La condition de la femme tunisienne d’aujourd’hui est l’aboutissement d’un passé tumultueux, d’une condition fragile, de droits bafoués et d’un long combat qui n’est pas prêt à être clos malgré les avancées considérables acquises depuis la promulgation du Code du Statut personnel (CSP) jusqu’à l’adoption de la nouvelle constitution de 2014.
Partant de cette thématique sur la condition et les droits des femmes, le Festival International du Film Oriental de Genève (FIFOG) a fait le choix cette année de s’ouvrir sur le 7ème art tunisien, à travers la projection du film “El Jaida” de la réalisatrice Salma Baccar. Ce long-métrage sera projeté lors de la soirée inaugurale de la 13ème édition du Fifog organisée du 21 au 29 avril 2018.
Avec ce film, Salma Baccar, réalisatrice pour le cinéma et la télévision et première productrice tunisienne, est de retour au FIFOG dont elle a été la présidente d’honneur au cours de l’édition 2012.
Ce choix n’est pas fortuit dès lors que le sujet du film cadre avec le thème central adopté par le FIFOG 2018, placé sous le signe de l’espoir et célébrant la femme et la jeunesse. Il est aussi en relation avec la condition féminine dans un pays doté d’un cadre juridique des plus avantageux et précurseurs pour la femme, au Maghreb aussi bien qu’en Orient.
L’autre particularité de ce long-métrage de fiction de 110mn, produit en 2017 par Inter Medias Productions, se rapporte à la cinéaste elle-même dont le parcours cinématographique a toujours été orienté vers la condition féminine et ses défis dans une société régie par les hommes.
C’est aussi le 4ème long-métrage de Baccar qui depuis ses débuts au milieu des années 70 avait notamment réalisé “Fatma 75”, un doc-fiction (1976) considéré comme étant le 1er long-métrage, œuvre d’une cinéaste tunisienne. Un film suivi par “La danse du Feu” (1995) et “Fleur d’Oubli” (2005), tous des films qui convergent dans le thème de prédilection de la cinéaste et ce combat pour les libertés des femmes.
“Al Jaida” est une appellation en référence à “Dar Joued”, un lieu où à l’époque, l’on confiait les femmes punies par leurs époux ou familles respectives afin de les “rééduquer”. Cette fiction revient sur la contribution de la femme dans la lutte nationale pour l’indépendance et les acquis réalisés depuis l’entrée en vigueur des textes régissant les droits des femmes depuis la promulgation du CSP.
Ce thème des droits des femmes demeure toujours d’actualité dans les débats publics, sociaux et politiques en Tunisie et le processus démocratique en cours, notamment avec la décision présidentielle du 13 août 2017 (fête nationale de la femme) d’une loi sur le mariage sans condition entre une musulmane et un non musulman et l’égalité homme-femme dans l’héritage. Une décision qui avait suscité l’approbation des défenseurs des causes féminines face à l’indignation des conservateurs qui en voient une atteinte au principe de base de l’Islam.
Un trio féminin composé de Wajiha Jendoubi, Souhir Ben Amara et Fatma Ben Saidane est au casting de ce film présenté en avant-première en marge des Journées Cinématographiques de Carthage 2017.La projection inaugurale marquée par une présence massive du public, avait été suivie de cycles de projections quotidiennes organisés dans les salles de la Capitale et à l’intérieur du pays.
Plusieurs médias nationaux ont alors constaté un engouement sans précédent pour un film qui avait bénéficié d’une large opération de com et une note positive de la plupart des critiques pour l’œuvre d’une cinéaste confirmée et grand témoin de plusieurs étapes décisives de l’histoire de la Tunisie moderne.
Native de 1945, Selma Baccar est aussi une femme politique qui avait été élue députée après la révolution tunisienne de 2011. Elle état en première ligne des femmes qui ont siégé au parlement de 2011 à 2014 en tant que députée et membre de la Commission des Droits et Libertés faisant ainsi partie de celles et ceux qui ont vécu de près le bouleversement politico-social dans le pays.
Cette position politique lui a servi de transmettre son expérience pour en exploiter certains évènements dans le cadre de son film où certaines scènes sont extraites du déroulement des séances parlementaires sous la coupole du palais du Bardo.
Ce qui avait le plus marqué les cinéphiles dans ce film est ce côté typiquement tunisien bien élaboré par la cinéaste, manifesté dans le choix des costumes traditionnels et le cadre de vie à l’ancienne, ressuscitant ainsi cette nostalgie pour une période, pas assez glorieuse dans le vécu de la femme, mais qui paradoxalement demeure une référence dans la mémoire nationale.
Comme dans la plupart de ses films, Selma Baccar réinvente la vie à l’ancienne et le timbre feutré des anciennes demeures tunisoises par des rôles de femmes en “Sefsari” mais désireuses d’émancipation vis-à-vis du dictat d’une société machiste régie par le pouvoir des muftis religieux souvent complices avec les hommes.
“El Jaida” pourrait servir de document d’histoire malgré certains reproches émis sur l’élaboration de certains faits historiques ainsi que le choix de la cinéaste ayant cherché à tout mettre en un seul film dans ce retour en masse sur tous les évènements dans la lutte pour les droits féminins en Tunisie.
“El Jaida” est projeté dans la sélection hors compétition du FIFOG qui célèbre cette année la femme et la jeunesse et présente des films réalisés par et/ou sur les femmes et un jury majoritairement féminin.