit :

« le consommateur ignore tout de l’histoire des souks, et au cas contraire, il les visite à la recherche de produits n’ayant pas droit de cité dans ce cadre plein d’histoire ».

La détérioration de la situation des souks de la Médina est liée à l’absence de cadre réglementaire qui régissait jadis leurs activités, ajoute encore l’historien.

Depuis leur création et jusqu’au début du 19ème siècle, ces souks constituaient le nerf économique sur lequel se basait l’Etat, et c’est pour cette raison qu’ils bénéficiaient d’un système hautement réglementé en réglements et lois organisant les métiers, a poursuivi Amamou. Et d’affirmer :

Chaque souk possédait ses représentants vis à vis du pouvoir et son « Amin » qui était choisi parmi les meilleurs artisans pour trancher en matière de conflits. Autre mission accomplie par l’Amin, c’est la défense des intérêts des artisans qu’il représente devant le pouvoir, outre le règlement des problèmes auxquels fait face le souk, précise encore l’historien.

Toujours selon l’analyse de Amamou, les changements sociaux qui ont accompagné l’indépendance de la Tunisie et la disparition du régime beylical, ont crée un fait accompli. De nouvelles familles ont émergé et pris le pouvoir jadis exercé par des corps de métiers comme les Attarins, les Chawachins, les Kammachins et autres artisans.

Tous ces facteurs, selon Ammou, ont contribué à l’apparition de grands changements au niveau des souks, à l’instar du souk El Birka (bijoutiers), souk El Bey transformé de la vente des tissus haut de gamme en un souk de vente de l’or.

D’autres souks ont carrément disparu, comme ceux d'”El Bradiya” (selliers) et d'”Ennajarin” (menuisiers). Même s’ils paraîssent différents, les souks font face aux mêmes problématiques, liées essentiellement à l’offensive des produits étrangers notamment chinois vendus dans leurs alentours, allées et ruelles. « Je ne peux pas dire qu’il y a des souks tunisiens », a renchéri l’historien.

Quotidiennement, les Souks de la Médina arabe accueillent et font leurs adieux à des centaines de personnes. Tout le monde les traverse, mais selon leurs commerçants «ils raconte des histoires de tendresse et de nostalgie pour leur passé ».