Se référant à un récent sondage réalisé par Sigma Conseil, les émissions télévisées les plus regardées en Tunisie sont : Andi ma Nkolek (avec un taux de pénétration de 23,3%), Attasiaa Masaan (23,1%), Labesse (17%), Klem Enness (16,3%), Roufiat Al Jalssa (15,5%), Fi Assamim (12,3%), Al Moussemah Karim (11,6%), Essaraha Raha…
Les scandales, l’intimité, les émotions, les sensations, le racolage, les conflits sont ainsi les ingrédients qui garantissent désormais «la réussite d’un produit médiatique» des supports médiatiques en Tunisie.
Dans les pays développés, le recours au sensationnel existe depuis la nuit des temps. En effet, si on étudie de près les contenus publiés et diffusés par les médias de masse dans ces pays, depuis l’apparition de «La Gazette» de Théophraste Renaudot, la presse a toujours eu recours aux sujets croustilleux et graveleux pour attirer le plus de lecteurs, d’auditeurs et surtout de téléspectateurs. Cette pratique est cependant plutôt récente en Tunisie.
En effet, histoire de se libérer d’une «normalité imposée» et au non de «la liberté d’expression et de créativité», les médias tunisiens Post–Révolution se sont rués, au lendemain du 14 janvier 2011, vers l’anormalité, la mise en scène, le spectacle, la fascination et «le tout-à-l’image et l’obscénité démocratique» que dénonce Régis Debray.
Une interview télévisée d’un rappeur, condamné par contumace à deux ans de prison, pour «appel au meurtre des policiers», une «féministe» qui lutte pour les droits de la femme, les seins en l’air (même si d’après les photos, publiées sur FB, ils étaient plus proches de la terre que de l’air), une «pseudo-journaliste» se défendant d’un statut de «produit marketing» que lui a attribuée une avocate reconvertie au journalisme d’opinion et adepte des questions bateaux qui portent leurs propres réponses, un «reporter tout terrain» monnayant aux aurores, les propos des damnés du pays et interpellant des citoyens stupéfiés sous l’effet de produits stupéfiants, un repris de justice défendant en direct et au prime time les agissements des ligues, contestées, de protection de la révolution et appelant les jeunes tunisiens au «Jihad», un animateur sous-diplômé qui reproche à une «collègue» voilée et barbouillée de ne pas avoir les qualifications requises pour exercer… Voici un florilège des contenus médiatiques que nous ont offert nos chaînes de télé nationale, récemment.
De l’événementiel, diraient certains, oui, mais mélangé au sensationnel, au voyeurisme et à la perversité. Le traitement des faits réels, l’analyse objective et réfléchie des événements, l’enquête approfondie sont délaissés et sacrifiés, place désormais à l’intox, à l’approximatif, à l’émotionnel, au scandaleux….
Les 3S “Sexe, Sang et Scandales“ sont l’appât auquel recourent certains médias pour garantir l’audience. Est-ce permis? Faut-il s’en offusquer?
Il est difficile de trancher, les avis étant tellement partagés. Certains argueront que ces médias ne font que répondre à une attente, que les chiffres d’audience confirment, d’autres contesteront, un manque de professionnalisme, une violation des règles juridiques et déontologiques et un non respect des téléspectateurs et des lecteurs.
Mais, qu’est-ce qui explique cette tendance, pourquoi ces médias ont-ils opté pour ces pratiques?
Sans les justifier, deux éléments peuvent expliquer ce traitement médiatique des faits, basé sur le sensationnel:
La volonté de profiter d’un contexte politique, social et économique pesant et de répondre à un besoin de distraction exprimé par une population stressée, déçue, désenchantée, désabusée, avide d’évasion, d’illusion et de sensations, pour pouvoir transgresser un ordre social contraignant, qui l’empêche d’exister, de rêver, de s’identifier, bref de vivre.
Ces pratiques participent, par ailleurs, à une stratégie politique qui rappelle «Panem et circenses», qui veut dire «Pain et jeux du cirque», et qui consistait à l’époque romaine à organiser des jeux et distribuer du pain pour distraire le peuple et s’attirer sa sympathie et sa bienveillance. Certains médias tunisiens, en effet, usent et abusent de spectaculaire, du choquant, du scandaleux, l’intime, le caché, l’anomique, mais aussi du dramatique (viol de la femme enceinte, de la petite fille de 3 ans) pour s’attirer la plus large des audiences et lui faire oublier les tracas d’un quotidien de plus en plus insupportable. Sauf que les initiateurs de ces pratiques en sont la cause!
Encouragés par la chute des interdits, certains médias optent enfin, pour le sensationnel à la recherche du profit. Informer, n’est plus l’objectif voulu, mais «fasciner plus pour gagner plus», telle est désormais la devise. L’équation est des plus simple, plus on choque, plus on nous regarde, plus on nous regarde, plus les annonceurs nous sollicitent et c’est ainsi qu’on gagne plus.
Attirant et par conséquent vendeur, le sensationnel est donc, de plus en plus présent dans le paysage médiatique tunisien. Le voyeurisme, les scandales, le racolage, l’impudeur… constituent désormais, le fond de commerce de certains supports médiatiques, les dérives ne se comptent plus et en l’absence d’une instance de régulation qui tarde à être établie, les valeurs nobles du journalisme, informer, expliquer et éduquer, risquent de tomber, incessamment dans l’oubli.
Par Lotfi Ziadi, docteur en sciences de l’information et de la communication