Le Palais de l’Artisan, victime de la puissance de l’argent?

palaisdelartisan-2015Triste affaire que celle du «Palais de l’Artisan», le Ali Baba de l’artisanat tunisien jadis fleuron des produits artisanaux en provenance de tous les coins du pays et aujourd’hui, non pas mis à mal, mais presque mis à mort par la volonté ou pire la vénalité des propriétaires successifs de l’immeuble abritant le siège du Palais.

L’histoire commence quand Lassaad Béji, président de la Fédération de l’artisanat à l’UTICA à l’époque et héritier d’une longue lignée d’artisans, a décidé de mettre en valeur le patrimoine artisanal ancestral en lui offrant une vitrine dans une cité huppée telle que le Lac de Tunis.

Il fut encouragé par les autorités publiques, lesquelles se délestaient petit à petit de leurs responsabilités dans la préservation d’un secteur vital dans un pays comme le nôtre et surtout grand pourvoyeur de postes d’emplois. L’artisanat a été et est malheureusement, depuis des décennies, le parent pauvre des métiers en Tunisie et n’a pas pu et su évoluer au gré des exigences de la vie moderne et qui a surtout figuré parmi les grands absents des politiques sectorielles entreprises depuis un bail.

En 2008, le bien souffrant de grandes difficultés financières, a été cédé à une jeune promotrice qui a pris le risque d’acquérir les parts de tous les actionnaires tout en se portant acquéreur du fonds de commerce.

Depuis, le Palais est entré dans une phase de développement tant au niveau de la diversification de ses produits que de ses clientèles locales et internationales. Le Palais, qui opère avec 740 artisans, a modestement œuvré à pérenniser certains métiers et survivre au recul manifeste du secteur artisanal dans notre pays. Il a supplanté la Socopa -organisme public dont le rôle était de mettre en avant les métiers artisanaux et qui avait fermé ses portes.

Le Palais est également devenu une référence pour les visiteurs étrangers, les missions diplomatiques, les organismes internationaux et les départements ministériels quant aux articles artisanaux de valeurs qui édifient les nationaux et les internationaux sur un riche patrimoine hérité depuis des millénaires.

Les gouvernements passent, la triste réalité ne change pas

Mais le rêve de voir le Palais devenir une locomotive pour les métiers artisanaux a été vite brisé par la voracité de l’ancien propriétaire de l’immeuble qui a profité de la manne de la pseudo-révolution pour engager les travaux de construction d’un troisième étage sans autorisation préalable de la part des autorités compétentes. Conséquences : l’enseigne du Palais a été détruite, sa façade défigurée et la construction abîmée. N’y allant pas de mains mortes, le sieur a vite fait de couper la climatisation centrale ainsi que le chauffage central pour pousser la propriétaire du fonds de commerce vers la porte de sortie mais aussi l’électricité l’acculant à doter, par elle-même, les lieux des installations électriques. Des agissements qui frôlent la torture psychologique et même le harcèlement. Il pouvait se le permettre dans un pays où le chaos a supplanté l’ordre et l’Etat de droit.


En réaction aux abus cités plus haut et en l’absence d’une réaction coercitive de la part des autorités municipales, la concernée a déposé plainte auprès des tribunaux. Un arrêté ordonnant la destruction de l’étage objet du litige a été rendu. Sauf que l’arrêté, qui a vu le jour au mois de juin 2011, a été invalidé non pas par un autre arrêté émanant des autorités compétentes mais par simple mention apposée par le responsable siégeant à l’époque à l’arrondissement El Khadhra. Un acte illégal et qui suscite nombre de questions mettant en doute l’intégrité morale du signataire de l’annulation de la décision de démolition…

Résultat : depuis la fin de l’année 2011, aussi bien «le Palais de l’Artisan», ses employés, ses fournisseurs ainsi que ses 740 artisans en paient la facture. Une facture assez lourde à supporter puisque les premiers risquent de perdre leurs emplois, les seconds leurs sources de revenus et le secteur artisanal une vitrine mettant en avant le raffinement et la beauté de l’artisanat tunisien au vu de la chute vertigineuse du chiffre d’affaires du Palais qui a reculé de 60% de ses réalisations en 2011.

