Tunisie  : Pourquoi Ghannouchi tient-il à rester président ?

Crise économique majeure, crise sanitaire sans précédent dans un pays dépourvu de moyens, de projet et de vision, et crise politique insoluble au vu de la configuration de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et du système politique résultant de la nouvelle Constitution de 2014. C’est dans ce contexte gravissime que Rached Ghannouchi, le président du Parlement, a décidé un coup d’Etat à l’Assemblée des représentants du peuple. 

Eh oui, celui adulé par des milliers de militants islamistes a profité de la propagation du coronavirus à l’ARP et prenant pour prétexte le décès du député Mabrouk Khachnaoui, gravement atteint par le virus, pour opérer “un coup d’État“ contre la session plénière et décréter des mesures exceptionnelles.

Ces mesures, préconisées par Ghannouchi après rapport de la Commission de santé à l’ARP, permettraient d’assurer la continuité des travaux à l’ARP.

Approuvée par le bureau du Parlement, cette décision a suscité le courroux de 6 représentants des blocs parlementaires qui l’ont rejetée considérant que c’est “un coup d’Etat“ qui vise à spolier la volonté des députés et de leurs électeurs en s’octroyant le droit de décider à leur place. « Ces mesures priveraient les députés de débattre des lois et marginaliseraient le rôle de l’opposition. Ghannouchi a voulu réduire une Assemblée de 217 députés à seulement 13 députés membres du Bureau dont lui-même dispose de 7 membres, c’est-à-dire de la majorité. Ce qui lui permettrait de manipuler à sa guise les textes », dénonce Abir Moussi, présidente du PDL.

Le président de l’ARP a invoqué l’article 56* du règlement intérieur de l’ARP pour décréter que le bureau de l’Assemblée pouvait remplacer la plénière, hors cet article ne fait que citer le rôle fondamentalement organisationnel du bureau et qui ne peut nullement s’étendre à l’exercice parlementaire en lui-même.

Rached Ghannouchi ne se soucie guère des lois. Pour lui, il s’agit de se maintenir en tant que président de l’ARP quoiqu’il en coûte.

Le rêve de Ghannouchi : la présidence de la République ?

Eh oui, le chef de la confrérie islamiste rêve de devenir président de la République, et pour cela il supportera toutes les insultes, les critiques cinglantes et l’agressivité des députés.

Déjà au début des années 2000, lorsqu’il fut informé de l’atteinte de feu Zine El Abidine Ben Ali par un cancer, lui, exilé à Londres, avait commencé à se pencher sérieusement sur la possibilité d’assurer la relève.

Quelques années plus tard, et grâce à Sakhr El Matri et à la prétendue révolution tunisienne, il est accueilli en héros par ses disciples et ses adorateurs.

Aujourd’hui, il parle discrètement du violent conflit entre le régime présidentiel et le régime parlementaire, tout en estimant que le mode de gouvernance du pays n’a pas vraiment échoué, mais en réalité dans l’intimité, il aurait préféré un régime présidentiel fort et en a voulu à tous les présidents qui ont occupé le Palais de Carthage depuis 2011, de Moncef Marzouki à Kaïs Saïed en passant BCE, Mohamed Ennaceur.

Présidents avec lesquels, rappelons-le, il a entretenu des relations tendues et auxquels il a voulu spolier le rôle à l’international, en prenant des libertés avec les corps diplomatiques qu’il a toujours accueillis comme un « Président » (sic) et en faisant des déclarations au nom de la Tunisie touchant à nos relations avec d’autres pays ou traitant de conflits régionaux.

Ghannouchi s’est allié avec des pays… souvent aux dépens des intérêts de la Tunisie et est même allé jusqu’à encourager la signature d’accords économiques qui lèsent la Tunisie, considérant qu’il a toute latitude de décider.

Aujourd’hui, il subit les critiques acerbes au sein de son propre parti, déchiré par les dissensions, et ignore les attitudes méprisantes de la majorité des députés à son égard, refusant de céder le fauteuil de la présidence au parti et à l’ARP.

Il espérerait, selon des sources proches de lui, que Kaïs Saïed se trouve dans l’impossibilité d’assurer son rôle de président de la République pour prendre sa place et se préparerait aux élections présidentielles de 2024. Les courtisans l’y encouragent et lui conseillent de ne pas céder aux pressions l’appelant à démissionner de l’ARP.

La présidence à vie… une notion adoptée par Ghannouchi qui s’accroche au pouvoir et faute d’user de la force des armes, il brandit à chaque fois la menace d’une guerre civile si on l’en fait sortir après avoir excellé dans les «tripatouillages constitutionnels».

Mais à défaut d’être un président de la République, Ghannouchi est aujourd’hui la malédiction de la République.

Amel Belhadj Ali

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Art. 56 – Le Bureau dispose des prérogatives suivantes :

Assurer le suivi du bon déroulement des différents travaux de l’Assemblée et la prise des mesures nécessaires à cet effet,

Assurer le suivi de la conduite des affaires administratives et financières de l’Assemblée,

L’élaboration du budget de l’Assemblée, son approbation et le suivi de son exécution et de son contrôle,

Prendre des mesures adéquates pour permettre aux membres de s’acquitter de leurs tâches,

Rechercher des moyens permettant d’assurer les activités des blocs,

Mettre en place un programme du travail législatif, et parlementaire d’une manière générale, de l’Assemblée durant une période qu’il fixe,

Adopter l’ordre du jour des séances plénières et établir un calendrier des travaux de l’Assemblée, et la priorité d’examen est aux projets du gouvernement et du président de la République,

Former les délégations qui représentent l’Assemblée et choisir ses chefs, à moins que le président ou l’un de ses vice-présidents en fassent partie, il en est alors le chef,

Mettre en place l’organigramme de l’administration de l’Assemblée,

Constater tous les cas de vacance à l’Assemblée et autoriser que la plénière en soit informée, Le Bureau prend ses décisions à la majorité des présents à condition que le nombre des approbations ne soit pas inférieur au tiers (1/3), et en cas d’égalité des voix, celle du Président est prépondérante. Ces décisions sont publiées sur le site électronique de l’Assemblée dans un délai de trois (3) jours.