L’Assemblée des Représentants du Peuple a adopté, dans la nuit de jeudi à vendredi, le projet de loi portant recapitalisation de la Société Tunisienne de Banque (STB) et la Banque de l’Habitat (BH) pour un montant total de 867 millions de dinars environ pour les aider à surmonter la situation difficile à laquelle elles font face, au terme de débats virulents sur les conditions de son passage.
Le projet de loi, qui été voté avec 109 voix pour, 8 abstentions et 10 voix contre, autorise l’Etat à verser un montant de 757 millions de dinars de son budget au capital de la STB et 110 millions de dinars en faveur de la BH.
La recapitalisation de la STB et la BH entre dans le cadre d’un plan complémentaire pour la restructuration des deux banques afin de consolider et équilibrer leur assise financière. Cette opération qui a été accompagnée par la révision du cadre de la bonne gouvernance et la détermination de plans d’affaires a touché le volet social (mise en valeur des ressources humaines), institutionnel (système informatique, organisation, gestion des risques, contrôle interne) et commercial.
Les députés ont été partagés entre la nécessité de sauver les banques publiques, l’exigence de la mise en place d’un plan de leur relance, la modernisation de leurs outils de bonne gouvernance et du secteur financier en général, d’un côté, et le refus total de versement des deniers publics en leur faveur avant de faire la lumière sur les responsable de la corruption qui a conduit à la crise de ces institutions bancaires.
Certains députés ont exprimé leur étonnement de l’introduction de cette loi importante sans un audit rigoureux dévoilant la situation de ces banques publiques, soulignant qu’il “était illogique de voir le peuple payer le tribut de la corruption et assumer la responsabilité du pillage et du vol”.
Pour le député et ex-chef du gouvernement de la Troika, Ali Lariadh (Ennahdha), “ce projet de loi va aider à sauver l’économie du pays et ne protégera guère les corrompus”. Il a souligné toutefois la nécessité de faire accompagner cet effort d’aide financier par un suivi et un contrôle pour s’assurer de ne pas se retrouver à la même situation de crise”, se prononçant pour la restitution des capitaux pillés.
Mohamed Ben Salem (Ennahdha) a estimé que la recapitalisation “va aider à donner de nouveaux moyens à l’économie nationale”, tout en mettant l’accent sur “la nécessité de faire connaître la vérité sur la situation de ces banques et éviter d’être pris pour des complices de la corruption”.
Mongi Harbaoui (Nida Tounes) a indiqué qu’il “importe de ne pas occulter que ces institutions avaient contribué à l’édification de la Tunisie et ne pas les brader, notamment la Banque de l’Habitat, dans aucun état de cause,”.
Il s’est prononcé, d’autre part, pour la réactivation du rôle des institutions de remboursement pour la restitution des capitaux pillés. Mustapha Ben Ahmed (Nida Tounes) a estimé que “faire le parallèle entre le projet de loi de recapitalisation et celui de la réconciliation nationale relève de la surenchère politique”.
Pour sa part, Nizar Amami (Front Populaire), a fait remarquer que “faire passer ce projet de loi de façon hâtive est une poursuite de la politique libérale alors que les reformes sociales sont reportées aux calendes grecques”, émettant l’espoir que “c’est la dernière fois que le peuple paie le prix de la corruption”.
Samia Abbou, du courant démocratique, tout en estimant que le projet de loi va être voté, elle a souligné qu’il n’était “pas honnête de l’adopter sans avoir pris connaissance de la situation réelle des banques concernées”. Elle a qualifié de “scandaleux” l’audit des banques, affirmant que “la Tunisie fait face non pas à une crise financière mais à une crise de valeurs”. “Ce dont Ben Ali n’a pu accomplir en 23 ans nous l’avons fait en 5 ans seulement, notamment en 2014, année qui a vu l’Etat de corruption prospérer”, a-t-elle ajouté.
Sur ce même ton de défiance, Imed Daimi a exprimé son “refus de la nationalisation des pertes et la privatisation des bénéfices car la nouvelle loi est un avant goût de la loi sur réconciliation nationale qui a être bientôt soumis à l’assemblée”, a-t-il estimé.
Pour Mongi Rahoui (Front Populaire), “la réconciliation ne doit en aucune manière être un subterfuge pour recycler la corruption, donner des privilèges indus aux personnes ayant commis des crimes contre les droits des couches sociales pauvres et les régions marginalisées”.
Dans sa réponse aux interventions, le ministre des finances Slim Chaker a indiqué que le comité général de contrôle financier relevant du ministère a élaboré trois rapports sur la situation des banques publiques transmis au procureur de la république.
“L’audit a été achevé pour la STB et la BH mais a pris du retard pour la Banque Nationale Agricole”, a-t-il fait savoir. Il a imputé la situation difficile de la STB à plusieurs causes, dont notamment les instructions imposées par le sommet du pouvoir aux dirigeants.
“La fusion de trois banques au sein de cet établissement financier a été effectuée aussi sans étude préalable, outre la réservation par cette banque de 460 millions de dinars de réserves, après le changement par la Banque Centrale des règles de gestion prudente”, a- t-il expliqué.
Exposant les garanties contre un soutien renouvelé à ces institutions publiques, Slim Chaker a évoqué le contrôle par l’APR, par l’entremise d’une commission financière, la conclusion de programmes entre le département des Finances et les nouveaux dirigeants de ces banques, l’adoption d’un nouveau mode de restructuration basé sur la répartition des tâches entre celui qui met en place la stratégie d’action et celui qui veille à sa mise en oeuvre.
Parmi les autres garanties, le ministre a cité le choix, sur la base d’un mode transparent par le biais des multiples commissions, de représentants de l’Etat au sein de ces banques publique, la désignation du PDG ainsi que le suivi du plan des affaires portant sur la recapitalisation, du système informatique et l’octroi des mêmes moyens dont disposent les banques privées afin de les aider à soutenir la concurrence.
Le ministre s’est engagé, par ailleurs, à présenter des rapports tous les six mois au parlement et un autre rapport de synthèse sur l’avancement du plan des affaires tous les trois mois. Il a indiqué qu’un accord a été conclu avec la BNA pour vendre une partie de ses biens pour réunir les 300 millions de dinars qu’elle comptait emprunter à l’Etat.
“D’un autre côté, la part de l’Etat dans la Banque de l’Habitat sera de l’ordre de 60 millions de dinars seulement, ce qui allège de 480 millions de dinars, sur un total de 1300 millions de dinars, l’effort que la collectivité nationale devait consentir pour la recapitalisation des banques publiques”, a-t-il fait valoir.
Slim Chaker a tenu, d’autre part, a rassurer les députés que les dettes du secteur touristique ne seront pas annulées. “Nous avons donné des instructions à ces banques pour s’adresser à la justice en cas de non remboursement des dettes, pour avoir l’autorisation de la mise en vente de l’hôtel objet du prêt”, a-t-il affirmé. La séance a été levée à minuit 20 minutes.