Tunisie – Politique : Quand Hezb Etahrir draine les foules… à Hammamet

Quels sont les points communs entre des déclarations du type «les dossiers de la corruption sont aujourd’hui utilisés comme moyen de marchandage politique» et l’annonce d’une «gigantesque manifestation pour protester contre cette mascarade de Constitution qui s’écrit à l’ANC»?

Si on rajoute à cela que «les actuels gouvernants sont des gens qui ont vécu à l’exil et qui ne savent rien des besoins de la «Oumma» ou que «les revendications des peuples sont plus hautes que les aspirations des politiques et qu’il n’y a d’alternative au changement que par l’islam» en précisant que «l’avenir ne peut s’écrire avec des moitiés d’hommes et des moitiés d’islamistes… le tournant est historique et l’Occident tremble… La victoire est à Allah».

Une petite idée?

Si l’on rajoute en guise d’indice supplémentaire que le temps de «l’instauration d’un régime islamique qui gouverne selon le Coran» a sonné et qu’un petit hélicoptère «made in china» vole au dessus d’une assistance subjuguée dans une salle des fêtes archicomble?

Vous avez peut-être compris. Nous sommes bien au meeting du Hezb Ettahrir qui s’est tenu dimanche dernier à Hammamet et les drapeaux noirs flottent de partout.

Royalement reçu par une équipe souriante et affable, le meeting est une réussite. Autrement dit, une assistance nombreuse, une presse relativement présente, un conférencier maniant la langue et la force de persuasion. Hezb Ettahrir est bel et bien là. Les femmes sont à l’étage. Dans les couloirs, on vend des petits livres présentant le programme de Dieu. Avec ce parti, on ne fait pas de demi-mesure.

Mohamed n’en revient pas. Originaire de la ville, il reconnaît une partie de l’assistance «appartenant aux catégories sociales aisées de la ville touristique. Beaucoup de commerçants, d’artisans et de professions libérales», dit-il.

Un public discipliné et attentif. Bien loin de l’image de «barbus» en «qamis» et espadrilles. Bien loin de l’indiscipline et du «takbir» à outrance. Hezb Ettahrir, qui impose le ton et la tenue a obtenu son visa en juillet 2012, après le parti salafiste “Jabhat Al Islah“.

Hezb Etahrir se voit accorder 2,1% d’intention de vote selon le sondage Sigma du mois de novembre 2012. Au mois de septembre 2012, soit deux mois après l’obtention de son autorisation officielle, il récoltait 2% d’intentions de votes. Un pourcentage qui équivaut à environ 160.000 personnes. A titre indicatif, et selon le même sondage, il pourrait «dépasser Al Massar qui se situe à 1,5%».

Pour en revenir à la conférence portant sur «les orientations et les défis de la révolution», le porte-parole du parti, Ridha Belhadj, assure que son parti va «donner un deuxième souffle à la révolution». Évitant les mots tels que démocratie ou Tunisie, il refuse «le chantage au tourisme qu’on nous sert à la pelle. Ce secteur présente 3.000 millions de dettes et prend en otage la révolution». Affirmatif, il déclare aussi que des négociations entre Ennahdha et Nidaa Tounes «ne sont qu’un jeu de couloirs de l’ombre. Une mise en scène qui ne prendra plus».

Utilisant souvent des mots tels que trahison et allégeance aux étrangers, le porte-parole met bien la «Oumma» au dessus de tout, accusant Ennahdha de la trahir. «C’est quoi cet islam light qu’on invente? Un islam génétiquement modifié? Un islam pour plaire aux mécréants?». Pour lui, «la politique est l’art du possible et il est temps d’éjecter ce gouvernement de la honte et de la guigne. Les approches du FMI ou de la Banque mondiale sont toutes des approches fausses pour garder les gens en esclavage».

Plus d’une heure d’un discours encourageant «les cercles» pour expliquer les fondamentaux selon la «chariaâ» de la liberté, la souveraineté, l’égalité… «Des cercles qui seront les outils de la révolution par l’audace» et surtout un appel du pied clair aux salafistes de ne pas donner une «occasion en or» pour casser la «sahwa islamiya», en précisant que «Hezb Etahrir fait peur car il n’utilise pas la violence, et nous refusons cette anarchie qui règne et plonge la Oumma dans la confusion».

Cependant, en appelant à appliquer «le droit divin», cela implique des mesures tortionnaires comme la lapidation, l’amputation ou la flagellation. Des formes de non-violence?

Fondé en 1953 en Arabie Saoudite et en Jordanie, Hizb Etahrir a été créé dans les années 80 en Tunisie, où il a été fortement réprimé par le régime, le parti prône un retour au Califat et estime que la démocratie n’est qu’une illusion entretenue par le capitalisme mondial.

Couvrant l’ensemble du monde musulman, le parti est présent dans plus de 70 pays et compterait des dizaines de millions d’adhérents. «Sur un plan politique, il prône un régime politique basé sur le retour au Califat. En vertu de ce système, le pouvoir se situe entre les mains de la Oumma qui choisit son calife à travers des élections, mais la suprématie absolue est celle de la loi islamique. Le pouvoir du calife, qui est épaulé par un conseil de la Choura et des ministres, n’est toutefois pas absolu dans la mesure où il peut être destitué s’il viole le contrat qui le lie à la Oumma».

A l’échelle économique, le parti met en avant une révolution industrielle et une agriculture forte, estimant que le tourisme et l’investissement extérieur sont des dangers.

Depuis la révolution, Ridha Belhadj multiplie les apparitions qui choquent. Dernière en date celle relative au viol de la jeune femme par les policiers. Le porte-parole du parti considère qu’il faut 4 témoins pour authentifier un viol selon la «chariaâ».

Concernant les protestations devant l’ambassade américaine, il estime que «les protestataires sont sortis pour venger le Prophète mais aussi pour contester la politique des USA» et que «la réaction des forces de sécurité était exagérée, d’autant plus que ces dernières auraient dû laisser plus de champ libre aux protestataires pour s’exprimer».

Concernant les évènements de Douar Hicher, Ridha Belhadj affirme que «les derniers évènements de violence s’inscrivent dans le cadre d’un complot et qu’ils ont été attribués à tort aux membres du courant salafiste… Le terrain a été préparé d’avance pour que les troubles surviennent».

La scène politique tunisienne est désormais ouverte à de nouveaux horizons aux islamistes radicaux, toutes tendances confondues. Piétistes, politiques ou djihadistes, il ne convient pas de sous-estimer ni de mal-estimer personne ou aucun groupe politique.

Selon Ridha Belhadj, «les Tunisiens sont éminemment arabo-musulmans et le système politique actuel, à savoir la République, n’est pas adaptée aux Tunisiens qui n’acceptent que la loi divine pour les guider». Reste à savoir combien seront-ils? Jusqu’à quel point sont-ils prêts à défendre cette vision de leur pays? Jusqu’à quel point les Tunisiens musulmans se voient dans cette vision?

Amel Djait

Photo: Archives

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