A la Cinémathèque tunisienne : Mounir Baaziz, le réalisateur et l’assistant réalisateur sort enfin de l’ombre des tournages

Au hall de la Galerie Hamadi Essid, au siège de la Cinémathèque Tunisienne à la Cité de la Culture Chedli Klibi, s’est installé sereinement le cinéaste Mounir Baaziz pour l’accueil des visiteurs de l’exposition portant son nom, “Mounir Baaziz : Parcours cinématographique militant”.

Le vernissage de l’exposition, samedi 20 novembre 2021, a été suivi d’une séance-dédicace d’un livre de 56 pages édité par la Cinémathèque qui lève le voile sur le parcours assez distingué, de ce cinéaste, entamé au milieu des années 70. Mounir Baaziz, le réalisateur et l’assistant réalisateur sort enfin de l’ombre des tournages pour se faire connaître auprès des jeunes générations cinéphiles.

Parmi les invités, des amis et des gens du milieu cinématographiques étaient au rendez- vous. En début de soirée, trois documentaires de la filmographie de Baaziz qui compte dix documentaires dont une fiction, ont été diffusés: les courts-métrages ” Sousse nostalgie ” et ” Si le Jerid m’était conté ” (20’ chacun, 1993) et un long-métrage “La Ghriba ” (50’, 1994). La projection de ses films continue en ce dimanche, après-midi, à la Cinémathèque.

L’agence TAP a eu un entretien avec Tarek Ben Chaabane, directeur de la Cinémathèque Tunisienne suivi d’un autre avec le cinéaste Mounir Baaziz au terme de la séance dédicace.

Tarek Ben Chaabane explique que cet hommage “s’inscrit dans la droite ligne des hommages rendus par la Cinémathèque Tunisienne aux travailleurs de l’ombre qui prennent part à la construction, la faisabilité et la réussite d’un film.”

La Cinémathèque continuera sur le choix de publier des livres et à travailler sur la sauvegarde de la mémoire cinématographique par le biais d’un travail minutieux de toute l’équipe travaillant à l’institution, qui va de la collecte des photos d’archives aux documents sur les tournages des films tunisiens dont les scénarios et les affiches. Ce travail sur des documents comme les scénarios et leurs différentes versions, permettent de rentrer dans les coulisses de la construction d’un film et ainsi mettre en valeur des archives souvent oubliées ou rarement vues par le public cinéphile.

Dans l’éditorial du livre signé Tarek Ben Chaabane, se dessine “le portrait palpitant d’un homme qui a digéré dans le silence, qui a construit dans le chuchotement et qui, aujourd’hui, archive dans le murmure…”. Cet ouvrage d’entretiens retraçant la carrière de Baaziz offre à voir une série de photos légendées dont certaines sont présentées dans le cadre de l’exposition. Ben Chaabane insiste sur une publication qui est ” un travail de mémoire sur l’évolution du cinéma dans ses moments de continuité et de rupture, à travers l’œil d’un cinéaste extrêmement impliqué dans l’action syndicale et mutualiste du secteur qui a une vision aussi importante “.

Pour Mounir Baaziz, ” cette exposition est un début de regard ” sur son parcours dans le cinéma tunisien et représente ” quelques étapes de ce parcours d’une quarantaine d’année. ” Elle montre aussi un aspect du cinéma artisanat en Tunisie et qu’il est temps de passer au désir d’une industrie de cinéma qui est possible avec l’élargissement des écrans et l’apport du numérique “.

Cet hommage marque pour lui une tentative de marquer quelques étapes dans la fabrication du cinéma en Tunisie. Elle creuse dans la mémoire d’un cinéaste qui a ” accompagné une génération de réalisateurs, un renouveau du cinéma qui coïncide avec l’apparition de réalisateurs importants.

En parallèle, il estime avoir fait ” des tentatives de films documentaires qui ont démarré comme une parenthèse à l’intérieur d’un travail gratifiant, malgré le fait que le métier d’assistant-réalisateur est celui de l’homme qui porte la fabrication du film national “.

L’assistant réalisateur parle du métier d’” un personnage méconnu considéré, assez souvent comme futur réalisateur ou un réalisateur frustré “. Il ne prétend cependant pas avoir fait de grands films mais surtout avoir réalisé ” des documentaires sur des thèmes que j’aime bien “. Il cite l’exemple de ” Sousse nostalgie “, documentaire sur sa ville natale et ” Si le Jerid m’était conté “, une région du Sud qu’il a découvert à travers sa participation dans les tournages de films européens en Tunisie.

Le cinéaste demeure conscient d’un statut en quelque sorte injuste, puisque, dit-il ” je suis connu plus comme assistant réalisateur qui accompagne la naissance d’une vague de cinéma tunisien des années 80 à laquelle je suis fier d’appartenir “. Il revient sur une époque qui a connu la parution de films comme “l’Homme des Cendres” de Nouri Bouzid (1986), “les Silences du Palais” de Moufida Tlatli (1994) et “Halfaouine, l’enfant des Terrasses” (” Asfour Stah ” titre en arabe) de Ferid Boughedir (1990).

Baaziz évoque aussi les premiers films de réalisateurs comme Mohamed Zran et Mohamed Ben Smail et Ridha Behi qui dit-il “ont marqué un changement radical des thématiques abordées dans le cinéma tunisien “. Il rappelle que toute ” cette vague du cinéma dans le pays a coïncidé avec la disparition de la SATPEC dont il espère le retour. Car sa conviction est que ” le cinéma tunisien ne peut se faire d’une manière autonome tant ses problèmes ne soient pas résolus “.

Il fait également allusion au manque d’implication de la Télévision dans la production des fictions et suggère d’imposer ce principe ” dans le cahier des charges de tout le secteur audiovisuel, en vue de participer à la production “.

Ce constat mène à faire le point sur la vague actuelle des coproductions dans le cinéma qui de l’avis de Baaziz sont à double tranchant. ” D’un côté, elles ouvrent un marché important à travers le Monde arabe et surtout l’Europe, de l’autre il cite le risque de compromis sur la thématique ce qui limite le champ de liberté”.

A son avis, ” il ne faut pas qu’on sacrifie notre liberté et notre identité au profit du gain matériel “. Le cinéaste est totalement dans une vision qui prône la voie d’un cinéma autonome et cite l’exemple de films ayant ont montré qu’il est possible de rentabiliser sur le marché tunisien, dont l’exemple significatif de “Dachra” d’Abdelhamid Bouchnak (2020).

Ce long-métrage, premier film d’horreur en Tunisie, a été ” produit par les propres fonds du réalisateur mais qui a réussi à faire une distribution sur toute la république qui a rentabilisé le film”. Il est donc “possible de faire un cinéma qui engage le public et la billetterie peut rembourser les frais”, conclut le cinéaste.