JCC : “Argu” d’Omar Belkacemi, le rêve sur les belles hauteurs de la Kabylie

Au cœur de la Kabylie, en Algérie, ses hauteurs et sa nature verdoyante, Omar Belkacemi, réalisateur de la fiction “Argu”, un verbe qui signifie rêve en langue Amazighe, entraine le spectateur dans son univers.

La poésie est présente dans chaque scène et les moindres recoins d’un village algérien perché sur des hauteurs qui racontent la beauté et la résistance d’une culture millénaire. Dans ce village gâté par la nature et la bonté de ses habitants, les difficultés ne manquent pas. La jeunesse peine à se retrouver dans un milieu parfois dominé par les préjugés et l’idéologie de gens qui se placent en gardiens de la morale.

Argu s’ouvre sur une scène où on voit Mahmoud, instituteur, dans une classe d’école pour ensuite prendre la route vers son village. Le personnage de Mahmoud est interprété par le seul acteur dans ce film qui réunit un casting composé des gens du village du réalisateur qui a filmé dans sa région natale, en Kabylie, une fiction inspirée de sa jeunesse.

” Argu ” se situe entre fiction et documentaire sur l’histoire de Koukou, ce jeune homme traité de fou par les villageois qui estiment bizarre son comportement. Par la complicité de son père, les sages du village décident de le placer un asile psychiatrique. Apprenant la nouvelle, son frère ainé Mahmoud, désabusé par une histoire d’amour, tente d’innocenter Koukou.

Le jeune instituteur mène un combat contre les mentalités et les préjugés de son entourage pour libérer son petit frère.

Avec l’aide de Mahmoud, Koukou se retrouve à nouveau chez lui pour enfin quitter définitivement le village.

Koukou vit avec son frère Mahmoud, sa sœur Jura et sa maman qui le protège par son amour inconditionnel. Face au rejet de son entourage, la famille et la nature sont le dernier refuge de ce jeune homme fragile et à la sensibilité extrême. ” Koukou, reste comme tu es, ne change pas ” lui dit Mustapha. ” Ce village est un cimetière “, dit Mahmoud à Koukou, terrifié, qui vient lui annoncer le suicide d’un villageois dont il découvre le cadavre en lui rendant visite.

Argu, le rêve sur les belles hauteurs de la Kabylie. Une Kabylie belle par sa nature à couper le souffre, ses femmes, sa poésie et ses hauteurs lointaines et inaccessibles. Les couleurs chatoyantes des costumes emblématiques des femmes berbères et une culture millénaire sont largement présentes. Leurs chants venus de la nuit des temps habitent la mémoire d’un réalisateur qui défend en même temps la condition de ces femmes, parfois opprimées.

Omar Belkacemi, réalisateur et scénariste manie bien ses outils cinématographiques.Affichant son amour pour sa région, il valse sur ces hauteurs où loge le souvenir toujours présent de ses ancêtres.

Argu est rythmé de scènes assez agréables qui emmènent le spectateur vers des moments de bonheur pour une évasion de courte durée. Au lever du jour, sous la pleine lune, autour d’un feu de camp ou sur un rocher perché sur les hauteurs, les vues panoramiques font la beauté et la force de ce film et ses éléments narratifs.

Dans Argu, les scènes offrent une toile de la nature et rappellent celles dans le film ” En Attendant les Hirondelles ” de Karim Moussaoui, filmé entre Alger et Biskra, ou encore”Abou Leila”, d’Amin Sidi-Boumediene, un road movie qui se passe dans un cadre différent, au cœur du Sahara algérien. Cette tendance artistique et la belle esthétique visuelle fait la singularité de l’œuvre de ces réalisateurs algériens qui offrent une lecture intellectuelle de la réalité chargée d’émotion, le tout dans un cadre naturel impressionnant.

Argu ou rêve en Amazighe est une ode à la vie pour des âmes humaines fragilisée comme Koukou. Ce dernier est à l’image de l’oiseau dont il ne supporte pas voir emprisonné, lui ouvre la porte de sa cage et le libère dans la nature. Le réalisateur nous livre une belle œuvre et une recherche spirituelle et philosophique qui sort de l’ordinaire. Une fuite dans la nature pour échapper à la douleur de ce monde parfois injuste et incompréhensible.

Ce long métrage de fiction (97’) a fait sa première arabe et africaine aux JCC à travers trois projections à Tunis. Il est présenté pour la première fois au théâtre de l’Opéra (3 novembre), puis au cinéma Abc (4 novembre) et à CinéMadart (5 novembre). Sélectionné en compétition officielle des Journées Cinématographiques de Carthage, ” Argu ” d’Omar Belkacemi est dans la course pour le Tanit d’Or qui sera dévoilé ce samedi soir.