La 6ème chambre correctionnelle relevant du tribunal de première instance de Tunis I a décidé, jeudi, lors d’une audience qui a duré 6 heures, de reporter le prononcé du jugement dans l’affaire de “Nessma TV” à la date du 3 mai 2012.
Nabil Karoui, directeur général de la chaîne Nessma TV, est accusé de “porter atteinte à l’ordre public et aux symboles religieux”, suite à la diffusion du film d’animation franco-iranien “Persepolis”, le 7 octobre 2011, jugé comme étant blasphématoire à la foi religieuse.
La date du prononcé du jugement dans l’affaire en question, le 3 mai prochain, coïncide avec la célébration par la communauté internationale de la journée mondiale de la liberté de presse. Les avocats de la partie demanderesse ont appelé le juge statuant en l’affaire, Faouzi Jebali, à infliger la peine capitale à l’encontre du directeur de la chaîne, conformément aux dispositions de l’art.72 du code pénal qui prévoit qu’il est “puni de mort, l’auteur de l’attentat ayant pour but de changer la forme du gouvernement, d’inciter les gens à s’armer les uns contre les autres ou à provoquer le désordre, le meurtre ou le pillage sur le territoire tunisien”.
La diffusion du film d’animation “Persepolis”, quelques jours avant la tenue des élections du 23 octobre 2011, n’était pas un choix “arbitraire” mais visait plutôt à porter atteinte à l’ordre public, ont-ils prétendu.
Ils ont appelé à incriminer “toute atteinte à la foi religieuse”, la Tunisie étant “un pays musulman qui ne tolère aucune atteinte aux symboles religieux”. Le directeur de la chaîne Nessma TV a exploité cet établissement médiatique à “des fins politiciennes”, ce qui est attentatoire à la déontologie de la profession journalistique qui commande de veiller à la neutralité au service de l’opinion publique, ont-ils excipé.
En contrepartie, les avocats de la défense ont plaidé en faveur de la requalification de l’affaire en vertu de la nouvelle loi sur la presse (décret-loi du 2 novembre 2011 pour la liberté de presse, d’impression et d’édition), soulignant que les conditions liées à la condamnation du directeur de la chaîne font défaut. Le motif étant que le film d’animation “Persepolis” est une production “autorisée et non interdite” qui a obtenu le visa légal délivré, depuis novembre 2009, par la commission compétente, relevant du ministère de la Culture et composée de plusieurs parties dont notamment, le représentant du ministère des affaires religieuses.
Ce procès, indique les avocats de la défense, est un procès “éminemment politique” qui s’inscrit dans le cadre des “procès d’opinion”, ce qui est en contradiction avec les objectifs de la révolution dont notamment l’instauration d’une justice indépendante qui recourt en premier et en dernier ressort au droit positif de l’Etat tunisien.
Voici un round-up historique et chronologique de l’affaire dite “Perspépolis”:
7 octobre 2011: diffusion du film sur la chaîne TV Nessma
9 octobre 2011: un groupe d'”extrémistes” a tenté, d’attaquer les bureaux de la chaîne dans le quartier de Montplaisir et à l’avenue Mohamed V à Tunis en signe de protestation contre la diffusion du film. Plusieurs partis politiques ont condamné l’attaque alors que d’autres ont critiqué la décision de la chaîne “survenue en une phase pré- électorale sensible (les élections du 23 octobre 2011).
10 octobre 2011: le bureau du procureur de la République de Tunis a décidé d’ouvrir une enquête préliminaire sur la diffusion, par la chaîne Nessma, du film “Persépolis”.
10 octobre 2011: Le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) a fait part, dans un communiqué, de son rejet total de toute forme d’agression contre les établissements de presse et des menaces contre les journalistes. Evoquant la tentative d’agression contre les locaux de la chaîne de télévision “Nessma TV”, le SNJT souligne son soutien au droit de protester et de manifester pacifiquement, loin de toute forme de violence et d’extrémisme.
