Transparence budgétaire en Tunisie

budget-123654789La Tunisie vient d’être classée 85ème sur 100 dans le classement international relatif à la transparence budgétaire établi par «International Budget Partnership » (IBP). Elle a obtenu un score de 11 points sur 100 au niveau de l’indice sur le budget ouvert 2012, au terme d’une enquête axée sur la loi de finances 2011, 1ère année de la révolution (17 décembre 2010/14 janvier 2011). 

Le classement met en évidence “le peu de transparence qui prévaut, en Tunisie, concernant la gestion des fonds publics et les possibilités réduites de contribution du citoyen à la gestion des affaires publiques”, autant de problèmes liés directement à la lutte contre la corruption et à l’exercice de la citoyenneté, principales revendications de cette révolution.

Pour IBP, “le gouvernement fournit, au public, très peu d’informations sur le budget et les activités financières au cours de l’exercice budgétaire. Il est donc difficile pour les citoyens de tenir le gouvernement responsable de sa gestion des fonds publics”. Ainsi sur les 8 « documents budgétaires clés », selon le classement, 3 ne sont pas produits en Tunisie.

Il s’agit du rapport préalable au budget, du budget des citoyens et de la revue de milieu d’année. Un quatrième document relatif au projet de budget de l’exécutif qui transforme « les objectifs politiques en actions», est produit uniquement à des fins internes. Les documents publiés ne le sont qu’en cours et en fin d’année, outre le rapport d’audit et le budget approuvé.

Les défaillances, mises en évidence dans l’enquête, couvrent tout le cycle budgétaire (préparation, élaboration, adoption, mise en œuvre et contrôle …). Elles ont trait aux rôles des organismes publics intervenant dans ce cycle. Concernant le rôle des pouvoirs publics, chargés du budget, M. Karim Trabelsi, consultant à l’IBP, souligne la capacité réduite du député (pouvoir législatif) à intervenir dans le processus de préparation, d’adoption et du contrôle du budget.

Par contre le chef de l’Etat a la possibilité d’intervenir pour modifier le budget, notamment des dispositions de la nouvelle loi de finances, et ce, même le 31 décembre, soit juste avant sa publication sur le JORT. D’où la nécessité d’amender la loi organique relative au budget, laquelle remonte à 1967, précise M. Trabelsi.

Quant à l’organisme en charge du contrôle de la gestion du budget et des finances publics, en l’occurrence la cour des comptes, elle manque, selon cet expert, de moyens financiers et humains nécessaires à l’accomplissement de son travail. Avant la révolution, ses rapports demeuraient en grandes parties confidentiels.

«Cette cour doit bénéficier d’une indépendance totale et sa mission doit être renforcée de manière à lui confier la certification des comptes de l’Etat », indique M. Salah Riahi, président de l’ONG tunisienne «Transparency first », qui a contribué aux côtés d’une autre ONG, “Touansa” et du département des études de l’Union tunisienne générale du travail (UGTT) à la réalisation de l’enquête. «Nous devons évoluer d’un contrôle des dépenses publiques au contrôle de la gestion de ces dépenses », dit-il.

M. Riahi attire également l’attention sur des chiffres contradictoires, publiés sur le même indicateur (budget), par des organisme publics différents, ainsi que sur l’absence d’informations concernant les états financiers, le bilan et les actifs de l’Etat, s’interrogeant sur la capacité du responsable gouvernemental à prendre des décisions pertinentes en l’absence d’informations précises et fiables.

M. Abderrahmen Khochtali, directeur général de l’unité de gestion budgétaire par objectifs (GBO), explique ces défaillances, en matière d’information budgétaire, par une comptabilité publique «de caisse» (reprenant tout juste les recettes et les dépenses) ainsi que par l’absence de nomenclature budgétaire et d’un système informatique performant permettant de rassembler les données budgétaires éparpillées sur les différents départements ministériels.

Selon ce responsable du ministère des finances, pour avoir une certification des états financiers de l’Etat, il faut tout d’abord disposer d’une comptabilité conforme aux normes internationales comptables du secteur public (IPSAS), de manière à inclure le patrimoine de l’Etat et ses actifs ainsi qu’une “comptabilité des droits constatés”, l’objectif étant de faciliter la reddition des comptes publics. Cette comptabilité est au centre d’un projet de modernisation des finances publique confié à l’unité de la GBO.

Ce projet n’est pas le premier du genre, dans les annales du pays, d’autres projets ont été annoncés au début des années 70 ainsi qu’au milieu des années 80 puis abandonnés, discrètement, par la suite, d’après des ex- responsables au ministère. Concernant les projets d’investissement public, prévus dans le budget de 2012, leur taux de réalisation ne devrait pas dépasser les 60%, selon M. Kochtali qui évoque une réticence, chez les gestionnaires publics, à adopter la souplesse que le gouvernement provisoire leur avait proposée, en 2012, notamment en matière de procédures administratives, afin d’accélérer la réalisation des projets programmés.

Cette réticence est due à un discours incohérent sur l’administration, taxée d’une part de corruption et de laquelle, on exige davantage d’efficacité, d’autre part, a-t-il dit. Concernant l’approche participative qui doit être adoptée dans l’élaboration et la mise en œuvre du budget de l’Etat afin de conférer davantage de transparence à sa gestion, le conseil économique et social (CES) offre un cadre idoine à cette approche, selon M. Kochtali. Indépendemment du cadre politique qui prévalait dans le pays, avant le 14 janvier 2011, le CES offrait l’occasion pour un débat enrichissant sur le budget, affirme M. Trabelsi, consultant à l’IBP, estimant que l’absence de cette institution du projet de la nouvelle constitution est un motif d’inquiétude pour la société civile.

D’après M. Abderrahmane Lahga, expert auprès du département des études de l’UGTT, l’approche participative est à adopter en vue de renforcer la cohésion nationale dans la concrétisation des choix économiques du pays et instaurer un climat social moins tendu. En effet, depuis la révolution du 17 décembre 2010/14 janvier 2011, la Tunisie vit au rythme des protestations sociales, des sit-in et grèves qui dégénèrent souvent, en heurts et violence à l’instar de ce qui s’est passé à Siliana en novembre 2012.

Le score obtenu par la Tunisie, en matière de transparence budgétaire, l’a placé parmi les pays peu ou pas transparents juste avant l’Irak, l’Arabie Saoudite et le Qatar pour la région arabe avec des scores respectifs de (4, 1 et 0). S’il a le mérite de mettre en évidence plusieurs défaillances du système budgétaire du pays, ce classement risque de ternir davantage l’image du pays auprès de ses bailleurs de fonds. Une image déjà entamée suite aux multiples incidents de violence marquant la transition démocratique, notamment l’attaque de l’ambassade américaine le 14 septembre 2012 et l’assassinat du leader de l’opposition Chokri Belaid le 6 fevrier 2013. Cependant, ce classement peut servir, selon Lahga, de point de départ pour évaluer les éventuelles avancées qui seront réalisées à l’avenir.

DI/TAP