Les innombrables démarches entreprises depuis auprès des autorités locales (la Mairie de Tunis) n’ont servi à rien et l’arrêté de démolition est resté lettre morte depuis. Jusqu’à ce que de nouveau et après des plaintes répétitives et des dommages financiers et moraux, on réactualise l’arrêté de démolition en août 2015.

Avec l’arrivée d’un nouveau gouvernement permanent, la promotrice du Palais de l’Artisan, qui avait lors de l’acquisition du fonds de commerce injecté près de 600.000 dinars pour le remettre à flots, a cru ses malheurs terminés puisque, enfin, il y a un Etat qui va faire régner l’ordre et instaurer la suprématie de la loi.

Sauf que… l’une des manigances dont a été victime la promotrice du Palais était que le bien a été cédé par son propriétaire initial à un nouvel investisseur. Un investisseur dans des cabinets médicaux qui n’a pas cru bon de l’avertir du changement de propriété acquise, semble-t-il, depuis des mois. Mauvaise foi? Manipulation de la loi? Des questions sans réponse à ce jour. La dame qui a frappé aux portes de tous les gouverneurs et a contacté toutes les autorités concernées pour que la loi soit appliquée a vu tous ses efforts réduits à néant. Pour être dans le respect de la loi, S.B a déposé, pendant 4 ans, le loyer du Palais à la trésorerie générale, avec ce que cela engendre comme frais supplémentaires sachant que le fonds de commerce a été évalué sur décision de justice à 3 millions de dinars.

Aujourd’hui rien n’a été fait pour régulariser la situation, les conséquences de la résiliation de l’arrêté de démolition par le chef de l’Arrondissement El Khadhra ont été dramatiques pour la gérante du «Palais de l’Artisan». Le nouvel acquéreur ne se positionnerait pas dans la logique d’un arrangement clair, net et précis mais aurait préféré jouer, depuis le début, au marionnettiste tirant les ficelles sans être aux premières.

La locataire du lieu n’a pas encore reçu officiellement les documents l’informant du changement de propriété, alors que les travaux de construction comprenant l’étage, objet de l’arrêté de démolition, ont continué de plus belle. Les directives de la police municipale et les décisions de justice y compris une réactualisation de l’arrêté interdisant la poursuite des travaux au mois d’août 2015 ont été jetées à la poubelle.

Par contre, une commission a été mise en place par les autorités locales avec pour objectif de prendre une décision quant au fait de démolir ou de garder le troisième étage.

Il faut préciser que toutes les autorités concernées, y compris le secrétaire d’Etat aux collectivités locales, ont été avisées de l’évolution de l’affaire depuis le début et jusqu’à aujourd’hui.

Pour S.B : «J’ai la conviction qu’on a laissé les choses traîner sciemment pour permettre au nouveau propriétaire d’achever ses travaux de construction, car figurez-vous que l’entrepreneur a ignoré toutes les décisions émanant des pouvoirs publics pour l’arrêt des travaux, travaillant de jour et de nuit, m’insultant et m’humiliant au passage ainsi que mes employés et des fois effrayent mes clients. J’ose croire qu’il y a des décideurs publics qui agissent dans le respect de la loi, mais qu’on ne me dise pas qu’il y a eu des ordres fermes intimés au nouveau propriétaire de suspendre les travaux de construction. J’ai des photos, et des vidéos attestant la présence presque quotidienne de son entrepreneur sur les lieux. Les murs du Palais sont lézardés à cause des marteaux piqueurs utilisés par les maçons et les ouvriers. Je pense que j’ai été la victime d’une grande conspiration à laquelle ont participé de nombreuses parties. J’avais rêvé que je pouvais être le porte étendard du secteur artisanal, j’avais rêvé que dans notre pays l’ordre et la loi étaient applicables de la même manière à tous les citoyens. J’ai bien peur que la puissance de l’argent et des relations soit plus au-dessus de l’Etat, des lois et du droit. Quel est le rôle des maîtres de nos destinées à ce niveau? Le peuple peut-il prétendre à la justice et l’équité? Sommes-nous tous égaux devant la loi et est-elle applicable de la même manière à tout le monde? J’aimerais bien que ceux qui ont pris sur eux la responsabilité de faire régner l’ordre et de réinstaurer l’Etat de droit me répondent!»

Amel Belhadj Ali