Biens de l’État : un demi-siècle de spoliation immobilière

Plus d’un million de dinars dont une grande partie n’a pas profité à l’État, des loyers indûment perçus depuis la fin des années 70, et une société publique incapable de faire respecter ses droits : le scandale M.L.B est une gifle à la justice et à l’État tunisien. !

Depuis la fin des années 1970, l’affaire du juge feu M.L.B illustre l’un des plus grands scandales de spoliation des biens publics en Tunisie. Cet ancien magistrat a acquis un logement auprès de la Société Nationale Immobilière de Tunisie (SNIT) sans jamais en payer le prix. Pire encore, il a bénéficié d’un prêt de 12.000 dinars destiné à financer les travaux, dont une partie fut réalisée par la société publique elle-même et …tenez-vous bien, il en a remboursé tout juste 1000 dinars prélevés sur la somme offerte par l’État lui même.

Au lieu de respecter ses engagements contractuels, M.L.B a refusé de signer le contrat de vente définitif et de régler les sommes dues. Malgré plusieurs jugements clairs et définitifs ordonnant le paiement et la régularisation, il a continué à occuper le bien et à en tirer profit. Après son décès, ses héritiers ont poursuivi cette exploitation illégale, réclamant même des loyers à la SNIT sur la base de décisions judiciaires contestées et entachées de jugements douteux.

Une justice ballottée, un État impuissant

Les procédures judiciaires se sont multipliées : jugements de première instance, appels, cassations, rectifications… mais sans jamais aboutir à une récupération effective du bien par la SNIT. Les contradictions entre décisions, les recours interminables et les rectifications abusives ont transformé ce dossier en une véritable farce judiciaire.

L’État tunisien s’est montré, ces dernières années, d’une rigueur implacable lorsqu’il s’agit de présidents de grands groupes accusés de détenir des biens considérés comme « mal acquis ».

Procédures accélérées, campagnes médiatiques et décisions spectaculaires ont marqué cette volonté affichée de récupérer les richesses de la nation. Pourtant, ce même État se révèle étrangement laxiste dans d’autres dossiers tout aussi lourds, où des biens publics sont spoliés depuis des décennies sans qu’aucune mesure ferme ne soit prise.

Ce contraste interroge : pourquoi une telle sévérité envers certains acteurs économiques, et une telle indulgence face à des affaires de détournement immobilier qui saignent les finances publiques depuis près d’un demi-siècle ?

La SNIT, à ce jour n’a pas réussi à mettre fin à une spoliation flagrante et à récupérer un bien qui lui appartient de fait, laissant des fonds publics – estimés à plus d’un million de dinars – être détournés au profit d’un particulier et de ses héritiers.

Une protection influente ?

Le scandale est aggravé par le fait que le fils de feu M.L.B, avocat de profession, a longtemps été défendu par un avocat portant une casquette institutionnelle. Aurait-il tiré avantage d’une protection corporatiste importante qui a contribué à prolonger l’impunité ?

La question mérite d’être posée, d’autant qu’il est pour le moins surprenant que la SNIT ait choisi de mandater, lors d’un jugement décisif devant la Cour de cassation relatif au bien spolié, un avocat pourtant radié du barreau pour des motifs disciplinaires. Une telle légèreté dans la défense d’un dossier aussi sensible ne peut qu’alimenter le doute sur la volonté réelle de l’institution de protéger les biens publics.

Comment interpréter une telle négligence ? Est-ce du simple manfoutisme, ou bien la logique cynique du « Risk il bilik » qui continue de gangrener nos institutions ? Car il ne s’agit pas d’un dossier obscur : des rapports détaillés ont été transmis à la Présidence de la République et au ministère de la Justice, alertant sur une spoliation flagrante.

Un jugement de la Cour de cassation avait même consacré le droit de la SNIT, avant qu’il ne soit mystérieusement inversé, comme par une baguette démoniaque, au profit de celui qui, depuis 1977, jouit indûment d’un bien public sans jamais en payer le prix.

Face à cette mascarade judiciaire et administrative, la question demeure : devons-nous en rire de désespoir ou en pleurer de honte ?

Une affaire emblématique

Cette affaire n’est pas seulement un litige immobilier : elle révèle les failles d’un système où l’État se montre acharné dans certains dossiers, mais étrangement complaisant lorsqu’il s’agit de figures influentes. Elle pose une question fondamentale : comment une société publique censée protéger les biens de la collectivité nationale peut-elle tolérer une telle dilapidation pendant près de cinquante ans ?

A.B.A