Les membres de la commission parlementaire des droits et libertés à l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) ont critiqué, vendredi, le projet de loi organique portant organisation de l’état d’urgence soumis par la présidence de la République.
Selon eux, ce projet de loi porte atteinte aux droits et libertés publics et confère au ministère de l’Intérieur et au gouverneur un large pouvoir.
Le conseiller à la sécurité nationale auprès du président de la République, Kamal Akrout a présenté le projet de loi lors de son audition ce vendredi par la commission parlementaire des droits et libertés, expliquant que ledit projet de loi qui compte 24 articles a pour objectif de mettre en place des garanties pour éviter tout abus en rapport avec l’application des dispositions de l’état d’urgence par les autorités concernées.
Le projet de loi stipule, a-t-il précisé, que la décision de décréter l’état d’urgence ne peut être prise qu’après consultation et réunion du Conseil de sécurité nationale qui regroupe les trois présidences.
Il a souligné que la partie initiatrice n’est pas contre l’amélioration du projet de loi afin de lui conférer davantage de garanties en matière des droits et libertés sans pour autant perturber l’action sur le terrain et entraver l’intervention des forces de sécurité en cas de besoin.
Akrout a noté que le projet de loi vise notamment à fixer les procédures portant organisation de l’état d’urgence en Tunisie et à améliorer les dispositions du décret n°78-50 du 26 janvier 1978 réglementant l’état d’urgence de manière à l’adapter aux dispositions de la Constitution de 2014.
L’article 65 de la Constitution dispose que : Sont pris sous forme de lois organiques les textes relatifs aux libertés et droits de l’homme.
L’article 10 dudit projet de loi a suscité une grande controverse: les membres de la commission parlementaire ont estimé qu’il confère au ministre de l’Intérieur et au gouverneur de larges prérogatives et peut être utilisé pour des considérations personnelles et un règlement de comptes.
Distinguer entre une situation exceptionnelle et l’état d’urgence
Ameur Larayedh (mouvement Nahdha) a estimé que le projet de loi comporte des lacunes en termes de garanties assurant les droits et libertés.
Pour lui, ledit projet de loi confère également un certain pouvoir au gouverneur, soulignant l’importance de le modifier afin d’éviter toute déviation pour des considérations personnelles.
De son côté, le député d’Ennahdha, Habib Khedher a souligné la nécessité de distinguer entre l’article 80 de la Constitution, qui prévoit “des mesures prises par le président de la République dans une situation exceptionnelle” et l’état d’urgence, relevant l’importance de tenir compte de cette distinction dans le projet de loi sur l’état d’urgence.
L’article 80 de la Constitution tunisienne dispose qu’en cas de péril imminent menaçant l’intégrité nationale, la sécurité ou l’indépendance du pays et entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, le président de la République peut prendre les mesures qu’impose l’état d’exception, après consultation du Chef du Gouvernement, du Président de l’Assemblée des représentants du peuple et après en avoir informé le Président de la Cour constitutionnelle.
Il annonce ces mesures dans un message au peuple.
Pour la députée Bochra Belhadj Hamida (Coalition nationale), le projet de loi organique relatif à l’état d’urgence bien qu’il limite les libertés, il intervient dans une conjoncture exceptionnelle, marquée par les menaces terroristes.
Il est donc nécessaire, selon elle, de coordonner entre le projet de loi du code de procédure pénale (soumis actuellement au ministère de la Justice) et le projet de loi relatif à l’état d’urgence afin que le législateur ne se retrouve pas dans une contradiction entre le droit public (code pénal) et le droit privé et exceptionnel (projet de loi sur l’état d’urgence).
De son côté, Hajer Ben Cheikh Ahmed du même bloc a relevé l’importance de parachever la mise en place de la Cour constitutionnelle qui, selon elle, va empêcher la monopolisation du pouvoir ou le passage de projets de loi contraires aux droits de l’Homme et des libertés publiques dans la mesure où elle sera composée d’experts capables de trouver un équilibre entre l’intérêt public et les droits et libertés.
Différence entre le décret n°78-50 du 26 janvier 1978 et le présent projet de loi
Vivement critiqué, l’article 10 dudit projet de loi stipule qu’à l’exception des sièges sensibles, le ministre de l’Intérieur peut, après consultation du procureur de la République territorialement compétent, ordonner la perquisition de locaux, de jour comme de nuit, dans les zones où l’état d’urgence est décrété en cas d’obtention d’informations fiables sur l’existence dans ces lieux d’individus suspectés d’exercer des activités menaçant la sécurité publique et l’ordre public.
Cette décision concerne particulièrement la date, l’heure et le lieu de perquisition.
L’article 6 permet au ministre de l’Intérieur, en cas d’application de l’état d’urgence, de prendre la décision d’évacuer certaines zones.
A l’inverse du décret n°78-50 du 26 janvier 1978, les forces de l’armée nationale peuvent intervenir si nécessaire en renfort des forces de sécurité intérieure pour garantir l’ordre public et rétablir la sécurité, conformément à l’article 13 du projet de loi.
Celui-ci stipule que le président de la République ordonne, après délibération du Conseil de sécurité nationale, l’intervention des forces de l’armée à travers la sécurisation des sièges de souveraineté, les institutions sensibles et les patrouilles mixtes sur tout le territoire.
En vertu du décret n°78-50 du 26 janvier 1978, l’état d’urgence est déclaré pour une durée maximum de trente jours, alors que dans le projet du nouveau texte, ce dernier peut être prolongé jusqu’à 6 mois.
Le président de la République, Béji Caïd Essebsi, avait décidé de prolonger l’état d’urgence dans tout le territoire pendant un seul mois à partir du 6 janvier courant jusqu’au 4 février prochain.
Cette décision intervient, selon un communiqué de la présidence de la République publié le 4 janvier courant, après consultation du chef du gouvernement et le président de l’Assemblée des représentants du peuple, dans l’attente de l’adoption au parlement du projet de loi organique réglementant l’état d’urgence.
Le chef de l’Etat avait décidé de décréter l’état d’urgence dans tout le territoire pendant un mois, du 7 décembre 2018 au 5 janvier 2019.
L’état d’urgence a été décrété depuis le 24 novembre 2015, suite à l’attaque terroriste contre un bus de la garde présidentielle et prolongé à plusieurs reprises.