Tunisie – Entretien de Rached El Ghannouchi sur Assarih : Une logique qui défie toutes les logiques

Il est étonnant, voire surprenant et choquant de voir toute cette arrogance et cette assurance dans les déclarations faites, à propos de problématiques nationales, par le sieur Rached El Ghannouchi, président de la Nahdha et l’un des successeurs au trône d’al « Morched Al A3la » des frères musulmans et de l’international islamiste.

Rached El Ghannouchi serait, selon des observateurs de la scène politique tunisienne et des profileurs des personnages de son acabit, le plus rusé et le plus pervers politiquement de tous les leaders sur la place. Il aurait l’art de tirer les ficelles, de manipuler ses rivaux politiques en les persuadant qu’ils ont tout à gagner avec lui et tout à perdre sans lui. C’est ce qui expliquerait les files d’attente devant son domicile et les nombreuses rencontres avec nombre de ses « opposants », des relations trop « rapprochées » justifiées  par les exigences de l’heure grave que traverse le pays… Mais passons… Car le déficit patriotique de la classe politique est de plus en plus frappant, ce qui expliquerait la désillusion de la population et le peu si ce n’est l’absence de confiance qu’elle lui accorde.

Ghannouchi revient donc à la charge sur le journal Assarih pour se prononcer à propos de choses qui ne le concerneraient pas directement ou qui feraient plus partie des prérogatives du chef du gouvernement et de ses ministres. Mais dans la logique des « Ikhouan », l’Etat, c’est eux et eux sont l’Etat tout comme l’islam est eux et eux sont l’islam. Par conséquent, ils peuvent déclarer, juger, condamner et décider, c’est dans l’ordre des choses et cela s’appelle « Al Wala wa Ta3a ». (Allégeance et obéissance).

Dans l’entretien publié sur Assarih, le président de la Nahdha a de nouveau déclaré que rien ne justifierait un scénario à l’égyptienne en Tunisie. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que lui ou l’un de  ses congénères  font pareille déclaration. C’est à croire que la peur que cela se produise réellement les pousse à se rassurer eux-mêmes et à renvoyer ces affirmations à l’ensemble de la population pour lui faire croire que les frères « légitimés » par les urnes ne lâcheront jamais le pouvoir que par les urnes. D’où l’importance pour eux d’un code électoral sur mesure et d’une ISIE aux ordres… Ce qui semble ne pas inquiéter outre mesure les médias et la classe politique tunisienne occupés qu’ils sont à analyser, juger et évaluer déclarations, entretiens et actions que leur concoctent les Nahdhaouis bien coachés et entraînés aux manœuvres de diversion…

Il y a quelques temps, R.G avait déclaré que  le jeune mouvement « Tamarrod » n’inquiète pas le gouvernement, et ne déstabilise pas la confiance de la troïka en elle-même,  le taxant de « suspect, anarchique et  n’offrant pas de programmes clairs pour une alternative politique, économique et sociale pour la Tunisie ». Ce qui est le plus surprenant dans ces déclarations, c’est l’importance accordée par le chef de file de la Nahdha à un mouvement protestataire de jeunes. Car le propre même des jeunes est leur capacité de rébellion et de révolte, c’est ce qui en fait les leaders de demain.  D’ailleurs pour l’histoire, lorsqu’il était lui-même enseignant à la Faculté de la Chariaa et des sciences religieuses, il en a formé pas mal dont Hechmi El Hamdi et des centaines de disciples devenus aujourd’hui les militants les plus engagés dans la cause des Ikhouans.

Sur Assarih, celui qui s’est approprié à lui seul le rôle du père fondateur de la Nahdha revient à la charge pour dire que l’on ne devrait s’inquiéter de rien en Tunisie qui ne ressemble pas à l’Égypte car « son armée est républicaine », cette armée qu’il avait décrite dans son entretien avec les salafistes de « pas acquise » mais nous avons la mémoire courte…

Ghannouchi pousse l’impertinence jusqu’à se mêler des affaires soumises à la justice. Pour lui « Sami El Fehri devrait être libéré s’il ne mérite pas ce séjour prolongé en prison », bien sûr, lui-même n’a rien à y voir…Tout comme il estime qu’il n’y a aucune raison pour que Ridha Ghrira reste détenu car malade…

Au-delà d’un interventionnisme injustifié dans la justice tunisienne, les lecteurs remarqueront dans l’interview en question, le moi démesuré de l’un des leaders les plus féroces de l’international islamiste. Il parle de lui-même à la troisième personne : « Rached el Ghannouchi est le premier qui a appelé à la réconciliation nationale… ». Il ne manque pas dans le même contexte de lier cette réconciliation à la rédaction de la Constitution qui devrait bénéficier du consensus. Serait-ce un consensus préparant à l’institution d’un Etat théologique ?

Rached El Ghannouchi a également déclaré que les destouriens doivent avouer leurs erreurs et reconnaître qu’ils ont soutenu la dictature avant de s’excuser auprès du peuple tunisien, oubliant que lui-même et ses acolytes doivent avouer leurs erreurs et surtout leurs actes violents à la fin des années 80. Le peuple tunisien l’aurait-il plébiscité pour cette mission sans que nous le sachions ? Ou sa vanité lui ferait-elle croire que le peuple est lui et que lui est le peuple comme c’est le cas de la Nahdha ?

En somme Rached El Ghannouchi, dans cette énième interview parue sur les médias nationaux reste fidèle à lui-même, dissimulant sous des phrases « clichés » ses réelles pensées, rappelant les exactions, les violences et les privations dont lui et ses disciples ont été les victimes, envoyant des messages pacifiques angéliques, exprimant un amour inconditionnel pour la Tunisie et les Tunisiens, condamnant doucement mais sans « vindicte » les symboles de l’ancien régime, appelant avec forte « conviction » à l’instauration d’un régime démocratique, déplorant la privation des hommes d’affaires de leurs passeports, commentant les réalisations du gouvernement, en ne lui épargnant pas de gentilles critiques, ainsi que la situation de l’économie rappelant dans son attitude et ses réactions celles de Mohamed Badii, al Morshed  des frères musulmans en Egypte et Ali Khamenei, ayatollah et l’actuel Guide suprême de la Révolution iranienne.

Rached El Ghannouchi oublie dans ses affirmations à la presse, les appels à la violence faites par ses disciples dont la dernière en date est celle de Sahbi Atig, qu’il justifie dans l’entretien, il omet d’exprimer des positions claires des LPR et évite de parler des pièges et mines posées par la majorité parlementaire dans une constitution censée être plus évoluée que celle de 1959. Une constitution qui a été soumise à la Commission de Venise qui y a soulevé des incohérences. Soit  une insistance exagérée du poids de l’appartenance religieuse dans certains articles et certains manquements aux principes des valeurs universelles et des conventions internationales. Pour exemple, la commission de Venise a jugé la Formule  « L’Etat gardien de la religion» ambiguë. La question que les experts ont soulevée a été : S’agit-il de la religion prise dans un sens conceptuel: ce qui revient à dire que l’Etat est le gardien de toutes les religions. Ou la formule ferait-elle écho à la religion dominante, c’est-à-dire à l’Islam? Si tel est le cas, estime la commission de Venise, il y a non respect des normes internationales car cela supposerait une discrimination entre les différentes religions ou Croyances »…

Alors Monsieur Ghannouchi, pensez-vous toujours que votre Constitution est parfaite ? Ou votre logique à vous défierait-elle toutes les autres logiques ?