Par Sarah Diffalah
Le bras de fer entre le parti islamiste au pouvoir et les groupuscules salafistes s’est accentué. Ces derniers ont prévu de se réunir pour un congrès annuel à Kairouan ce week-end.
Le parti islamiste au pouvoir, Ennahdha, en a-t-il fini avec le double discours? Accusé de laxisme face aux salafistes, le gouvernement tunisien a, ces derniers jours, durci le ton contre son aile droite. Le chef du parti, Rached Ghannouchi, qui a toujours été accusé de complaisance envers les radicaux par le clan laïc, a affirmé que le gouvernement interdirait le grand rassemblement annuel des salafistes prévu dimanche à Kairouan, dans le centre du pays, et qui doit accueillir 40.000 personnes. Un porte-parole d’Ansar al-Charia (les partisans de la loi islamique), Seifeddine Raïs, a menacé le pouvoir contre “toute intervention de la police pour empêcher” la manifestation. Et estimé que le gouvernement sera “responsable de toute goutte de sang qui sera versée”.
Il n’empêche. Dans la soirée de vendredi, le rassemblement est interdit. Les autorités tunisiennes sont-elles en train de prendre conscience de la menace que représentent les salafistes radicaux ? Elles ont en tout cas admis la présence d’Al-Qaïda sur le territoire et ont lancé une vaste offensive contre les terroristes, ainsi que contre les partisans Ansar al-Charia, désormais soupçonnés d’être des pourvoyeurs de djihadistes. “J’attends des cheikhs salafistes en Tunisie une condamnation claire du terrorisme”, a ainsi déclaré le chef d’Etat, Moncef Marzouki, ajoutant que l’Etat était “déterminé à agir contre les dérives et à recourir à tous les moyens militaires et sécuritaires dont il dispose”.
La pression augmente
La Tunisie a commencé à prendre la mesure de l’ampleur de la menace lorsqu’elle a découvert que parmi les preneurs d’otages du site gazier de In Amenas en Algérie figuraient 11 Tunisiens. Ils appartenaient au mouvement Ansar al-Charia, né après la chute de Ben Ali, composé d’anciens intégristes libérés de prison. Sa figure charismatique, Abou Iyadh, suspectée d’avoir été un proche de Ben Laden.
Depuis, les forces de sécurité et l’armée sont parties à la chasse aux groupes armés retranchés sur les massifs ouest du pays, à la frontière algérienne ; une offensive qui s’est accélérée ces deux dernières semaines. 16 militaires et gendarmes ont été blessés par des mines artisanales dans le djebel Chaambi, près de Kasserine (centre-ouest) et des renforts ont été déployés dans la région du massif de Kef (nord-ouest) pour traquer une dizaine de djihadistes. Le porte-parole d’Ansar al-Charia a nié toute implication de son groupe et d’Al-Qaïda dans cette zone-là et a affirmé que la Tunisie n’était pas une terre de djihad.
Le gouvernement tunisien a aussi mis la pression dans les centres urbains où les djihadistes ont mené une série de violences, parmi lesquelles le meurtre d’un policier après une fatwa lancée par un imam salafiste. Jusqu’alors tolérées, les tentes de prédication ont été retirées, parfois par la force, dans plusieurs villes. La semaine dernière, le ministre de l’Intérieur Lofti Ben Jeddou avait menacé de poursuivre “toute personne appelant au meurtre, incitant à la haine […] ou plantant des tentes de prêches”. Il a également exigé l’obtention d’une autorisation préalable pour toute activité publique organisée par des partis ou des associations.
Un contexte pré-électoral
L’heure n’est visiblement plus à la discussion. Le virage d’Ennahdha face aux salafistes n’est pas sans susciter les interrogations. Est-ce vraiment la présence d’éléments d’Al-Qaïda en Tunisie qui justifie cette intransigeance sécuritaire ? La virulence des islamistes au pouvoir contre les djihadistes s’inscrit dans un contexte pré-électoral qui peut remettre en perspective les derniers événements. “Il y a une volonté chez Ennahdha de se mettre dans les meilleures conditions pour continuer à exercer le pouvoir lors des prochaines élections, qui doivent se tenir en principe à la fin de l’année”, explique un connaisseur du pays.
Pourquoi une telle stratégie? D’abord parce que les islamistes ne souhaitent pas laisser les salafistes leur ôter une partie de l’électorat. Grâce à ses actions caritatives dans les quartiers et régions pauvres du pays, Ansar al-Charia jouit d’une assise populaire non négligeable. Le congrès annuel du mouvement réunit chaque année un peu plus de partisans. Force est de constater que le mouvement s’institutionnalise de plus en plus avec la création de divers bureaux. Une tendance que relativise le spécialiste : “La capacité de mobilisation est forte d’un point de vue symbolique, mais le mouvement est minoritaire. En revanche, malgré sa faiblesse numérique, il a une capacité de nuisance sur les équilibres au pouvoir”.
Ensuite, cette stratégie permet de couper l’herbe sous le pied du clan laïc et progressiste, qui sera tenté de critiquer le laisser-faire d’Ennahdha envers les djihadistes. Ces derniers ont en effet toujours dénoncé le double discours d’Ennahdha, les accusant de s’inscrire dans la même logique d’islamisation massive de la société.
“Par ailleurs, le contexte international est important”, continue le spécialiste. “Les islamistes tunisiens ont un déficit de légitimité auprès des chancellerie occidentales, notamment en France où il y a une très grande méfiance. Pour le parti au pouvoir, être plus critique à l’encontre des djihadistes est un moyen de développer un certain crédit”.
Source: Le nouvel observateur