Cissoko, Kiya et Keyvan à l’IFTT pour la première soirée Hamadi Chérif

L’auteur- compositeur et musicien Ablaye Cissoko, griot de Saint-Louis du Sénégal, le compositeur-interprète iranien Kiya Tabassian, co- fondateur de l’ensemble Constantinople, et le musicien franco-iranien, Keyvan Chemirani, trois artistes d’horizons différents :

racines mandingues et origines persanes. Depuis 2012, s’est tissée une rencontre d’où une œuvre faisant naître un profond dialogue à trois, un dialogue de doigts, de voix et de cordes, entre des Citoyens du Monde.

Au rythme des sonorités douces et des tonalités délicates et suaves du Kora, du Sétar et du Zarb, trois instruments anciens, ce sont nourris les “Jardins Migrateurs” sous la houlette de ces trois voyageurs qui ont donné le ton fort lors du lancement vendredi soir à l’Institut français de Tunisie (IFT) de la première escale musicale hors les murs “Soirées Musique du monde- Hamadi Chérif”.

Dans une ambiance mélancolique, Cissoko, l’un des meilleurs joueurs de Kora (harpe-luth mandingue traditionnel mandingue), Kiya virtuose du sétar (luth à manche longue d’origine persane ) et Keyvan le maitre du zarb ou tombak ( instrument de percussion originaire d’Iran) ont commencé la soirée avec une pièce présentée pour la première fois et dédiée à la mémoire de Hamadi Cherif “Oh la mort a emporté Chérif”.

 Un hommage posthume et un appel à la Sagesse

“Jardins migrateurs” est à la fois un hommage à la mémoire de l’esthète que fut Hamadi Chérif et une action pour pérenniser son œuvre, en essayant à travers ce premier concert à faire revivre et survivre son projet le centre international d’art et de culture Sidi Jmour à Djerba, enterré depuis son décès. “Notre vœu est que ce magnifique et surprenant lieu, où j’ai donné le dernier concert le 20 avril 2013, réouvre ses portes de nouveau”, c’est en ces termes que Ablaye Cissoko a présenté le spectacle lors d’une conférence de presse avant le concert.

Emu, l’auteur de “Africain Roots” (racines africaines) a tenu à signaler que cette initiative menée par l’association La Sirène de Dar Cherif Djerba, le Ministère de la culture et de la sauvegarde du patrimoine, en partenariat avec l’IFT, est un message pour rappeler que feu Hamadi Chérif était parmi ceux qui ont laissé leurs traces sur la scène culturelle et il demeure de notre devoir aujourd’hui non seulement de rendre hommage à ce grand Homme courageux, plein d’énergie et de passion mais surtout de dire qu’il ne devrait pas être le seul a faire ce qu’il a fait. “Son travail ne devrait pas être balayé comme une vague d’eau”…a-t-il lancé délicatement.

Pour Cissoko, seule la douleur humaine est capable de réveiller à chaque fois les souvenirs. “La nouvelle de son décès était un coup dur et notre concert se veut vraiment un challenge car nous sommes à la base des acteurs culturels, des musiciens et des artistes voyageurs qui tentent, à travers l’art, à faire du monde un véritable jardin…” a-t-il relevé, d’un timbre chargé de romance et teinté de nostalgie.

 La musique est le reflet de la vie…de l’Etre Humain

De sa voix douce et fine, se dégagent des paroles chargées d’humanité : générosité, hospitalité, partage, dignité, bienfaisance dans la discrétion… et les principes fondamentaux de la prière pour Dieu, le grand puissant, le Seigneur de la mer, de l’océan, des fleuves, …ce sont les secrets fabuleux de sa chanson “Soutouro” : appel à la dignité et à la sagesse, car “Viendra le jour où tout ce qui est debout tombera” glisse t-il .

Parler c’est difficile, écouter c’est plus difficile et comprendre c’est encore pire, précise Cissoko.Et pour comprendre les secrets des Jardins Migrateurs, il fallait juste s’imprégner de l’harmonie entre les cordes mandingues et les cordes persanes, transmises dans des poésies musicales comme “A l’écoute du Moro”, “Le pas de l’eau”, “Lountang”, “Soutourou” ou encore “Ahouye Vahshi”, la gazelle sauvage, interprétée par KiyaTabassian, à partir de l’œuvre du poète mystique persan du 14ème siècle Hafez : un salut qui porte le parfum d’une première rencontre.

De ce désir d’explorer ensemble la profondeur de la Beauté Humaine, est née cette quête incessante de nourrir le contact avec la nature, essentielle à la survie de l’homme. C’est pourquoi les titres sont toujours reliés à la nature, omniprésente dans leur musique et leurs chants.

Habitant au nord du Sénégal entre un Fleuve et un Océan, “toutes mes grandes compositions ont été faites autour de l’eau : l’océan n’est pas fait pour les voitures, ni même pour les chevaux ni pour les Hommes , l’eau est pour les pirogues , car l’eau est le début et la fin” a révélé Cissoko, fervent défenseur de la mémoire des ancêtres.

En interprétant ses propres compositions comme dans “Soutourou”, Ablaye, assis, le manche de l’instrument bien en face, à hauteur de ses yeux, a envouté le public par des textes métaphoriques porteurs de plusieurs messages de sagesse pour mettre en avant les valeurs humaines, le véritable trait d’union entre les trois artistes venant de contrées lointaines.

Au rythme de la palette énorme des sons dégagés par le zarbe (fabriqué en bois de mûrier ou de noyer), Kiya, co- fondateur de l’ensemble Constantinople, dont le concept est basé sur l’héritage musical du Moyen âge et de la Renaissance de l’Europe de la Méditerranée et du Moyen-Orient, chante essentiellement des poèmes de Hafez, reprenant fidèlement son hymne à l’amour et à l’union.

Le oud pourrait apporter une autre note de grâce et de finesse

Dans ce beau métissage musical, “Jardins migrateurs” est, pour Keyvan Chemirani, une création musicale très vivante de jardins entretenus, qui ont besoin d’être à chaque fois arrosés pour grandir tout en préservant cette complicité très délicate pleine d’expressivité. Il s’agit, réplique Ablaye Cissoko de remettre les chansons de notre patrimoine qui ne sont pas revisités par les jeunes aujourd’hui, à la surface pour qu’elles ne soient pas vouée à l’oubli.

Certes, chaque instrument a ses racines, mais “Nous ne sommes pas des gardiens mais des dépositaires de ces instruments d’antan” a précisé Cissoko. D’ailleurs, entre le kora, le sétar et le zarb, le oud (luth, instrument à manche courte), a confirmé Kiya, pourrait intégrer cette belle rencontre poétique entre cordes persanes et cordes mandingues, pour apporter une autre note de grâce et de finesse à cette collaboration entre Ablaye Cissoko et l’ensemble Constantinople, qui se sont réunis car ils croient à l’unanimité que les mélodies et l’oralité viennent autant de la Terre, de l’Eau et de l’Air que du Cœur des Hommes.