La récente étude publiée dans la prestigieuse revue britannique Nature bouleverse des siècles de croyances historiques sur l’origine des Carthaginois. Selon cette étude, menée par une équipe de chercheurs dirigée par le professeur David Reich de l’Université Harvard, il s’avère que les ancêtres des Carthaginois ne proviennent pas directement de la région du Levant, comme le soutenait la théorie traditionnelle, mais étaient majoritairement issus des populations locales d’Afrique du Nord et d’autres régions méditerranéennes.
L’étude a duré huit années et a impliqué l’analyse génétique de restes humains provenant de plusieurs sites archéologiques, notamment en Tunisie, Sicile, Sardaigne, Ibiza, et d’autres endroits associés aux colonies phéniciennes et puniques. Ce travail a révélé que, bien que les liens culturels, linguistiques et religieux entre les Phéniciens du Levant et leurs colonies méditerranéennes soient indéniables, leur influence génétique en Afrique du Nord et dans les autres régions méditerranéennes était pratiquement inexistante.
Les chercheurs ont étudié les génomes de 210 individus, dont 103 ont été datés au radiocarbone. Parmi eux, seuls trois étaient génétiquement d’origine levantine, retrouvés en Sicile et en Sardaigne, suggérant que les Phéniciens n’ont joué qu’un rôle marginal dans la composition génétique des Carthaginois. En revanche, une majorité des ancêtres des Carthaginois semble être originaire de la région méditerranéenne centrale, notamment de Sicile et de l’Égée, ainsi que de l’Afrique du Nord. Cela indique que les Carthaginois étaient un peuple génétiquement diversifié, en grande partie formé de populations locales.
Cette découverte remet en question les récits historiques traditionnels, selon lesquels la fondation de Carthage aurait été le fait des Phéniciens du Levant, notamment de la figure légendaire de Didon (ou Elyssa). L’étude souligne que pendant plus de 2000 ans, l’histoire a été influencée par un mythe erroné, celui des Phéniciens fondateurs de la grande civilisation carthaginoise. En réalité, il semble que les Carthaginois aient plus été influencés par les peuples autochtones d’Afrique du Nord, les Numides en particulier, avec qui ils ont entretenu des relations dynamiques et des mariages.
L’équipe de chercheurs a également identifié un changement démographique majeur au VIe siècle avant J.-C., marqué par l’adoption d’une nouvelle langue, le punique, et un changement dans les pratiques funéraires, passant de l’incinération à l’inhumation des corps. Ce tournant culturel a coïncidé avec un bouleversement plus profond des populations, probablement en raison de l’influence croissante de Carthage et de ses interactions avec les peuples voisins.
L’étude de David Reich et ses collaborateurs met ainsi en lumière un aspect peu exploré de l’histoire de Carthage, celle de son identité génétique. Les chercheurs soulignent que, contrairement aux idées reçues, ce qui définit un Carthaginois n’est pas nécessairement une origine levantine, mais plutôt un lien culturel et historique fort avec la ville de Carthage elle-même.
Cette étude rétablit donc une vérité importante : Carthage est avant tout une identité tunisienne, forgée par les peuples autochtones d’Afrique du Nord. Les Phéniciens, bien qu’ayant joué un rôle dans l’histoire de la région, ne peuvent être considérés comme les fondateurs exclusifs de cette grande civilisation.
L’étude de Nature ouvre ainsi de nouvelles perspectives sur la compréhension de l’histoire ancienne et sur les racines profondes de l’identité carthaginoise, tout en nous invitant à réévaluer les récits historiques traditionnels. Elle invite également à une réflexion sur l’importance de la génétique dans l’écriture de l’histoire, offrant un éclairage inédit sur la manière dont les civilisations anciennes se sont formées et interconnectées.