Tunisie : Ezzedine Alaia enterré dans la discrétion, à l’image du grand couturier

Azzedine Alaïa, grand couturier franco-tunisien, décédé dans la nuit du vendredi à samedi dans la Capitale française où il vivait, a été inhumé lundi dans le cimetière de Sidi Bou Said, en banlieue nord de Tunis.

Tout le gotha de la mode était présent pour lui faire ses adieux, dont des célébrités proches du couturier, à l’instar des tops modèles, la britannique Naomi Campbell et la Tunisienne Afef Jenifen et les stylistes tunisiens Achraf Bacouche et Salah Barka. Politiciens et médias tunisiens et étrangers accrédités à Tunis ont assisté aux funérailles organisées à l’honneur de ce créateur de talent installé en France depuis déjà plus de six décennies.

“Témoignages vibrant sur un homme remarquable, une fierté pour le pays”

Conformément à ses vœux, le couturier a été enterré auprès des siens et dans son pays natal qu’il a quitté il y a longtemps mais avec qui il a toujours gardé des liens très étroits. Dans la discrétion de ce coin niché sur les hauteurs du célèbre village de Sidi Bou Siad, l’émotion était palpable chez les personnes présentes notamment son cousin maternel, aussi discret que le couturier, déclarant, après l’enterrement, avoir longtemps vécu avec le défunt, alors qu’il était étudiant à Paris. Ils sont venus lui faire adieu, digne de ce créateur parti à l’âge de 77 ans, après dix jours d’hospitalisation, des suites d’une chute.

A l’image de l’homme et du créateur qui n’aimait pas trop faire parler de lui, ses funérailles, bien que largement médiatisées, sont à l’image de Azzedine Alaia, simples et qui se sont déroulées dans la discrétion la plus totale. “Discret certes”, s’accordent à dire tous ceux qui le connaissaient de près.

Peu avant l’enterrement, Kamel Lazaar, financier et grand philanthrope mais aussi voisin de Alaia à Sidi Bou Saïd, a évoqué plusieurs souvenirs avec Alaia. “Ma dernière rencontre avec lui était récemment à Paris où il était venu dîner chez moi et avons passé une soirée extraordinaire… on a refait le monde avec des anecdotes à ne plus finir.. C’était fantastique”.

Pour Kamel Lazaar, dans le domaine de la création, le défunt est “parmi les plus grands que la Tunisie a jamais connu, mais qu’elle ne l’a jusque là pas reconnu à sa juste valeur”. Lazaar estime qu’il faut “absolument qu’il y ait un musée Azzedine Alaia, pas dans sa maison de Sidi Bou Saïd, mais dans un monument à la hauteur de sa légende”.

Idem pour Abderrahim Zouari, ex-ministre, selon qui le couturier était “un homme remarquable et une fierté pour le pays qui a largement réussi dans la discrétion la plus totale”.

Nabil Karoui, propriétaire de la chaine Nessma, a parlé “d’une grosse perte d’un homme qui hissait très haut le drapeau du pays, surtout qu’on n’a pas assez de créateurs tunisiens de son calibre, mondialement connus”.

“Alaia était Tunisien de naissance, Français d’adoption”

Mohamed Zine El Abidine, ministre des Affaires culturelles, et Olivier Poivre d’Arvor, ambassadeur de France à Tunis, étaient en première ligne des officiels présents à l’enterrement après avoir été, dimanche soir, à l’accueil de la dépouille du couturier, rapatriée tard dans la soirée à l’Aéroport de Tunis-Carthage.

Couturier adulé dont les créations sont largement appréciées par les grandes stars internationales, mais certains évoquent un Ezzedine Alaia qui n’avait pas eu la reconnaissance dont il méritait dans son pays natal, la Tunisie. “Il n’avait pas besoin de reconnaissance, il est déjà très connu, c’était un artiste qui appartenait aux plus grandes sphères”, a déclaré le ministre des Affaires culturelles.

Alaia est avant tout “un Tunisien, dans son appartenance et sa culture, et une icône universellement connue, ce qui est un honneur pour la Tunisie… ses œuvres sont d’une telle singularité”, dit-il, ce qui lui attribut “le mérite d’un homme qui avait l’habilité de faire la fusion entre le local et l’universel”.

Depuis sa visite en 2014 au Musée du Bardo où il devait organiser une exposition de ses créations, le nom d’Ezzedine Alaia a depuis été peu évoqué dans les médias locaux. De cet ancien projet d’exposition, le ministre indique que son département est en train de reprendre l’idée avec l’accord de ses amis et proches parmi la communauté artistique, malgré une certaine réticence de leur part.

A priori, le ministère prévoit de commémorer le quarantième jour du décès de Alaia, dans un hommage posthume qui lui sera rendu avec l’implication de plusieurs autres parties concernées. Selon le ministre, l’idée sera aussi d’organiser une exposition de ses créations en plus de réaliser un court-métrage qui reprendra son parcours et les étages décisives qui ont fait sa renommée. Cependant, “on ne pourra rien faire sans le consentement de sa famille”, insiste le ministre, et ce partant de “la valeur symbolique et matérielle de ses œuvres”.

Certes l’œuvre d’Alaia perpétuera à jamais sa mémoire, car “même si physiquement mort, en même temps il y a cette présence qui nous rappelle qu’il était Tunisien de naissance, Français d’adoption, mais mondialement créateur”, a déclaré l’ambassadeur français.

Il évoque le souvenir de l’un des plus grands couturiers au monde encore vivant -peut-être même le plus grand couturier vivant de cette espèce là et de cette génération-, qui a créé à partir de peu de choses mais aussi de cet attachement à son patrimoine tunisien”.

Alaia qui a tant de créations, habillé les femmes du monde entier parmi les plus célèbres dont les épouses de présidents américains successifs et les grandes stars du showbiz, était “l’emblème de ce qu’un pays peut avoir avec des ambassadeurs de ce niveau là à l’étranger”.

L’ambassadeur français se voit “tout comme beaucoup de gens… car tout ceux qui aiment la beauté sont des amis de Ezzedine”, s’accordant à dire qu’il était un homme “très simple dont il était très simple d’être son ami”.

Depuis déjà l’annonce de sa mort, les médias français ont relayé l’information, affichant cette grande admiration pour ce Franco-tunisien devenu une fierté pour ses deux pays, natal et d’adoption.

Avec cette grande implication constatée de la part de la France, “c’est normal, dit l’ambassadeur, il est Français, a vécu des dizaines d’années en France et a beaucoup fait pour l’image de la mode et de la haute couture française dans le monde”.

Il se rappelle que déjà depuis quelques mois, il voulait venir beaucoup plus souvent en Tunisie, résumant l’épilogue de sa vie ainsi : “aujourd’hui Ezzedine Alaia est rentré chez lui, il est dans le pays où il est né et qu’il aimait …après une longue parenthèse qui s’appelle la vie”.