Un nouveau coup de maître pour Soufiane Ben Farhat qui a donné en représentation hier de la comédie musicale ” Asker Ellil ” ou “Les Princes de la Nuit” dans le cadre de la 55ème édition du Festival International de Hammamet (FIH).
En effet, le public de Hammamet a eu hier avec une formule de spectacle très originale: la pièce se rapporte aux années folles, une période qui a disparu, qui appartient au patrimoine immatériel et qui est celle de “Asker Ellil” (les soldats de la nuit), et qui se passe précisément à la fin des années 20. Dans cette comédie musicale, l’auteur, Soufiane Ben Farhat, s’est concentré sur le vécu de ces princes soit près d’une trentaine de personnes qui sortaient la nuit et qui étaient pratiquement des bohémiens venus de divers horizons essentiellement intellectuels. Ils étaient aussi des fans de certaines divas dont Habiba Msika qui était la plus fameuse et qui était assassinée par son amant à l’âge de 27 ans, en 1930. Mais il y avait d’autres fans de Leila Sfez, Fathia Khairi, Julia Marseillaise, Douja Jben, etc.
L’auteur a focalisé sur quatre de ces divas à savoir Habiba Msika, Fathia Khairi, Chefia et Hassiba Rochdi ainsi que huit personnalités parmi les soldats de la nuit à savoir Abderrazak Karabaka, Abdelaziz El Aroui, Ali Douagi, Hédi Laabidi, Jamel Eddine Bousnina, Jaleleddine Naccache, Mahmoud Bourguiba et Mustapha Khraief, mais il a aussi rajouté d’autres personnalités qui vivaient à Tunis et qui se réunissaient à Halfaouine.
Dans cette œuvre, il retrace le parcours de ces frères d’armes bohémiens et de leurs nuits délirantes et folles, dans les dédales de Tunis des années 20. Des poètes, écrivains, journalistes et paroliers qui ont été à l’origine du renouveau de la modernité tunisienne en matière de chants et de corpus culturel et chansonnier autour de divas, elles-mêmes les hérauts de la modernité, de l’esthétique raffinée et de l’art du beau. La pièce a traité d’une époque fondatrice pour la société tunisienne moderne comme la libération de la femme, la fondation de la Rachidia, la naissance du mouvement syndical tunisien de Mohamed Ali Hammi et au cours de la quelle où la Tunisie prenait sa conscience politique (fondation du parti communiste et du Destour).
On y découvre aussi l’atmosphère dessalée des bas-fonds de Tunis qui y détonne avec une piquante cocasserie dans l’univers plutôt aseptisé des comédies musicales. Mais on y trouve aussi quelques savoureux accents brechtiens, façon Opéra de quat’ sous. Le plus impressionnant reste la fluidité du jeu tant le texte est bien roulé et les comédiens sont doués. Enfin, dans leurs chatoyants costumes d’époque, les comédiens-chanteurs-danseurs sont d’une virtuosité parfaite sous la houlette du metteur en scène Mourad Gharsalli.
Avec des mises en situation historiques dans le genre comédie musicale, la pièce a dégagé une énergie époustouflante, une grande créativité et beaucoup d’audace. Grâce à la variété des genres artistiques, des comédiens performants et généreux, la pièce a été ponctuée d’humour, d’espièglerie, de chants et de danse. A voir autant de talents rassemblés sur la même scène est exceptionnel. En retrouvant cette époque avec ses musiques, ses intonations et ses métriques qui accompagnent le chant et qu’on appelle “Hsous”, les rhapsodies du gaouel ont été présentes avec foule d’autres personnages typiques de cette période révolue et dont aussi bien les Askar Ellil qui, plus tardivement, seront à l’origine du mouvement Taht Essour et constitueront son noyau nourricier.
Le spectacle a été mis en scène par Mourad Gharsalli, Siwar Ben Cheikh, responsable des costumes et d’après une scénographie d’Ahmed Rezgui et Noureddine Ben Aicha qui a travaillé sur la musique.