10 octobre 2011: Réactions et positions divergentes des partis concernant la diffusion du film. Certains ont condamné les agressions violentes commises par des groupes de salafistes contre le siège de la chaîne TV Nessma dénonçant ces pratiques qu’ils ont qualifiés de “dangereuses et étrangères” à la société tunisienne, et qui menacent les valeurs démocratiques, réaffirmant leur solidarité avec la chaîne Nessma TV, afin qu’elle demeure une tribune de l’information libre. D’autres partis ont dénoncé, dans leurs communiqués, ces agressions, critiquant, toutefois, la diffusion par la chaîne “Nessma TV” du film “contenant des scènes qui personnifient Dieu”, mettant en garde, dans ce sens, contre “ces comportements agressifs” de la chaîne qui ne servent pas le droit à la différence entre les courants politiques et de pensée, mais menacent la paix sociale et le processus de transition démocratique.
11 octobre 2011 : Accusé “d’atteinte aux valeurs sacrées”, M. Nabil Karoui, directeur de la chaîne, avait été la cible d'”attaques intenses” et de “critiques virulentes”, sur le réseau social “Facebook”, et avait présenté ses excuses au peuple tunisien pour la diffusion de la séquence controversée du film “Persepolis”, tenant à préciser qu’il n’avait aucune intention de nuire aux musulmans à travers la projection de ce film.
11 octobre 2011: Le service d’information de l’ambassade d’Iran à Tunis a fait part de son étonnement face à la diffusion du film d’animation franco-iranien, intitulé “Persepolis”, considérant ce film comme “hérétique”, dès lors que son contenu est attentatoire aux axiomes religieux, de même qu’il donne une fausse image de la société iranienne. Dans un communiqué rendu public, le service d’information affirme avoir contacté des parties officielles pour interdire la diffusion du film et adressé une demande écrite aux responsables de la chaîne privée “Nessma Tv” les invitant à reconsidérer la décision de diffusion de ce film d’animation et à prendre en considération les croyances des téléspectateurs.
12 octobre 2011: Nabil Karoui avait comparu une première fois devant le procureur adjoint de la République chargé de la presse et de l’information , au tribunal de première instance de Tunis, pour audition au sujet de l’enquête ouverte à la demande d’un certain nombre d’avocats et de citoyens.
15 octobre 2011 : Les patrons de presse dénoncent les violences contre Nessma TV et l’attaque du domicile du PDG de Nessma.
15 octobre 2011: La chaîne privée “Nessma TV”, a appelé les autorités compétentes à garantir la protection nécessaire à son personnel, journalistes, techniciens et agents, afin qu’ils puissent accomplir leur mission médiatique dans les meilleures conditions.
17 novembre 2011: Premier procès au tribunal de première instance de Tunis de nabil Karoui et deux de ses employés, le responsable du service de visionnage au sein de cette chaîne et la représentante de l’Association ”image et parole” qui a assuré le doublage du film en dialecte tunisien.. “Ce jour marque la mort réelle de la liberté d’expression en Tunisie” déclare Nabil Karoui avant d’entrer à la salle d’audience ajoutant “Cette affaire est une affaire politique et je vois en ce jour, la mort réelle de la liberté d’expression en Tunisie”.
17 novembre 2011 : Le tribunal de première instance de Tunis a décidé de reporter le procès de Nabil Karoui, directeur général de la chaîne privée Nessma Tv et deux de ses employés, au 23 janvier 2012.
23 janvier 2012: Les médias interdits de couverture du procès de Nessma TV au palais de la justice à Tunis.
23 janvier 2012: Le procès de l’affaire Nessma TV est reporté au 19 avril 2012 suite à la demande de la partie civile en vue de leur permettre de mieux préparer la défense. L’affaire est soumise de nouveau au procureur de la république et réexaminée, à la lumière du nouveau code de la presse (décret-loi du 2 novembre 2011 relatif à la liberté de presse, d’édition et de publication).
Suite à la reprise du procès de la Chaine Nessma Tv et de son directeur Nabil Karoui, dans un climat tendu aujourd’hui 19 avril 2012, le juge a décidé de reporter le procès à la date du 3 mai 2012.
WMC/TAP
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