La vie ne les a pas gâtées. Dès les premières heures de l’aube, elles sont debout pour se rendre sur leur « lieu du travail ». Dans la boue, sans protection ni du froid, l’hiver, ni de la canicule, l’été, pour passer de 10 à 12 heures du travail pénible contre quelques dinars.
Certaines de ces femmes rurales sont parfois chanceuses d’arriver indemnes au « boulot ». Mais il arrive qu’elles perdent la vie chemin faisant, au gré des embardées des camionnettes dans lesquelles elles s’entassent dans des conditions périlleuses, sans protection aucune.
Les accidents tragiques de tels cercueils ne sont pas rares. L’actualité récente a charrié les images des corps meurtris dans leur chair, parfois trépassés, de ces naufragées de la route. Invariablement, ce sont surtout des ouvrières agricoles qui font les frais de ces accidents meurtriers, dont le dernier en date a été signalé depuis peu du côté de Fernana.
Cette situation n’a pas manqué d’alarmer l’opinion et des voix se sont élevées pour briser le mur de silence qui l’entourait depuis des années.
Plusieurs ONG ont donné en effet de la voix pour tirer la sonnette d’alarme et dénoncer ces conditions inhumaines. L’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD) a ainsi souligné, dans un communiqué du 12 février dernier, que « des agriculteurs transportent les ouvrières comme du bétail dans des camionnettes précaires, sans aucune sécurité », accusant les autorités de laxisme.
« De tous âges, des plus jeunes jusqu’aux presque centenaires, les ouvrières agricoles, doivent trimer très dur pour nourrir les leurs. Sans couverture sociales ni bénéficier des droits de travail les plus élémentaires», a souligné Rabeb Ismail, coordinatrice de l’Observatoire Asma Fani pour l’égalité des chances et la citoyenneté des femmes en Tunisie, relevant de l’ATFD.
« Les travailleuses agricoles travaillent de 10 à 12 heures par jour contre seulement 10 dinars de salaire journalier, alors que leurs homologues hommes perçoivent plus de 15 dinars pour le même travail», a t-elle ajouté, précisant que selon une enquête sur « les conditions de travail agricole des femmes en milieu rural » effectuée en 2014 par l’ATFD sur un échantillon de 200 femmes rurales, 27pc des femmes travaillent sans disposer d’un jour de repos hebdomadaire, 73pc sans contrat de travail, 37pc sur des terres appartenant à des hommes et 1pc seulement possèdent des terres».
Majoritaires comme exécutantes, minoritaires aux postes de décision
Selon d’autres données fournies par le ministère de l’agriculture, les femmes rurales sont minoritaires dans les tâches d’administration des terres et le travail permanent et majoritaires dans le travail d’exécution.
En fait, le nombre global des chefs d’exploitation , à qui revient la prise de décision de la gestion de l’exploitation est de 511,458, dont 476,778 hommes (soit 93,2pc) et 34.680 femmes (soit 6,8pc), celui des ouvriers permanents est de 46.354, dont 41.167 hommes (88,8 pc) et 5. 187 femmes (11,2pc), celui des ouvriers saisonniers est de 194, 383, dont 120, 040 hommes (61,8pc) et 74.343 femmes (38,2pc) et le nombre global des aides familiales est de 699.467, dont 266.610 hommes (38pc) et 432.857 femmes (62pc).
Le ministère de la femme est conscient des conditions déplorables du travail des femmes agricultrices a déclaré à l’agence TAP, Jazia Hammami, sous-directrice, chargée de la femme rurale, précisant qu’ « elles travaillent dans des conditions dangereuses et non protégées, d’autant qu’elles sont exposées à des risques de santé à cause de l’usage de pesticides et de produits chimiques. Leur travail échappe au contrôle de l’inspection du travail. De surcroît, il n’y a pas de législation qui prenne en compte les spécificités de leur travail. En outre, le système de protection sociale mis en place en 2002 désavantage les femmes rurales. D’où la nécessité de le revoir au plus vite.»
Pour les mesures à entreprendre, le ministère de la femme planche sur une étude sur le travail des femmes en milieu rural, dont l’objectif est de dresser un état des lieux et d’aboutir à des recommandations pratiques et des mesures législatives concrètes, a t-elle indiqué.
Au niveau du ministère de l’agriculture, des plans locaux de développement sont en cours de réalisation, basés sur une approche participative et intégrée, a affirmé Narjess Hamrouni, directrice du bureau d’appui à la femme rurale au ministère de l’agriculture, dont l’objectif est d’améliorer les conditions socio-économiques dans le milieu rural.
Plus de 14 mille enquêtes ont été réalisées dans des zones rurales par les 38 cadres du bureau (vulgarisateurs, techniciens et ingénieurs) , dans le cadre de ces plans, permettant à la population rurale de présenter ses problèmes et besoins, a t-elle ajouté, affirmant que « parmi les actions à entreprendre, figurent la création d’un comité de développement pour la validation de ces plans, le suivi des suggestions de la population rurale et l’élaboration d’un programme d’intervention au profit de la femme rurale. »
Des ONG et structures syndicales ont présenté des revendications, dénonçant l’insuffisance des actions entreprises en faveur de la femme rurale. L’ATFD a appelé dans ce cadre à la mise en place immédiate de mécanismes efficaces de protection des femmes rurales dans le milieu du travail, l’amélioration de leur participation à la prise de décision et la prise en compte de la dimension genre dans les plans quinquennaux de développement.
De son côté, Lamia Gam, présidente de l’unité femmes agricultrices à l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (UTAP) a évoqué les difficultés d’accès des femmes rurales aux crédits, la complexité des procédures administratives et le manque d’avantages à même d’aider la femme rurale à créer son propre projet.
Les femmes rurales ont besoin d’être aidée, a plaidé, de son côté, Nejia Ben Zayed, secrétaire générale de la fédération nationale des agricultrices relevant de l’UTAP , appelant à soustraire les femmes agricultrices de leur situation déplorable et de les aider à se constituer en groupements de nature à accroître leurs sources de revenus.
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